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1) Les classiques et les romantiques en Suède. Extrait d'un voyage de Häring (Herbstreise durch Scandinavien.) Ici, comme partout ailleurs, la race germanique a rejeté le joug littéraire de l'étranger. L'antiquité mal comprise est d'ailleurs si généralement reconnue comme la base du système classique des Français, qu'ils s'efforcent maintenant eux-mêmes, avec un louable désintéressement, d'atteindre à plus de liberté et d'individualité dans la poésie. Il reste douteux néanmoins qu'il leur soit possible de retrouver des qualités depuis si long-temps perdues.

De tous ceux qui ont pris part à cette révolution littéraire, les romantiques Suédois sont les plus éloignés de refuser à l'Allemague la gloire d'une première impulsion. La guerre continentale a tellement répandu en Suède la connoissance de notre langue, qu'elle est maintenant celle de l'université presque entière, sans nuire à la tendance nationale de la nouvelle école. Je fus étonné de trouver connues à Upsal des productions de notre littérature qui le sont à peine, même en Allemagne. Une société s'y occupe activement de populariser par des traductions la littérature allemande dans la capitale, et le libraire Brosselius a publié des réimpressions de nos classiques. Il est vrai que cette vie littéraire se borne à l'université, où l'on entend dire fréquemment que la Suède est de dix ou vingt années en arrière de l'Allemagne. A Stockholm la présence de la cour, les liaisons nombreuses avec la France, l'académie enfin assurent encore la prépondérance à ce goût pour les choses communes revêtues de formes brillantes, qu'on appelle classique. Les romantiques, dont Upsal est le chef-lieu, débutèrent par une guerre de plume et non par quelqu'une de ces grandes productions qui brisent le moule classique, et semblables au Jupiter de Phidias, percent en se levant la voûte trop basse du temple.

La hardiesse, les exigences de la nouvelle école excitèrent le mécontentement de plusieurs personnes qui, sans se dissimuler les côtés foibles de l'ancienne, répugnent à se laisser influencer par la jeunesse. Le journal le Phosphorus commença la réputation de cette école (1). On est actuellement disposé de côté et d'autre à une réconciliation. La tendance piétiste des nouveaux membres de l'école romantique, a peut-être, sous ce rapport, une heureuse influence.

Le vieux poète Léopold est regardé comme l'étendard du goût classique. L'évêque de Stockholm, Wallin, le docteur Francen ont aussi une réputation méritée. Non moins célèbre, comme poète suédois, notre compatriote Brinkmann joue le rôle honorable de conciliateur.

L'écrivain le plus connu sous le rapport d'une élégante érudition, est le professeur Geyer. Il prend le plus grand intérêt à la li!térature de l'Allemagne et de l'Angleterre, et s'est voué avec prédilection à l'étude de cette poésie plus vive qui porte le nom de romantique. Son histoire de Suède est écrite avec une érudition cachée sous des formes populaires. De concert avec lui, Afzelius a rassemblé un trésor précieux de ballades et de poésies traditionnelles. L'évêque Tegner prit aussi part, dans sa jeunesse, à la rédaction du Phosphorus, et plus tard se rapprocha de l'ancien genre. Il est à peine en Suède une maison qui ne possède un exemplaire de son poème Frithiotsaga. Une antique tradition en est la base, et l'auteur a su y répandre tout le charme d'une douce mélancolie, sans que le ciel pur et les formes athlétiques du nord, soient trop voilés par ce nuage. Un petit roman de lui, plein de mérite, la Dame de pique de Levin, est maintenant oublié. Le public suédois reproche à cette nouvelle un style sans agrémens, des traits satiriques, et surtout un tableau peu avantageux de la Suède qui blesse la vanité nationale. Tels sont les prétextes qui l'on rendu indifférent pour une peinture aussi ra

(1) Il parut pendant les années 1810 a 1813. Le principal rédacteur étoit le plus célèbre des poètes romantiques de la Suède, Atterbom, né en 1760. Conversation's-Lexicon.

pide qu'exacte des mœurs suédoises, à laquelle le récit des sensations d'un cœur brûlant, égaré au milieu des hommes du nord, donne autant de chaleur que de poésie.

Le baron Ierta, diplomate habile, homme de beaucoup d'esprit, est à la tête de la révolution littéraire ; il est regardé comme le meilleur prosateur de la Suède. J'ai trouvé dans les jeunes sociétés d'Upsal, une vie, une chaleur qui m'ont rappelé une époque passée pour l'Allemagne, celle où les premières réunions de poètes amis. annonçoient d'une manière si glorieuse l'aurore de la nouvelle poćsie. Maintenant, sans lien commun, blasés sur tout, livrés à une critique raisonneuse, nous avons renoncé à la prétention d'une pareille activité.

2) Les sourds-muets.--Les circulaires et les rapports publiés par la Direction de l'Institut royal des sourds-muets à Paris, pour appeler des renseignemens sur la proportion de ces infortunés avec le reste de la population, et sur l'instruction qu'on leur donne dans les pay's civilisés des deux mondes, ont engagé Mr. Scheer, directeur de l'établissement fondé à Zurich depuis quelques années, à exposer en détail l'organisation et la méthode de cet institut. Cet exposé se trouvera sans doute dans le recueil des pièces relatives à ce sujet, qui sera publié par Mr. Dégérando. En attendant nous en donnerons ici quelques fragmens.

« Si nous comparons un sourd de naissance, dans les premiers temps de son existence, avec un enfant du même âge qui soit doué de tous ses sens, nous n'observons entr'eux aucune différence. L'un et l'autre expriment leur joie par le rire, leurs chagrins par des cris et des larmes, leurs désirs par les mouvemens de leur physionomie, ou par une foible pantomime. Tous deux sont venus au monde avec des dispositions égales, tous deux sont animés par l'étincelle divine, par l'intelligence humaine. Si donc un vice d'organisation rend plus difficile, ou restreint jusqu'à un certain point, le développement des facultés de l'esprit, il ne nous donne pourtant aucun droit de refuser au sourd-muet la dignité humaine, et de le rabaisser au rang des animaux, comme on l'a fait plusieurs fois. Sans aucune instruction

particulière, par son seul commerce avec les autres hommes, il parvient à un degré de culture et d'intelligence, auquel nulle autre créature que l'homme ne sauroit atteindre. De même qu'un enfant de huit ans, doué de tous ses sens, élevé et instruit par des parens et des maîtres attentifs, est cependant bien inférieur, pour son développement intellectuel et pour son savoir, à un jeune homme qui a reçu une bonne éducation, de même le sourd-muet qui n'a été formé que par les foibles rapports qu'il peut avoir avec les autres hommes, est fort inférieur à cet enfant de huit ans; néanmoins à ce dernier degré de connoissance, l'homme s'élève encore bien au-dessus des animaux. Dès le moment où l'enfant doué de l'ouïe commence à recevoir le son des mots, à les comprendre, à les imiter, alors on aperçoit chez l'autre l'effet terrible de la surdité. Celui qui ne peut, ni entendre, ni comprendre ses mots, n'est pas en état de les imiter. La voie ordinaire pour l'enseignement du langage est fermée, et le mutisme est la conséquence de la surdité. »

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« Le sourd-muet abandonné à lui-même, n'a guère qu'un foible sentiment de notre langage; il n'en a aucune idée. Sa mémoire, son jugement restent sans exercice; les abstractions lui sont impossibles; ce que le passé enseigne, ce que l'avenir promet est caché pour lui; il ne connoît, ni vertu, ni religion, il est exclu de toutes les joies sublimes de cette vie, et des espérances d'une vie à venir. » Mais le besoin et la nécessité d'une communication fournissent au sourd-muet un moyen de faire comprendre aux autres ses désirs et ses sentimens par des gestes et le jeu de sa physionomie, et de correspondre ainsi avec eux. A ces signes naturels, il en ajoute bientôt d'autres qui sont conventionnels, et par le secours desquels il indique des personnes et des objets particuliers. Ce langage de signes se développe autant qu'il est nécessaire, mais il est bien loin de pouvoir se comparer avec celui de la parole; il manque de tous ces rapports que nous indiquons par les diverses terminaisons des mots, par la syntaxe, par la position respective de nos phrases. Il est vrai qu'on a cherché à suppléer à ce défaut par une multitude de signes arbitraires, destinés à indiquer la division grammaticale

des mots, les rapports de nombres, de cas, de temps, de lieu, de manière ; mais cet essai n'a pas réussi et l'on a eu recours à l'alphabet de la main, c'est-à-dire qu'on a imaginé d'indiquer les différentes lettres par certaines parties de la main. Nous convenors qu'au moyen de ce langage de signes artificiels, on peut développer l'intelligence d'un sourd-muet et étendre notablement ses moyens de communication, et nous sommes persuadés qu'il emploie de préférence le langage de signes; mais nous soutenons, d'un autre côté, que, quelles que soient la richesse, la précision et la souplesse qu'on puisse donner à ce langage, il sera tojours bien loin de procurer les connoissances et la facilité de communication dont jouit un enfant de sept ans, doué de tous ses sens et élevé par des parens éclairés. »

«S'il est possible de rendre notre langage visible au sourd-muet par certaines formes, comme il est sensible celui qui des sons pour par est doué de l'ouïe, on doit reconnoître aussi la possibilité pour le sourd-muet d'apprendre notre langage par le seul secours de la vue; cette manière de rendre notre langage visible, nous la connoissons tous, c'est l'écriture. Si un sourd-muet vivoit dans une maison où toutes les communications auroient lieu par écrit, il acquerroit la connoissance du langage écrit, par l'usage, comme l'enfant nonsourd acquiert celle du langage parlé. On ne peut rien objecter contre la justesse de cette proposition; ainsi l'écriture doit être considérée comme le principal moyen d'enseigner le langage aux sourds-muets. »

. Pour les individus doués de tous leurs sens, l'écriture n'est qu'une copie du langage; lors même que nous lisons ou que nous écrivons en silence, le mot écrit nous rappelle le son qu'on lui donne en parlant. C'est ainsi que l'écriture, comme une image visible des sons, nous rappelle notre langue maternelle, lorsque nous sommes dans un pays étranger, et que nous n'avons plus d'occasion de la parler. Il en est autrement pour les sourds-muets, dans l'instruction desquels l'écriture est le premier moyen de développement ; ils ne pensent pas en mots parlés, mais en mots écrits. Les formes de ces mots écrits se présentent aussi clairement à leur imagination,

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