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VOLEURS ÉGYPTIENS. Extrait de la vie et des aventures de Giovani Finati. Londres, 1830. Murray. (London Literary Gazette.)

«Pendant que j'étois amarré à Minieh (1), un soir, un peu avant d'aller me coucher, je m'étois retiré sur le rivage à quelque distance de mes compagnons ; quoiqu'il fit nuit je crus distinguer quelque chose qui se mouvoit sur la terre près de moi, et que je supposai être un chien; mais une pierre que je jetai me fit découvrir mon erreur, car un homme se leva aussitôt, et sembla se retirer à quelque distance; je ne prenois plus garde à lui lorsque tout-à-coup je le sentis s'élancer sur moi par derrière, me saisir par le cou et par les poignets et me tirer violemment dans un fossé voisin, qui est souvent rempli par les eaux du Nil, mais qui alors étoit à sec. C'étoit un homme très-fort, et je n'avois sur moi aucune arme pour me défendre; si bien que me tenant d'une main par la gorge, et me pressant de ses genoux il commença à me fouiller, dans l'espérance de trouver de l'argent ou quelqu'autre objet de valeur, mais ne trouvant rien, il me frappa à l'épaule droite, d'un petit couteau recourbé qu'il portoit sur lui et en me relâchant il me donna plusieurs coups avec un bâton pour m'empêcher de le suivre. Je me hâtai de regagner notre bateau, et là montrant mes blessures,

(1) Finati étoit alors au service du pacha d'Egypte.

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je dis à mes camarades ce qui me venoit d'arriver. Aussitôt ils se saisirent de leurs armes et se rendirent sur le théâtre de ma mésaventure; mais quoiqu'on eût perdu fort peu de temps, on chercha en vain pendant des heures entières dans toutes les directions; on ne put apercevoir aucune trace du coupable. Je me consolai en pensant qu'il ne m'avoit rien pris, et que la blessure qu'il m'avoit faite étoit légère, quoiqu'elle saignât beaucoup dans le premier moment. Une aventure de cette espèce n'avoit rien d'extraordinaire dans ces temps. Les paysans de l'Egypte étoient devenus une véritable nation de voleurs, et avoient porté leur art à un haut degré de savoir et de perfection. Dans le fait, l'état de confusion où l'on vivoit, et les combats continuels entre l'armée du Pacha et les Mameluks leur avoient tellement enlevé tout moyen d'industrie et d'un gain honnête, ainsi que toute sécurité pour leurs biens; les villages et les campagnes étoient tellement dévastés, qu'on ne pouvoit guère en attendre une meilleure manière de vivre. Les vols, les violences et même les meurtres étoient des événemens journaliers.»

« Nous étions destinés à voir un peu plus bas une scène d'une audace plus grande encore. Nous avions pris terre près de Benysouef; après avoir dîné ensemble à midi dans un des bosquets de palmiers, et être restés à table pendant long-temps, nous nous mîmes à jouer aux cartes et aux dés. Les enjeus furent d'abord peu considérables, mais devinrent plus forts en avançant ; et après avoir joué en premier lieu des paras, nous en vinmes à jouer de l'or; l'intérêt naturellement croissoit à proportion, et avant la nuit quelques-uns avoient déjà gagné des sommes

considérables. Les perdans n'étoient pas alors d'humeur à laisser le jeu; il fallut donc allumer des lanternes et les suspendre aux arbres à l'approche de la nuit, ce qui attira plusieurs voleurs arabes autour de nous; ils s'étoient glissés inaperçus au milieu de notre cercle. Nous formions une petite troupe de trente à quarante militaires tellement absorbés par notre jeu, que nous ne prîmes point garde à ces étrangers, ne faisant aucun doute que ceux qui nous entouroient ne fussent, ou nos domestiques, ou des gens de l'équipage; et la lumière que jetoient nos lanternes étoit à peine suffisante pour nous détromper. Pendant que chacun étoit assis ayant son petit monceau d'argent devant soi, attentif à regarder les cartes qui circuloient, quelques-uns de ces coquins éteignirent toutà-coup les lumières, tandis que les autres nous jetant des poignées de sable dans les yeux s'emparèrent d'autant d'argent qu'ils purent et prirent la fuite. Dans le premier moment de la surprise, nul de nous ne savoit ce qui étoit arrivé, et n'apercevoit autour de lui d'autres personnes que celles qui composoient notre partie. Sans chercher aucune explication, une dispute générale commença, chacun s'imaginant être insulté ou volé par ses camarades. Tous eurent aussitôt recours à leurs armes qui se trouvoient malheureusement à portée, quelquesuns frappant avec leur poignard, et d'autres se servant. de leur sabre; la confusion fut telle, et le sang coula si abondamment, que le combat ne finit que lorsque neuf d'entre nous furent étendus morts ou mourans et que plusieurs des autres eurent été grièvement blessés ; ensorte que je me crus bien heureux d'en être quitte

pour un petit coup de sabre sur le bras. Nous apprimes ensuite, lorsque nos esprits se furent calmés, de quelquesuns de ceux qui se tenoient près de nous ce qui s'étoit passé réellement; nous sûmes qu'ils avoient en vain tâché de nous arrêter à temps, et d'apaiser notre fureur insensée au commencement du combat. La honte et le remords s'emparèrent alors de nous, mais il n'y avoit aucun remède, et nous ne pumes que gémir sur le sort de nos compagnons et les ensevelir. Notre troupe étant ainsi diminuée, nous quittames Benysouef avec horreur et nous nous arrêtames le lendemain au pied des pyramides de Dagshoor. Un jour de plus nous amena au vieux Caire, d'où les uns à cheval, les autres à pied, nous nous acheminames vers la ville. »

Bientôt après eut lieu le massacre des Mameluks. Ce récit, plein de vérité, est effrayant, et la description suivante de ceux qui échappèrent au massacre, est une peinture remarquable d'une vie sauvage et guerrière.

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<< Pendant que quelques-uns des Mameluks étoient campés près de Minieh, un voleur résolut de s'emparer du cheval et de l'équipement d'un de leurs beys; dans cette intention il essaya, à la faveur de l'obscurité, de se glisser dans la tente où un grand feu (c'étoit en hiver) lui fit voir les riches habits du bey tout-à-fait près de lui. Le voleur, en s'accroupissant près du feu, les tira doucement à lui, et s'en revêtit ; et ensuite, après avoir rempli sa pipe, et l'avoir allumée, il se rendit, d'un air délibéré, à la porte de la tente, et frappant du bout de sa pipe un palefrenier qui dormoit près de là, lui fit signe de lui amener un cheval attaché en face de lui.

On le lui amena, il le monta et partit. Lorsque le lendemain on ne trouva nulle part les habits du bey, personne ne pouvoit comprendre ce qu'ils étoient devenus, jusqu'à ce que le palefrenier ayant été questionné soutint à ses camarades que leur maître n'étoit pas encore de retour de la promenade, et leur raconta comment il avoit tout-à-coup demandé son cheval pendant la nuit : ce récit donna quelques soupçons de ce qui avoit eu réellement lieu. Alors le bey impatient de retrouver son cheval et curieux de connoître les particularités de ce vol, fit publier que si la personne qui l'avoit volé lui rapportoit avant deux jours ce qu'elle avoit dérobé, non-seulement on lui accorderoit son pardon, mais qu'on lui payeroit encore la valeur du cheval et des habits. Comptant sur la bonne foi de cette promesse, et peut-être aussi fier de son exploit, l'Arabe se présenta et rapporta son butin, et le bey, de son côté, tint ponctuellement parole. Mais comme, outre la perte que le bey avoit faite, il y avoit quelque chose dans l'affaire qui le plaçoit dans une situation presque ridicule, il lui en coûtoit de laisser aller le coquin si librement. Il sembloit donc considérer ce qu'il pourroit faire, et pour gagner du temps, il demandoit et redemandoit encore des détails sur la manière dont le stratagême avoit été conduit; l'autre étoit trop habile pour ne pas voir qu'il ne se préparoit rien de bon pour lui; il étoit pressé de se mettre à l'abri des pièges qu'on pouvoit lui tendre; cependant il ne témoigna aucune impatience; il entra minutieusement dans tous les détails, et mettant son récit en action, il s'assit auprès du feu, et montra comment il avoit successivement

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