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treté à l'occafion dequoy il semble, qu'il avoit plus des parties de bon capitaine pour la guerre, que de fage gouverneur de la chofe publique pour la paix. Aufli avoit il tousjours dès fon enfance aimé les gens de guerre & les & les armes, & avoit pris grand plaifir à fe duire & dreffer aux exercices du corps qui y font convenables, comme à efcrimer, picquer chevaux, & voltiger. Et pour autant qu'il fembloit avoir une naturelle addreffe à la lucte, aucuns de fes amis, & de ceulx qui avoyent foing de luy, l'admonestoyent qu'il s'adonnaft à telz combats. Il leur demanda fi la vie que menoyent ceulx qui faifoyent meftier de telz jeux de prix, luy porteroit point d'empefchement quant aux exercices de la guerre. On luy feit refponfe que la difpofition de la perfonne & la maniere de vivre que fuyvoyent les lucteurs, & ceulx qui fe preparoyent aux autres telz combats, eftoit en tout & par tout contraire à celle d'un bon homme de guerre, mefmement quant à fon vivre & à fon exercice ordinaire, pour autant que les lucteurs mettoyent peine d'entretenir & augmenter foigneufement leur enbonpoinct par beaucoup dormir, boire & manger continuellement, fe travailler & repofer à certaines heures fans y faillir d'une minute, & eftoyent tousjours en danger de perdre la force & roideur du corps qu'ilz en acqueroyent, s'ilz

faifoyent

faifoyent le moindre excès du monde, ou s'ilz paffoyent leur ordinaire d'un feul poinct: là où il fault que gens de guerre foyent faicts & accouftumez à toute diverfité & toute inegalité de vie, & mefme qu'ils ayent appris de jeunesse à fupporter facilement la difette de toutes chofes neceffaires à la vie de l'homme, & à endurer aifeement de paffer les nuicts fans dormir. Ce que Philopamen ayant entendu, non feulement il rejetta pour lors tous telz exercices & s'en moqua, mais depuis encore quand il fut chef d'armée, il s'eftudia par tous moyens d'infamie & d'opprobres qu'il leur peut faire, d'en amortir & esteindre du tout la couftume, comme celle qui rendoit les corps des hommes inutiles aux travaux & aux combats neceffaires pour la defense de leur païs, qui autrement y feroyent très idoines & utiles.

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V. Au reste, fi toft qu'il fut hors de la puiffance de maistres & gouverneurs, & qu'il comà porter les armes ès courfes que faifoyent ceulx de Mantinée fur les terres des Lacedæmoniens, pour furprendre d'emblée ou piller quelque chofe, il s'accouftuma à estre tousjours le premier à l'aller & le dernier à retourner : & quand il eftoit de loifir, en temps de paix ou de trefves, il endurciffoit fon corps & le rendoit difpos, robuste & leger à force de chafTome IV.

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fer continuellement, ou bien de labourer la terre car il avoit un bel heritage qui n'eftoit qu'à une lieue & un quart feulement loing de la ville, là où il s'en alloit ordinairement après difner ou après foupper: & puis la nuict venue il fe jettoit deffus quelque mefchante paillaffe, & y repofoit ne plus ne moins que l'un de fes manœuvres, & le matin au poinct du jour il s'en alloit ou avec les vignerons befongner aux vignes, ou avec les laboureurs à la charrue, & par fois s'en retournoit à la ville, là où il vaquoit aux affaires de la chose publique avec ses amis, & avec les officiers & magiftrats de la ville. Or tout ce qu'il pouvoit efpargner & gaigner à la guerre, il le defpendoit à achepter de beaux chevaux, ou à faire forger de beaux harnois, ou à payer la rençon de fes pauvres citoyens, qui avoyent esté pris prifonniers en la guerre : mais quant à fon bien: il tafchoit à l'entretenir & à l'accroistre par le revenu du labourage feulement, comme par le moyen qu'il estimoit eftre plus droit & plus juste que les autres, & fi n'y vaquoit pas en passant temps feulement par maniere d'esbat, ains y em ployoit grande folicitude, comme celuy qui eftimoit que tout homme d'honneur doibt travailler à fi bien gouverner & augmenter le fien, qu'il n'ait occafion d'appeter ou ufurper l'autruy.

* Dans le grec, à vingt stades,

VI. Il ne prenoit pas plaifir à ouïr toutes fortes de propos, ny à lire tous livres de philofophie, ains feulement ceulx qui luy pouvoyent profiter à devenir de plus en plus vertueux : & ne lisoit vouluntiers d'Homere que les paffages qui luy fembloyent avoir quelque efficace pour emouvoir les cueurs des hommes à aimer la prouësse : mais entre toutes & fur toutes autres lectures, il eftoit fingulierement affectionné à lire les livres d'Evangelus, touchant l'art & maniere de dreffer les batailles, & auffi les histoires des faicts & gestes de Alexandre le grand, difant qu'il falloit tousjours reduire les paroles à effect, fi lon ne vouloit que ce fuffent comptes faicts à plaifir, & un parler jetté en l'air fans porter aucun profit: car mefme en fes livres de l'art de dreffer & ordonner les batailles, il ne fe contentoit pas d'en voir les exemples & les figures portraittes fur des tables, ains en vouloit voir l'experience, & faire les preuves fur les lieux mefines : & pource quand l'armée marchoit en bataille par les champs, il y eftudioit, confiderant diligemment en foymefme les accidents & les formes diverses qui adviennent à une bataille quand elle descend en une vallée, ou que la plaine luy vient à faillir, quand elle paffe une riviere, ou un foffé, ou un pas & un chemin eftroit, 'quand il fault qu'elle s'eslargiffe, ou qu'elle s'estroiciffe : & non feulement

l'eftudioit à par foy, mais auffi en foy, mais auffi en disputoit avec ceulx qui estoyent autour de luy : car fans point de doubte Philopamen a efté l'un des hommes du monde qui a le plus eftimé l'art militaire, & quelquefois plus à l'adventure qu'il n'euft efté de befoing, & plus aimé la guerre, comme le plus ample champ, & le fubject le plus plantureux que la vertu fçauroit avoir pour s'exerciter, tellement qu'il avoit en mefpris & defeftimoit ceulx qui ne s'en mesloyent point, comme gens qui n'eftoyent bons à rien faire.

VII. Eftant donques ja arrivé au trentieme an de fon aage1, aage, Cleomenes le roy des Lacedæmoniens vint une nuict à l'improuveue affaillir la ville de Megalopolis, fi vivement que d'arrivée il forcea les gardes & le guet, & entra dedans jufques fur la place, qu'il gaigna. Quoy entendant Philopomen accourut foudain au fecours : ce heantmoins, quoy qu'il feift tout devoir de bien & hardiement combatre, fi ne peut il jamais repoulfer les ennemis, ny les rechaffer hors de la ville mais au moins donna il temps & loifir à fes citoyens de fe faulver & fe defrober de la ville, en arrestant ceulx qui les pourfuyvoyent, & tirant tousjours Cleomenes après luy, tellement qu'il eut à la fin beaucoup d'affaire à se faulver luy mefme le dernier, bien blecé, & fon

L'an de Rome 531.

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