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le premier jour de l'épreuve; elle a été introduite dans son humble habitation, elle a été occupée tout le jour à la mettre en ordre; elle doit avoir connu pour la première fois la fatigue d'un travail domestique; elle s'est vue pour la première fois dans une maison dénuée de choses élégantes et presque nécessaires pour elle; peut-être maintenant est-elle fatiguée, épuisée, peut-être anticipe-t-elle sur la perspective de sa pauvreté future. »

Il y avoit dans ce tableau un degré de probabilité qui m'effraya, et comme je ne pouvois le contredire, nous continuâmes à marcher en silence. Bientôt quittant la grande route, nous prîmes un sentier étroit, ombragé d'arbres extrêmement touffus qui donnoient un air de solitude à la maison de mon ami que nous commencions à apercevoir. Elle étoit en apparence assez humble pour servir d'asyle au plus pastoral des poètes; cependant rien n'y blessoit la vue. Un épais feuillage de vigne sauvage dépassoit un des côtés de la maison et s'entrelaçoit gracieusement à quelques arbres voisins. J'aperçus quelques vases de fleurs arrangés avec goût sur la porte, et sur le gazon de la terrasse. Une petite porte ouvroit sur un sentier tournant qui conduisoit à la maison. En approchant nous entendimes de la musique. Leslie saisit mon bras, et nous nous arrêtâmes pour écouter; c'étoit Marie qui chantoit de la manière la plus touchante un air que son mari aimoit passionnément. Je sentis la main de Leslie trembler sur mon bras; il avança de quelques pas pour entendre plus distinctement, et fit en marchant un léger bruit sur le gravier. Aussitôt nous vîmes paroître à la fenêtre une belle figure qui s'éclipsa incontinent, et Marie

vola à notre rencontre : elle étoit vêtue très-simplement, et pourtant avec élégance, ses joues étoient animées de superbes couleurs, un sourire vraiment céleste brilloit sur son visage, je ne lui avois jamais vu un regard si tendre. - «Mon cher George,» s'écria-t-elle, «je suis si contente que vous arriviez! Je vous attendois avec impatience, j'ai couru bien souvent à la petite porte pour voir si vous veniez. J'ai mis une table sous un grand arbre derrière la maison, et j'ai été cueillir de nos plus belles framboises; car, mon ami, je sais que vous les aimez; nous avons de l'excellente crême; tout est si bon et si agréable ici. » — - Puis passant son bras dans celui de son mari, et le regardant d'un air enjoué ;- --- «Ah! » dit-elle, « nous allons être si heureux ! »

Le pauvre Leslie étoit hors de lui, il la pressoit sur son cœur, il passoit ses bras autour d'elle, il l'embrassoit; mais les larmes l'empêchoient de prononcer une parole. Il m'a souvent assuré que, quoiqu'il eût recouvré dès-lors une situation brillante, et que sa vie eût été une vie heureuse, jamais il n'avoit goûté un moment d'une félicité aussi parfaite.

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Le Globe de l'année dernière a publié une suite d'articles assez intéressans sur le célèbre philosophe Kant: l'opuscule dont nous présentons ici un extrait et dans lequel le Descartes allemand dit quelques mots de lui-même et de son tempérament, nous paroît mériter également l'attention de nos lecteurs.

Un journal littéraire seroit-il moins utile en reproduisant des choses anciennes et intéressantes, mais peu connues, vant à la piste les nouveautés les plus récentes?

qu'en sui

L'hygiène, ou l'art de conserver sa santé et de se passer du médecin est une science d'un intérêt universel, et où l'homme de génie qui s'observe a le droit de déposer le fruit de son expérience. Voyez Franklin, contemporain de Kant, et dont la vie voyageuse et active n'a pas laissé peut-être de traces plus profondes dans les idées et le développement moral de l'homme que l'existence contemplative et sédentaire du philosophe de Königsberg : qui n'a lu ses observations sur l'utilité des bains d'air, ses essais du régime pythagoricien dont il eut la sagesse de se dégoûter et dont Volney a eu la patience de mourir? Franklin s'est occupé d'hygiène toute sa vie, parce qu'il avoit la passion du perfectionnement et de l'observation, et qu'on ne peut guère améliorer son âme si on laisse le corps se détériorer.

La force de la raison humaine dont Kant se faisoit une si baute idée et dans laquelle il cherchoit un remède à bien des maux, est une vérité bienfaisante que trop de gens méconnoissent par ignorance et que beaucoup d'autres oublient par paresse ou rejettent par esprit de système. N'est-il pas utile de la leur rappeler et de la leur prouver par des faits?

Vous avez peut être entendu parler de la Macrobiotique du mé

decin Hufeland, ou l'art de vivre long-temps, ouvrage qui a veilli comme tant de livres de médecine, mais où le moraliste peut trouver encore d'excellentes choses. Hufeland l'envoya à son ami Kant qui étoit alors fort vieux : celui-ci, pour remercier le docteur, lui écrivit la lettre dont nous tirons l'extrait suivant, et dans laquelle il établit d'abord le principe fondamental de son hygiène ou diététique. «La diététique,» dit-il, «ne doit pas être fondée sur le principe du bien-être ou de la plus grande commodité; car en épargnant ses forces, en évitant toute sensation pénible, on tombe dans un état de débilité ou de mollesse, et le manque d'exercice éteint graduellement le principe de la vie. Le stoïcisme, (sustine et abstine), est donc un principe d'hygiène, et s'il existe une médecine empirique ou mécanique qui cherche hors de nous-mêmes et dans des moyens corporels des remèdes à nos maux, il est aussi une médecine philosophique qui montre à l'homme dans la force de sa raison le moyen de se rendre maître de ses sensations par un principe puisé en lui

même. »>

« Ces habitudes pernicieuses de mollesse que condamne l'hygiène, consistent principalement dans la recherche de la chaleur, du sommeil, et dans les soins excessifs que l'on prend de soi sans être malade.»

« Ma propre expérience, »> dit le philosophe, «ne me permet pas de souscrire à cet axiôme si souvent répété, de tenir la tête et les pieds chauds; je trouve au contraire plus sage de conserver froides ces deux parties du corps (les Russes y ajoutent la poitrine), et cela précisément pour éviter de m'enrhumer. Il est sans doute plus agréable de se laver les pieds dans l'eau tiède que de les tenir, surtout en hiver, dans l'eau froide à la glace; mais, par ce dernier moyen, on évite le relâchement des vaisseaux sanguins dans des parties si éloignées du cœur, relâchement qui, chez les vieillards, peut entraîner d'incurables maux de pieds. C'est le ventre que je serois d'avis de tenir chaud, principalement par un temps froid; il suffit de réfléchir aux fonctions importantes de cet organe pour reconnoître l'utilité d'une précaution que je recommande comme un principe d'hygiène et non comme une recherche de bien-être; sans doute la large bande avec laquelle les anciens avoient coutume de se serrer le

bas-ventre et d'en soutenir les muscles, se rapportoit à cette destination, bien qu'elle n'eût pas proprement celle de conserver la chaleur. >>

« Dormir long-temps, ou beaucoup, et à plusieurs reprises, l'aprèsmidi, par exemple, est sans doute un moyen de s'épargner bien des peines attachées à l'état de veille. Il est assez singulier de souhaiter une longue vie pour en passer la plus grande partie à dormir. Mais on manque son but en recherchant dans cette douce habitude un moyen de prolonger la vie; car l'alternative des momens de réveil et de sommeil, dans les longues nuits d'hiver, est débilitante pour tout le système nerveux, et en épuise la force par un repos trompeur. L'amour du bien-être est encore ici une cause qui abrège la vie. Le lit est le nid d'une foule d'infirmités.»

« Se soigner ou se faire soigner dans la vieillesse, sans autre but que de ménager ses forces et de prolonger son existence en évitant certaines incommodités, comme celle de sortir par le mauvais temps, ou en faisant faire par d'autres un travail dont on pourroit s'acquitter soi-même, c'est agir à contre-sens et se préparer une caducité prématurée. »>

Kant établit ensuite que des occupations intellectuelles qui impriment à l'âme une activité indépendante des objets extérieurs, et telles sont éminemment les mathématiques et les recherches de la philosophie, sont propres à entretenir la force vitale et à prolonger la vie. D'ailleurs des amusemens futiles peuvent rendre le même service à un esprit borné, pourvu qu'il jouisse d'une condition exempte d'inquiétude, et les gens qui ont toujours beaucoup de riens à faire, arrivent ordinairement à un âge assez avancé. Un homme très-vieux trouvoit un grand intérêt à faire sonner, les unes après les autres et jamais deux à fois, un grand nombre de pendules établies dans sa chambre, et ce soin dans lequel il se faisoit aider par un horloger qu'il payoit pour cela, suffisoit pour l'occuper. Un autre prenoit le même plaisir à nourrir et à soigner ses oiseaux, et remplissoit ainsi le temps que lui laissoient ses propres repas et le sommeil. Une femme riche et d'un grand âge faisoit un passe-temps de son rouet, et du babil insignifiant dont elle l'accompagnoit; dans les derniers mois de sa vie elle se trouvoit malheureuse de ne plus sentir le fil entre

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