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still

They live no longer in the faith of reason!
But still the heart doth need a language,
Doth the old instinct bring back the old names.
W. SCOTT.

L'Espagne a sa chronique poétique: elle est contenue dans le Romancero, ou collection des ballades historiques et romanesques des pays d'Aragon et de Castille. Ce recueil mérite d'être étudié; il faut surmonter les difficultés et le dégoût qu'opposent à ce travail, d'un côté les formes antiques d'un style rempli de mots vieillis et de tournures maintenant inusitées, de l'autre, les répétitions fréquentes, la médiocrité de certaines compositions, et le défaut de clarté d'un beaucoup plus grand nombre d'autres ; celles-ci sont pleines d'allusions à des événemens obscurs pour nous, et que les contemporains, auxquels seuls le poète avoit songé, entendoient sans aucune peine. Mais on est amplement dédommagé des fatigues légères de cette étude par les vives clartés qu'elle jette sur les moeurs, les opinions, la condition sociale

Littérature. Mars 1831.

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des Espagnols du moyen âge, et, sous quelques rapports, de tous les peuples de l'Europe occidentale aux mêmes temps. Il est bien rare que le Romancero rapporte exactement un fait historique; mais le costume dont il le revêt est toujours d'une fidélité qui lui donne maintenant un véritable prix.

On appeloit primitivement en Espagne romance, toute composition en langue vulgaire, par opposition à celles qui étoient écrites en latin (1); plus tard cette dénomination fut restreinte aux ballades héroïques ou romanesques en vers non rimés. Ces vers sont presque toujours de huit ou neuf syllabes, et le romance partagé en couplets, le plus souvent de quatre ou de six vers, quelquefois encore de douze et de seize. Il n'est pas rare qu'un refrain de deux ou de quatre vers s'adapte à la fin des longues stances; et l'écrivain réussit ordinairement à le lier, avec un véritable bonheur, à la phrase qui précède, de sorte qu'il en rehausse beaucoup l'expression poétique et qu'il en augmente l'effet.

Comme la plupart des poëmes populaires, les romances sont l'ouvrage d'auteurs inconnus; l'attention des premiers auditeurs s'est portée tout entière sur le héros de l'ouvrage, et le poète est resté dans une obscurité que maintenant on essayeroit en vain de pénétrer. Ces ménestrels des vieux temps semblent n'avoir pas songé à préserver leur mémoire de l'oubli, car ils n'ont glissé dans aucune de leurs compositions la moindre allusion à leurs noms, à leurs positions sociales, aux lieux de leur

(1) On trouve encore dans Cervantès : « A cinq ans Luisico savoit lire parfaitement en latin et en romance » c'est-à-dire en castillan.

vrage,

naissance. Le cordonnier de Lucerne ne nous a point laissé ignorer que la ballade de Sempach étoit son oule chantre d'un héros crétois du dix-hnitième siècle raconte qu'il est artisan, et que ne sachant pas lire, il versifie ses récits pour les imprimer plus facilement dans sa mémoire; il n'est pas un troubadour, pas un Minnesinger dont le nom ne décore des compositions presque toujours fort médiocres ; les auteurs des romances ont été plus discrets, quoiqu'ils eussent peut-être quelques droits à l'immortalité.

Il n'est pas facile de déterminer l'époque à laquelle chaque romance a été composée. Les derniers appartiennent à la fin du seizième siècle; les plus anciens paroissent remonter au treizième ; quelques-uns ont été traduits de l'arabe, et composés sous le règne des trois derniers souverains musulmans de Grenade, Aben-Hassan, Muley-Abdallah, et l'infortuné Boabdil, Plusieurs des rodont le roi Rodrigue est le héros, sont évidemment postérieurs à la renaissance des lettres; d'autres qui ne nous sont parvenus qu'incomplets et mutilés, portent le cachet de l'âge de la chevalerie. La même bigarrure existe dans le recueil des nombreux romances consacrés à la mémoire du Cid.

mances,

Un romance, assez récent quant à l'époque de sa composition, célèbre la résistance héroïque que les Numantins opposèrent aux armes de Scipion Emilien. Ce n'est qu'une traduction d'un passage de l'histoire romaine écrite à une époque où les classiques commençoient à être remis en honneur et à devenir l'objet d'études bien dirigées. Si l'on veut se faire une idée de la manière dont

les Espagnols du moyen âge envisageoient les grands événemens de l'antiquité, ou plutôt de la singulière confusion qui s'établissoit dans leurs obscures réminiscences des noms illustres de différens temps et de différens pays, il faut entendre le chevalier castillan Don Gonzalo Bustos de Salas raconter au roi de Cordoue Almanzor« comment Pompée <«< convia dans sa tente Darius, contre lequel il entrete«<noit une très-antique inimitié, avec batailles chaque «<jour; comment il lui offrit un grand festin et lui rendit «< libres, sans rançon, plus de dix mille prisonniers qu'il <«<lui avoit faits; comment il lui donna la vaisselle qui avoit « servi au repas; et quel honneur résulta pour Pompée « de cette preuve de sa libéralité.» Pour rendre cette leçon plus expressive, Gonzalo tue de sa main treize soldats d'Almanzor; et le prince, émerveillé de cette démonstration, ne manque pas d'imiter de point en point la conduite de Pompée envers Darius.

Nous n'examinerons ici que les romances qui se rapportent à l'histoire vraiment nationale de l'Espagne. Les plus anciens événemens qu'ils célèbrent se rattachent au règne de Rodrigue, le dernier roi goth de la péninsule espagnole et du Languedoc. Ce prince étoit livré à des passions indomptables qui causèrent, ou plutôt avancèrent la ruine de sa patrie. De mauvais augures signalèrent le début de son gouvernement; ils avoient été provoqués par son avidité qui ne respectoit pas même les mystères du tombeau.

« Le roi pénétra dans l'antique maison d'Hercule; mais au lieu du trésor qu'il croyoit y trouver, il n'aperçut qu'une inscription qui disoit : «Roi, tu l'as fait pour ton mal; car le roi qui ouvrira «cette maison, celui-là doit brûler l'Espagne.

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« Un coffre d'une richesse extraordinaire fut tiré du sein d'un pilier on y trouva des bannières inconnues, blazonnées d'étranges figures; des cavaliers légèrement armés, montés sur des coursiers dont ils ne pouvoient retenir la furie, de lourdes épées pendues à leur cou, et des arbalètes à longues portée dans leurs mains. >>

Bientôt la fille du comte Julien devint l'objet des amours coupables de Rodrigue. Plusieurs romances peignent de vives couleurs la passion ardente du roi, la foible résistance de Florinde, la fureur de son père, l'indignation de tous les nobles du sang des Goths, outragés dans la personne du plus glorieux d'entr'eux. Un de ces poëmes est terminé par des réflexions tout à la fois fines et naïves :

« Florinde perdit son innocence, Rodrigue perdit le repos, et l'Espagne perdit sa liberté par le caprice de Rodrigue. »

« Si l'on demande lequel des deux a commis la plus grande faute, les hommes disent, la Ĉava (1), les femmes répondent, Rodrigue.»

Le comte Julien appela les Maures en Espagne; la bataille de Xérès leur livra la souveraineté de toute cette contrée. Un passage du Romancero peint de vives couleurs la fuite du roi goth qui se dérobe, couvert de blessures à la poursuite des vainqueurs, pour aller trouver une mort obscure dans un coin de l'empire qui avoit cessé de lui appartenir.

« A la foible lueur de quelque étoile scintillante, qui dans ce lugubre silence, semble ne briller qu'à regret, »

« Caché sous l'apparence moins périlleuse d'un humble vêtement, qui le protège maintenant mieux qu'une couronne toujours attaquée, qu'une fortune enviée,»

<< Sans les insignes royales de l'orgueilleuse majesté, qu'un reste d'amour ponr la vie lui fit jeter au bord du Guadalète,

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(1) Cava, la méchante, épithète donnée par les Maures à la fille du comte Julien.

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