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Grenade conquise, les montagnards des Alpuxarres firent d'abord leur soumission à la reine Isabelle. Mais, au mépris des sages et généreuses recommandations de cette princesse, les gouverneurs espagnols poussèrent, par d'indignes traitemens, à la rebellion une population martiale, attachée avec enthousiasme à la foi de ses ancêtres, à l'honneur de sa nation. Pour appaiser cette première insurrection, (prélude de celle qui, sous Philippe II, ravagea l'Andalousie), Don Alonzo de Aguilar et quelques autres chevaliers de renom furent envoyés avec un nombre insuffisant de soldats. Don Alonzo fut tué, et son cadavre rapporté dans la demeure du chef des Maures :·

« Il étoit pleuré par une captive, une captive chrétienne, qui l'avoit nourri de son lait quand il reposoit dans son berceau. »

« Aux paroles qu'elle proféroit, il n'étoit pas une seule femme Maure qui ne versât des larmes : »

« Don Alonzo, Don Alonzo, que Dieu ait pitié de ton âme, puis« que les Maures t'ont tué, les Maures des Alpuxarres.

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Cette campagne, courte mais sanglante, coûta la vie au brave Sayavedra dont la rencontre avec un renégat, son ancien esclave, est peinte dans le Romancero d'une vive et pittoresque.

« Rivière verte, rivière verte (1), aujourd'hui tes flots sont teints de sang; entre toi et la montagne rouge (2) mille cavaliers ont péri. » « La périrent comtes et ducs, seigneurs de grande vaillance; lå mourut Urdiales, homme de bravoure et de renom. »>

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Sayavedra s'en va fuyant, par un sentier qui gravit la montagne. Derrière lui court un renégat qui l'avoit bien reconnu. » « Avec des cris sauvages, il lui adressoit ces paroles : « Rendstoi, rends-toi, Sayavedra, car je t'ai bien reconnu. »

(1) Le Rio-verdc, qui baigne les murs de Ronda. (2) La Sierra bermeja, entre Malaga et Gibraltar.

« Je t'ai vu souvent jouer aux cannes (1) sur la place de Séville; je connoissois bien tes parens, et ta femme Dona Elvire. »

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Sept ans j'ai été ton captif, et tu m'as donné mauvaise vie.... Aujourd'hui tu seras le mien, ou je perdrai ici la vie. »

Nous regrettons de ne pouvoir citer encore les romances consacrés à la gloire de Fernando Perez del Pulgar, l'un des aventuriers les plus intrépides et les plus heureux du camp d'Isabelle. Pendant le siège de Grenade, il profita d'une nuit obscure pour se glisser, par le lit d'un torrent, dans l'enceinte de la place; il courut à la grande mosquée, et cloua de son poignard aux portes du temple des payens une inscription portant en gros caractère, Ave Maria. Il vouloit encore mettre le feu à l'alcayceria (2), mais la torche de son écuyer s'étoit consumée dans le trajet à travers les longues rues de Grenade. « Les descendans de Pulgar obtinrent, » dit le vieux auteur, «le glorieux privilège d'être enterrés dans la cathédrale de Grenade; et lui, tant qu'il vécut, put entrer au choeur et chanter aux offices, revêtu de son manteau et ceint de sa bonne épée.»

Les grands changemens que produisirent en Espagne les règnes de Charles V et de Philippe II devoient amener le discrédit du genre tout à la fois élevé et primitif des romances. On cessa peu peu d'en écrire; cependant la lyre populaire castillane retrouva encore quelques sons pour déplorer la défaite de Don Sébastien en Afrique, et la mort glorieuse de ce Roi. Il étoit juste

(1) Ce jeu consiste à se lancer des javelots de roseau sans fer, c'est le djérid des Arabes.

(2) Le bazar.

que les derniers accens de cette poésie chevaleresque fussent dédiés au prince avec qui s'éteignit la dernière étincelle de l'esprit des croisades. Aussi aventureux, aussi brave, et moins heureux que les Bohémond et les Baudouins, Sébastien étoit mû par les mêmes passions que ces héros du onzième siècle; et si les politiques éclairés durent blâmer sévèrement son imprudence qui attira sur sa patrie la domination étrangère, avec un long cortège de malheurs, le peuple, dans son enthousiasme pour Don Sébastien, ne sut que célébrer sa dernière journée, par des éloges semblables à ceux que nous allons citer.

« Le roi Sébastien-le-Brave parcourut le champ de bataille; son glaive, son bras tout entier fument du sang de l'infidèle. »

« Sa personne royale est blessée, mais il n'est point fatigué de frapper; car dans un cœur si magnanime la fatigue ne peut trouver aucune place.

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Les romances caballerescos, ou ballades populaires romanesques de l'ancienne Espagne pourront être l'objet d'un examen à part.

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ESSAI SUR L'HISTOIRE DE L'ESPRIT HUMAIN DANS L'ANTIQUITÉ; par Mr. Rio, Prof. d'histoire au Collège-Royal de Louisle-Grand. Paris, T. I et II. 1829-1830.

L'auteur de cet essai a cru, en l'entreprenant, se conformer à l'esprit de notre siècle. Il observe avec raison que l'on commence à attacher autant et même plus d'importance à l'histoire intellectuelle des peuples qu'à leur histoire politique; qu'on veut connoître celle-ci, non plus uniquement pour elle-même, mais pour la lumière qu'elle peut jeter sur l'autre. C'est cette considération qui l'a fait entrer dans cette longue et difficile tâche d'un tableau des développemens de l'intelligence humaine dans l'antiquité. Quant à l'idée générale qui a présidé à son travail, elle est exprimée dans ce beau mot de Pascal qu'il a choisi pour épigraphe «Toute la suite des hommes, pendant tant de siècles doit être considérée, comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. » Ce point de vue élevé ouvre une magnifique perspective, et si l'auteur remplit ce qu'on doit en attendre, il aura bien mérité des lettres et de l'histoire. Mais l'ouvrage n'est point encore achevé; et il seroit prématuré d'en porter un jugement définitif. Le premier volume a été accueilli avec sévérité par quelques journaux : on a

été fondé, toutefois, à lui reprocher quelque chose de superficiel, de peu approfondi. Le second nous semble plus à l'abri de ce reproche, et mériter les encouragemens du public. En attendant que l'ouvrage soit complet, et nous permette d'en présenter un examen critique, nous essaierons, par quelques extraits, de donner une idée de la manière de l'auteur. Nous choisirons dans le premier volume, quelques pages du chapitre consacré aux Chinois. Mr. Rio, pour cette partie de son travail, a trouvé, sous sa main, dans les savantes recherches des orientalistes de Paris, des secours dont il a su profiter.

On sait quel grand rôle joue Confucius dans l'histoire des institutions chinoises. Commençons par le portrait de cet homme extraordinaire.

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Confucius, ce génie universel, que sous ce rapport j'appellerois volontiers le Platon de la Chine, éclaira pour long-temps la route que l'esprit humain y avoit à parcourir. Les livres sacrés qu'il recueillit et les ouvrages qu'il composa, fixèrent irrévocablement la destinée intellectuelle de sa patrie, qui rend encore aujourd'hui à ses descendans des honneurs presque divins, et il y a deux mille ans que sa doctrine a la gloire d'être associée à la législation d'un grand peuple. Il ne s'attendoit pas à exercer sur les âges futurs une si longue influence; il pleuroit en mourant de n'avoir pu faire revivre les maximes de l'antiquité. Sa vie fut traversée par les plus cruelles épreuves, et s'il obtint quelques rares applaudissemens, il fut souvent en butte à la persécution. Plus d'une fois il endura la faim et manqua d'asile. Alors il se comparoit à un chien qu'on a chassé du logis. « J'ai, » disoit-il,

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