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ses fins. Au reste, je ne sais pourquoi je m'arrête si longtemps sur ce point. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on s'est aperçu combien l'éducation et l'instruction sont choses diverses. Ce qu'il importeroit, ce seroit de faire sentir l'importance de cette distinction, comme devant servir de guide et de régulateur, dans tous les changemens qu'on fait subir à l'éducation.

Je touche ici à une question d'un haut intérêt; c'est de déterminer les degrés d'importance que doivent avoir dans un système d'éducation, les différentes parties qui le composent. Chacun sent que, à moins de vouloir marcher à l'aveugle, il faut avoir en main une telle échelle; et il n'est pas moins évident que la distinction que nous venons de rappeler en doit être la base. Comment les besoins de l'éducation générale, de celle qui fait le citoyen, ne mériteroient-ils pas la première place? C'est le premier des intérêts, surtout dans une république où chaque individu fait partie, en quelque sorte, de la puissance qui gouverne l'ensemble. « Le gouvernement, » dit Montesquieu, «< est comme toutes les choses du monde; pour le conserver il faut l'aimer (1); » et pour l'aimer, ajouterons-nous, il faut être enseigné de bonne-heure à le servir. Après l'amour instinctif du sol natal, rien ne lie plus au pays que les devoirs qu'il impose on s'attache par les services qu'on rend, ou qu'on rendra dans l'avenir. Cette partie de l'éducation qui forme le citoyen, est donc celle qu'il importe le plus de perfectionner; car elle est dans un rapport intime avec la première loi de toute société, qui est de se conserver.

(1) Esprit des Lois, Liv. IV, Ch. V.

Après avoir pourvu aux intérêts généraux, l'éducation doit pourvoir aux intérêts individuels sur lesquels repose la prospérité générale. Nous mettrons ainsi au second rang les institutions et les perfectionnemens réclamés par les vocations diverses, en ayant soin de pourvoir d'abord aux besoins de celles qui ont le plus d'action sur le gouvernement, et qui l'approchent de plus près.

Le principal ainsi obtenu, la science peut exposer ses besoins et ses désirs. Accueillez sa noble ambition, encouragez son essor, et qu'elle déploie sur vous ses brillantes aîles; c'est plus que du luxe, c'est de la gloire, et c'est aussi du bonheur. Les plus belles facultés sont ainsi développées, agrandies, les loisirs remplis et embellis, la vie plus variée, plus intellectuelle, plus digne de l'homme et de son immortalité. Oui, parez, semez cette courte carrière, d'ailleurs si épineuse, de toutes les fleurs de l'esprit et du génie, de toutes les productions de la science et des arts; mais que la patrie garde toujours son rang qui est le premier. Ses droits sont d'autant plus sacrés qu'elle honore plus ses enfans.

F. R.

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L'ILIADE D'HOMÈRE, traduction nouvelle en vers français, précédée d'un Essai sur l'épopée homérique ; par A. BIGNAN. Deux vol. in-8°. Paris, Belin-Mandar libraire, rue Saint-André-des-Arcs. No 55. 1830.

Selon le Dr. Bryant, le mot Agamemnon dérive d'Aga, qui, en Orient, signifie chef, et de Memnon, dont la statue rendoit des oracles au lever du soleil. Cela saute aux yeux. Aussi le Dr. Bryant est-il fort, quand ensuite il veut prouver qu'Homère ne fut autre qu'un drôle qui, ayant dérobé les poëmes de Phantasia dans les archives du temple d'Isis à Thèbes, s'avisa d'en transporter le sujet et la scène en Troade. De là l'Iliade, comme chacun sait.

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Selon le Hollandais Croesius, l'Iliade, au contraire est une suite d'allégories singulièrement ingénieuses, qui figurent l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament. Une fois sur ce terrain, le Hollandais Crosius braque sa lunette sur la prise de Troie, où il voit distinctement la prise de Jéricho.

Selon le père Bossu et Mad. Dacier, ce n'est pas cela, c'est autre chose. Homère est un scrupuleux moraliste, lequel s'étant dit un jour qu'il vouloit établir une moralité utile aux hommes, ne vit meilleur moyen que de faire un petit apologue de quinze mille vers, où il n'oublia que la moralité.

Selon Barnès, en lisant le mot qupos à rebours, on a Sorémo, dont on fait aisément Salomon, dont on fait ensuite tout ce qu'on veut. Selon d'autres.... mais il faudroit un volume.

Et n'allez pas croire que ce soient là des opinions hasardées. Il n'en est aucune, au contraire, qui ne soit appuyée de l'autorité de très-savans hommes; étayée de légendes, scholies, leçons et annotations; flanquée de citations latines, grecques, syriaques, chaldaïques; avec indications d'auteur, livre, chapitre, page, ligne; ce qui constitue, à proprement parler, la preuve historique, en matière d'érudition. En face de tout cela, que peut faire un pauvre homme qui ne connoît que le texte d'Homère? Croire, et se taire.

Ainsi fais-je, mais non de bonne grâce. Car avant de les connoître, ces systèmes, j'avois plaisir, je l'avoue, à me figurer dans Homère, le chantre des vieux âges, le mendiant sublime, qui mit en langue des dieux les traditions de la Grèce ; et tout au plus je me rangeois à l'opinion de Diodore de Sicile, lequel affirme que les vers d'Homère lui furent inspirés par la Pythie elle-même. Mais lui supposer un autre but que de chanter et de peindre, une autre patrie que la Grèce ! Ho! le bon sens seul.... C'étoit justement là mon erreur. Le bon sens seul fait la plus triste figure du monde en face de l'érudition; en toute rencontre, aux prises avec elle, il a du dessous. Lui, raisonne; elle cite: comment pourroient-ils s'entendre? II rampe sur la terre, elle se perd dans les nues; comment pourroit-il l'atteindre? Il n'a que des raisons, elle est armée d'énormes bouquins; comment ne seroit-il pas écrasé ?

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Le mieux est donc pour le bon sens de se tenir coi. Mais voici venir Mr. Wolf, qui, s'attaquant à la personne même de cet Homère déjà si mutilée par ses devanciers, la veut mettre au néant. Selon lui, Homère n'a jamais existé. Pour le coup, c'est trop fort! et le bon sens.... Mr. Wolf ne le récuse pas. Lisez son ouvrage, et vous aurez l'amère douleur de reconnoître que son hypothèse, la plus hardie de toutes, n'est ni la moins plausible, ni la moins soutenable.

Il y a plus: Mr. Wolf nous paroît certainement beaucoup plus près du vrai que les savans qui, soutenant une thèse contraire, proclament que l'Iliade, véritablement conçue par Homère telle que nous la possédons, a traversé, intacte, trente siècles; et que, suivant les paroles de Macrobe, il ne seroit pas moins impossible d'arracher un seul vers à son auteur, qu'à Jupiter sa foudre, ou à Hercule sa massue; tant ces vers appartiennent à un ensemble homogène, lié, et sorti tout d'une pièce du même cerveau. Remarquons toutefois que si Mr. Wolf oppose à ces savans des argumens qui paroissent sans réplique, ces savans lui en opposent d'autres, qui ne semblent pas moins forts. Seroit-ce que les uns et les autres ont raison jusqu'à un certain point, et qu'un éclectisme raisonnable donneroit la solution de ce problème.

C'est ce que nous avons été portés à croire, en lisant l'Essai sur l'Epopée homérique qui précède l'ouvrage que nous annonçons, et qui en forme une intéressante partie. «Je pense,» dit Mr. Bignan, « que c'est Homère qui a jeté la base de ce monument poétique, autour duquel son siècle et les âges suivans ont groupé de nombreux accessoires. >>

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