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«Je pourrois vous répondre,» reprit le malade, « que mon cas n'est pas un cas unique, puisque nous voyons dans le fameux ouvrage de Le Sage que le Duc d'Olivarez mourut de la même maladie morale.—Sans doute,» dit le médecin, «< il étoit poursuivi par une apparition, à la réalité de laquelle il ne croyoit pas de bonne foi; quoiqu'il ait fini par en mourir, obsédé jusques dans son agonie par la présence odieuse de ce fantôme imaginaire.—L'histoire du Dục d'Olivarez est aussi la mienne,» dit tristement le malade; «l'aprition qui me poursuit, m'est tellement en horreur qu'elle énerve ma raison et que je me sens mourir, victime du délire de ma propre imagination.»-Le médecin écoutoit avec intérêt. Bien loin de contredire le visionnaire, il se contenta de lui faire des questions plus précises sur la nature de la prétendue apparition, et sur son origine, désireux de connoître comment une si bisarre maladie avoit pú s'emparer d'un esprit sain et fortifié par des moyens intellectuels peu communs contre de pareilles attaques. Il lui répondit que la marche de la maladie avoit été graduelle et que les premières visions n'avoient été, ni désagréables, ni effrayantes.—«Elles commencèrent, »> dit-il, «il y a deux ou trois ans. C'étoit d'abord un gros chat qui apparoissoit de temps à autre et disparoissoit sans que je pusse dire comment. A la fin je fus obligé de m'avouer à moi-même que ce chat n'étoit pas un animal réel, mais une apparition fantastique qui n'avoit d'existence que dans mon cerveau. Cependant je n'avois pas pour les chats l'aversion de ce chef Ecossais qui, dit-on, devenoit de toutes les couleurs de son plaid dès qu'un de ces animaux se trouvoit dans la même chambre que lui, et cela quand bien même il ne le voyoit pas. contraire j'aime plutôt les chats, et j'avois pris mon parti de ce parasite imaginaire au point de n'y faire presque plus d'attention; quand au bout de peu de mois cette singulière apparition se changea en une autre d'un caractère plus grave, quoique tout aussi bisarre; c'étoit celle d'un gentilhomme de la chambre, vêtu comme le seroient ceux du lord Lieutenant d'Irlande, d'un lord Commissaire de l'Eglise, ou de tout autre dignitaire. Ce personnage fantastique portant l'habit de cour, la veste brodée, l'épée, le chapeau sous le bras et la

Au

bourse, se glissoit à mes côtés comme mon ombre, et soit dans ma propre maison, soit dans une maison étrangère, je le voyois monter devant moi comme pour m'annoncer dans le salon. Il se mêloit quelquefois au milieu du monde; mais personne ne sembloit se douter de sa présence c'étoit à moi seul que sembloit s'adresser cet être mystérieux. Cet inconcevable caprice de mon imagination me fit d'abord peu d'impression, quoique il fit naître dans mon esprit des craintes sur l'altération de mes facultés intellectuelles. Mais ce nouveau fantôme ne devoit me tourmenter qu'un temps limité. Au bout de quelques mois, il disparut et céda la place à une apparition horrible, car c'étoit l'image de la mort même, un squelette.... Seul ou entouré de monde, cette effroyable vision ne me quitta plus un instant. C'est en vain que je me suis dit plus de cent fois qu'elle étoit le produit imaginaire de mon cerveau malade; le lugubre emblème de la mort est là devant mes yeux et je me vois inséparablement uni, tout vivant encore, à l'habitant décharné des tombeaux. Science, philosophie, religion même, tout est sans force contre une pareille maladie, et je ne me sens que trop dépérir victime de ma propre folie, quoique fortement convaincu de la non-réalité du fantôme qui me persécute. » - Le médecin fut péniblement a a?fecté en voyant par ce récit, combien l'esprit de son malade étoit frappé de ces visions fantastiques; il eut l'idée de lui faire encore d'autres questions relatives aux circonstances particulières de chaque apparition, dans l'espoir qu'il pourroit l'amener à de telles contradictions et à des conclusions tellement opposées au sens commun, que le jugement encore sain du pauvre homme pourroit encore sortir vainqueur du combat que lui livroit son imagination égarée. —«<Ainsi donc,» reprit-il, en s'adressant à son malade qui étoit alité, «ce squelette est toujours présent à vos yeux ?--Sur la réponse affirmative du malade, il lui demanda dans quelle partie de sa chambre, il le voyoit actuellement.—«Tout juste au pied de mon lit, » lui répondit-il ; «<quand on entrouve les rideaux, le squelette me semble apparoître entre deux.-«Vous dites que vous convenez que cette apparition est imaginaire; auriez vous assez de résolution pour vous en convaincre par vous-même, en vous levant et en vous allant placer

à l'endroit même que vous croyez occupé par ce spectre familier?»Le pauvre homme secoua la tête négativement.-Eh bien,» reprit le docteur, «nous ferons l'épreuve autrement. »—Et se levant aussitôt de sa chaise, il alla se placer entre les deux rideaux du lit.—«Voyez-vous encore le spectre? Non pas entièrement,» répondit le malade, «parce que vous êtes placé entre moi et lui; mais je vois encore sa tête au-dessus de votre épaule. »—Toute la philosophie du docteur ne l'empêcha pas de faire un mouvement de frayeur, en entendant indiquer avec tant de précision le voisinage hideux où il se trouvoit. Il essaya plus tard d'autres moyens de guérison, mais également sans succès. Le malade tomba dans un abattement toujours plus profond et finit par expirer; triste et terrible exemple de l'influence destructive que peut exercer sur la santé une imagination dérangée, quelles que soient d'ailleurs la bonté du jugement et l'étendue des facultés de l'esprit.

Note sur des médailles antiques trouvées près de Genève.—En novembre dernier Mr. le Dr.Dufresne, en faisant un minage dans sa campagne près de Chêne (1), a trouvé environ cent monnoies romaines en bronze, le plus grand nombre parfaitement conservées. Presque toutes sont des empereurs Constantin-le-Grand, Constantin II, Constans, Constant II, Magnentius, Decentius, Valentinien I. Cependant il s'y trouvoit une monnoie grand-bronze d'Antonin-le-Pieux et deux de Marc Aurèle, d'une admirable conservation et un petit nombre de monnoies de Gallien et Claude-le-Gothique. Cette découverte est remarquable en ce que les monnoies de la famille des Constantins se trouvent bien rarement dans ce pays, toutes les découvertes faites depuis plusieurs années n'ayant présenté que des monnoies d'une époque antérieure.

Une découverte plus intéressante est celle faite, il y a un ou deux ans, à Bonneville, d'une figurine de Cybèle en argent, de la plus belle conservation. Cette petite statue fort rare paroît du second siècle. Elle appartient au Musée de Genève.

(1) A une demi-lieue de Genève, sur la route de Bonneville.

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ARISTOPHANES ET SON SIÈCLE; Dissertation philologique et philosophique dédiée à Hegel et à Boeckh; par T. RÖTSCHER. Berlin 1827.

Einige Wörter, etc. Quelques mots sur l'influence de la nouvelle philosophie spéculative sur la philologie, à l'occasion de l'ouvrage de Mr. Rötscher, par Fr. HERMANN. Heidelberg 1829.

(Premier article.)

On assure que le savant Meiners, après avoir consacré sa carrière entière à l'étude de l'antiquité, déclaroit à la fin de sa vie que le temps qu'il avoit employé à ce genre de travaux, avoit été presque entièrement perdu, et prédisoit la décadence prochaine de la science philologique en Allemagne. Dans les vingt années qui se sont écoulées de puis la mort de Meiners, nous avons vu la philologie, bien loin de réaliser ses prévisions, acquérir en Allemagne toujours plus de lustre et d'importance. Ce fait, si contraire à la prédiction d'un homme que cette étude avoit illustré, me paroît ne trouver son explication que dans le changement radical qui s'est opéré en Allemagne

Littérature, Février 1831.

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dans la science de l'antiquité, principalement par l'influence des systèmes philosophiques. Meiners, ainsi que son collègue et son panégyriste Heyne, appartenoit à une école qui repoussa toujours la légitime influence que les systèmes philosophiques doivent exercer sur les sciences pratiques. Aujourd'hui cette autorité ne peut plus être récusée ; l'alliance entre la philosophie et la philologie est définitivement conclue; ce sont les résultats de ce changement introduit dans la science de l'antiquité, que je me propose de présenter dans cet article, à l'occasion de l'ouvrage de Mr. Rötscher, qui est une tentative pour appliquer à la philologie le dernier grand système philosophique qui ait paru en Allemagne, celui de Hegel.

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Il importe, avant tout, de préciser la signification que nous donnons au mot de philologie qui a été jusqu'ici employé en France d'une manière assez indéterminée. Le mot grec logos, d'où dérive celui de philologue trois significations: raison, instruction et langage. De là trois acceptions différentes données à diverses époques au mot philologue. Il a signifié :—1° Un homme de lettres. un homme dont l'esprit est cultivé; c'est le sens qui a été quelquefois donné à ce mot dans l'antiquité, et c'est celui que lui attribue l'ancien langage français (1): -2oUn homme qui fait des recherches longues et profondes, un savant, un érudit. C'est en ce sens qu'Eratosthène, savant d'Alexandrie, fut appelé philologue; il le fut, nous dit Suétone, à cause de l'universalité de ses connoissances.

(1) Rabelais appelle Homère, le parangon (le modèle) de tous les philologues.

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