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tiré les différentes parties de l'habillement, si bien que le bey lui-même et tous ceux qui l'écoutoient ne pouvoient retenir de violens éclats de rire. Arrivé enfin à ce qui concernoit le cheval, il me fut, dit-il, amené, et je sautai sur son dos; et en effet, se replaçant de nouveau sur la selle, et donnant au cheval de grands coups d'éperons, il s'enfuit emportant dans sa poche l'argent qu'il avoit reçu pour prix de l'animal. Il avoit gagné trop de terrain pendant les premiers momens de surprise, pour qu'aucune des balles qu'on lui tira dans sa fuite pussent l'atteindre; et l'on n'eut jamais de nouvelles dans la suite, ni de lui, ni du cheval.»

«Les pillages journaliers qui avoient lieu dans notre camp étoient quelquefois accompagnés de circonstances où il n'y avoit pas moins d'impudence ou de témérité, quoiqu'aucun de ces exemples ne présente rien d'aussi intéressant pour le lecteur que ce que nous venons de raconter. Nous recevions si souvent de nouveaux avertissemens d'être sur nos gardes, que cette surveillance étoit devenue une partie essentielle du service militaire, et que le nombre des voleurs qu'on prenoit ou tuoit étoit considérable. Parmi tant de victimes de notre vigilance, il y en eut une au moins qui étoit innocente, et j'ai regret d'ajouter qu'elle périt de ma propre main. C'étoit ma semaine de service, et j'occupois, avec les dix soldats qui étoient sous mes ordres, une tente un peu éloignée des autres; un matin, avant qu'il fit jour, tandis que chacun dormoit encore, je sortis de mon lit, pour monter la garde, lorsque le binbashee, ou sergent de la tente qui étoit la plus rapprochée de nous, en étant sorti tout doucement (comme il paroît que c'étoit son habitude au

lever du soleil) s'agenouilla à quelque distance et se mit à dire ses prières en silence, coutume si peu générale et surtout à cette heure, que je ne me souviens pas de l'avoir vu pratiquer par aucun autre avant ou après lui. Tout ce que je pus distinguer, c'étoit quelque chose de ressemblant à une forme humaine, qui étoit accroupi à terre et se mouvoit de temps en temps, car il ne faisoit pas encore assez jour pour s'assurer de la véritable posture, et encore moins de l'identité de la personne. L'esprit fortement préoccupé de l'idée des voleurs, je ne mis point en doute que ce n'en fût un, et allant chercher mon fusil que je chargeai aussi doucement que je pus, je tirai sur cet objet. La balle porta un coup mortel, et le pauvre homme tomba la face contre terre sans pousser un gémissement. Je m'avançai aussitôt le sabre à la main, pour faire un trophée de sa tête, et obtenir une récompense de notre commandant. Mais quelles furent mon horreur et ma surprise, lorsque je vis qu'au lieu d'un voleur, j'avois tué mon ami et mon compagnon d'armes ! Je pleurai amèrement sur son corps, et m'abandonnai d'abord tellement au remords et au chagrin que me causoit cette malheureuse action, que je ne pensai pas une seule fois aux dangers auxquels elle m'exposoit.

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LA FEMME. Fragment traduit de l'anglais.

J'ai eu plusieurs fois l'occasion d'admirer la force d'âme avec laquelle les femmes supportent les revers de fortune

les plus accablans. Ces désastres qui jettent l'homme dans le découragement, et l'abattent dans la poussière, mettent souvent au jour toute l'énergie dont sa compagne est capable, et donnent alors au caractère de la femme une telle intrépidité et une telle élévation qu'il approche de la sublimité.

Rien n'est plus touchant que de voir un être que la nature a doué d'une sensibilité exquise pour tout ce qui peut se trouver de rude dans le sentier de la vie, et qui jusque-là, n'avoit senti que sa foiblesse et sa dépendance, prendre tout-à-coup une force d'esprit extraordinaire, devenir l'appui et la consolation de son mari dans l'infortune, et supporter avec une fermeté inébranlable les plus violens orages de l'adversité. De même que le lierre, qui a long-temps embrassé de son gracieux feuillage, le chêne qui lui prêtoit un appui, semble caresser plus tendrement encore l'arbre majestueux lorsqu'il a été mis en éclat par le tonnerre; de même par un ordre bienfaisant de la Providence, cette femme qui faisoit l'ornement de son mari dans les heures de prospérité, devient sa joie et son ferme appui dans le malheur, s'attachant aux traits les plus rudes de son caractère pour les adoucir, soutenant sa tête défaillante, et raffermissant son cœur prêt à défaillir.

Un jour que je félicitois quelqu'un de mes amis qui avoit une famille florissante et unie par la tendre affection, « Je ne puis rien vous souhaiter de plus heureux, » me répondit-il avec enthousiasme, « que d'avoir une femme et des enfans. Si vous êtes dans la prospérité, ils sont là pour la partager; s'il en est autrement, ils sont encore là pour vous consoler. » Et en effet, j'ai observé

qu'un homme marié, s'il vient à tomber dans l'infortune, rétablira plus tôt sa position dans le monde, qu'un céibataire; d'abord, parce qu'il est stimulé par la nécessité de pourvoir à la subsistance d'êtres chéris et sans autres secours que les siens; les siens; mais principalement parce que son chagrin est adouci ou calmé par des jouissances domestiques, qui lui font sentir que, quoique tout au dehors soit ténèbres et humiliations, il lui reste encore dans sa demeure un petit monde d'amour et de bonheur dont il est le monarque. Un homme isolé, au contraire, est porté à la dissipation et à la négligence; il est menacé de vivre seul, abandonné, et son cœur court risque de tomber en ruines, comme une maison déserte, faute d'habitans.

Ces réflexions me rappellent quelques scènes de la vie domestique dont j'ai été témoin. Mon ami intime, Leslie, avoit épousé une personne belle et accomplie, qui avoit reçu l'éducation la plus distinguée. Elle n'avoit point de fortune, il est vrai, mais celle de mon ami étoit considérable; il se réjouissoit de pouvoir satisfaire les moindres désirs de son épouse, et lui prodiguer tout ce que le goût et l'imagination peuvent inventer pour répandre autour d'une femme une espèce d'enchantement. « Je veux, » disoit-il, « que sa vie soit semblable à un beau conte de fée.›

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La différence même de leurs caractères produisoit entre ces deux époux une parfaite harmonie. Leslie avoit un esprit romanesque et un peu sérieux; sa femme étoit remplie de vivacité et de gaieté. J'ai souvent observé le ravissement muet avec lequel il attachoit ses regards sur elle, lorsqu'ils se trouvoient dans le monde; il est vrai qu'elle en faisoit le charme par sa conversation vive et enjouée;

et je remarquois aussi, que souvent au milieu des louanges qu'on donnoit à Marie, ses yeux se tournoient vers son mari, comme si elle eût désiré n'en recevoir que de lui seul. Lorsqu'elle s'appuyoit sur le bras de Leslie, sa taille svelte contrastoit agréablement avec la stature majestueuse de celui-ci. La tendresse avec laquelle elle le regardoit, sembloit exciter en lui le triomphe de l'orgueil et de l'amour, comme s'il étoit fier de la foiblesse de son aimable fardeau. Je n'ai jamais vu un couple avancer dans le sentier fleuri d'un mariage précoce et bien assorti, avec une plus douce perspective de félicité.

Mais ils n'étoient mariés que depuis quelques mois, lorsque par une suite de mauvaises affaires, Leslie perdit toute sa fortune. Pendant quelque temps, il renferma en luimême le secret de son état ; mais sa physionomie avoit quelque chose de triste et de hagard, et son cœur étoit brisé. Sa vie n'étoit plus qu'une agonie prolongée, et ce qui rendoit sa situation encore plus insupportable, c'étoit la nécessité de sourire devant sa femme qu'il ne pouvoit se décider à mettre dans la confidence de son malheur. Elle vit cependant, (car les yeux de l'affection sont clairvoyans), que tout n'alloit pas au gré des désirs de son mari. Elle remarqua ses regards altérés, ses soupirs étouffés, et ne se laissa point tromper par ses efforts pour paroître gaî. Elle employa tous ses agrémens et ses plus tendres caresses pour le rendre au bonheur, mais elle ne faisoit qu'enfoncer plus avant le fer meurtrier. Plus il voyoit de motifs de l'aimer, plus la pensée qu'il alloit la rendre malheureuse le mettoit à la torture. Encore un moment, pensoit-il, et le sourire disparoîtra de son visage, le chant

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