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que, l'antiquité commence à nous apparoître sous un jour entièrement nouveau ; c'est même en partie sur cette vue nouvelle de la littérature ancienne, que se fonde la révolution littéraire qui s'accomplit de nos jours. On a renoncé à imiter tout ce qui, dans l'antiquité, étoit le produit de besoins purement temporaires et locaux; on a rejeté une mythologie mal à propos introduite dans la poésie moderne ; on ne se soumet plus aux formes usées prescrites par Aristote; mais à travers le sceau de l'originalité, l'empreinte de l'esprit antique se reconnoît toujours dans les grands poètes de notre époque, même dans les littératures qu'on a appelées par excellence romantiques. Si nous consultons les grands écrivains français de toutes les époques, nous verrons que tous, dans toutes les écoles, ont recommandé l'étude des anciens. «Je vous exhorte,» écrivoit le grand Racine à son fils, « à ne pas donner toute votre attention aux poètes français; songez qu'ils ne doivent servir qu'à votre récréation et non à votre véritable étude. Ainsi je souhaiterois que vous prissiez quelquefois plaisir à m'entretenir d'Horace, de Quintilien, et des autres auteurs de cette nature. » Mr. de Châteaubriand et Mad. de Staël ont, de nos jours, exprimé la même pensée. Mr. de Châteaubriand dit dans une note sur un passage des Martyrs que l'on avoit dit être une imitation de Bossuet: «Je n'ai point cherché à ïmiter Bossuet; je crois qu'on ne doit imiter, ni ce grand écrivain, ni aucun auteur moderne. Il n'y a que les anciens qui soient modèles; eux seuls doivent être constamment l'objet de nos études et de nos efforts.»-«Nos grands écrivains » dit Mad. de Staël, «ont mis dans leurs vers

Littérature, Février 1831.

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les richesses de notre siècle; mais toutes les formes de la poésie, tout ce qui constitue l'essence de cet art, nous l'empruntons de la littérature antique, parce qu'il est impossible de dépasser une certaine borne dans les arts, même dans le premier de tous, la poésie. » L'écrivain qui a le mieux prouvé jusqu'où l'on peut s'élever en réunissant ainsi un type de perfection emprunté de l'antiquité à des pensées originales, est l'illustre et infortuné André Chénier; Chénier, né à Constantinople, d'une mère grecque, nourri dès son enfance de la littérature ancienne, novateur sans esprit de système, d'une simplicité, d'une liberté, d'une pureté antique, dont toutes les poésies respirent un parfum hellénique.

Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

Telle étoit sa devise en poésie, bien préférable, ainsi qu'on l'a déjà souvent remarqué, à celle de l'école romantique. Si une mort sanglante et prématurée n'avoit pas enlevé Chénier à la littérature et à la patrie, c'étoit lui peutêtre qui étoit destiné à accomplir une réforme devenue nécessaire dans la poésie française. Dès lors une autre tendance a envahi la littérature; mais les critiques les plus distingués de la France forment encore le même vœu qu'André Chénier. «Les plus grands génies de l'âge moderne,» a dit récemment Mr. Villemain, «loin d'avoir été submergés par leurs souvenirs de l'antiquité, ont trouvé le secret de les approprier à l'originalité de leur talent, et de reporter, comme à leur insu, par une imitation libre et instinctive, le type de la perfection antique sur des créations toutes modernes, formant ainsi par un heu

reux mélange de préceptes excellens et d'impressions personnelles, une littérature à la fois classique et originale....Les anciens sont les modèles éternels de l'art d'écrire, non pas comme anciens, mais comme grands hommes. >>

S'il est vrai que l'ancienne littérature française ne puisse plus convenir à l'époque actuelle; s'il est vrai en outre qu'après tant de siècles et tant de génies, il soit impossible de rien inventer qui soit pur de toute ressemblance et de toute imitation, ce sera encore dans l'antiquité classique, mais autrement comprise et autrement imitée, qu'il faudra chercher des modèles. Nous n'irons pas en demander à un monde tel que l'Orient, immobile, uniforme et inorganique, dépourvu de tous les caractères qui peuvent rendre avantageux à une littérature le contact avec une autre, soit pour augmenter le nombre des genres dont elle se compose, soit pour éviter les écueils qui peuvent la menacer. Tous ces avantages qu'on cherche vainement dans l'Orient, l'antiquité classique, et surtout la Grèce, nous les offre; une philosophie où, suivant l'expression de Mr. Ancillon, tout ce qui a été dit et peut se dire, au moins en fait de métaphysique, se rencontre en germe ou à un certain degré de développement; une histoire où nous voyons mises à l'épreuve toutes les combinaisons des constitutions politiques; une langue d'une immense richesse, et dont le développement organique, source féconde d'instructions pour l'histoire et la philosophie, commence seulement à être entrevu de nos jours; tels sont les sujets d'étude que nous offre la Grèce, et sur lesquels des siècles pourront diriger leur critique, sans que

la carrière tout entière soit parcourue. S'il est vrai, comme on le dit, que la langue latine, qui depuis Charlemagne a fait la base de l'instruction publique, nous ait donné presque tout ce qu'elle pouvoit nous transmettre, et que cette étude doive perdre peu à peu de son importance, il est peut-être permis d'espérer, que l'arène où l'éducation lettrée dirigera désormais la littérature et la philosophie, sera ce sol classique de la Grèce, sujet de tant d'ouvrages et de tant de recherches, et où il reste cependant tant de mines fécondes à exploiter.

Cette digression m'a éloigné de mon sujet ; j'y reviendrai dans un second article, pour indiquer l'influence que les principaux philosophes de l'Allemagne et de la France ont exercée sur la critique et sur la philologie.

A. PR.

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SUR LE BAPTÊME DU ROI HARALD, ET L'ÉTABLISSEMENT DU

CHRISTIANISME DANS LES PROVINCES DANOISES.

L'auteur de cet ouvrage est l'évêque Müntev, l'un des littérateurs les plus distingués du nord, dont l'érudition profonde, les vues étendues, le style éloquent et clair, donnent un intérêt général à un sujet qui pourroit, au premier abord, sembler n'avoir d'importance que pour sa patrie.

Les peuples qui habitent aujourd'hui la monarchie danoise, descendent de deux souches entièrement distinctes. Les habitans de la Wagrie et du Duché de Lauenbourg sont des Slaves qui n'ont adopté que long-temps après leur conversion au christianisme, la langue et les mœurs des Allemands leurs vainqueurs. Toutes les autres peuplades, dont la réunion sous de mêmes lois a formé le royaume de Danemarck, appartiennent à la grande famille Teutonique; celles du Holstein faisoient partie de la Confédération Saxonne; les autres, répandues dans les îles et sur le continent, étoient scandinaves.

La religion de la Scandinavie présentoit un caractère si frappant de ressemblance avec celle qui régnoit dans l'Inde primitive, que l'on a cru y trouver une preuve de relation de parenté entre les habitans de ces contrées si éloignées l'une de l'autre, mais dont la dernière pour

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