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Nos poètes d'aujourd'hui doutent-ils moins de leur génie? nous ne le pensons guère; mais ils n'en parlent pas autant, et c'est toujours un sentiment de convenances.

Le ton de cette pièce était peu propre à apaiser les ennemis de Corneille; une Défense du Cid, qui parut dans le même temps, et qui lui fut attribuée, les ameuta de nouveau contre lui (4); alors on vit se succéder rapidement les pamphlets contre la tragédie nouvelle; quelques amis restés fidèles à l'auteur prirent d'un autre côté sa défense; le nombre comme le peu d'intérêt de ces écrits nous font une loi de n'en rendre qu'un compte succinct.

On vit d'abord paraître l'AUTHEUR du vrai Cid

ESPAGNOL A SON TRADUCTEUR FRANÇAIS, sur une

lettre en vers qu'il a fait imprimer, intitulée: ExCUSE A ARISTE, où, après cent traits de vanité, il dit de soi-même :

Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée

Cette pièce, qui ne se compose que de six stances, et n'est par conséquent guère plus longue que son titre, est terminée par ces quatre vers, souvent répétés dans les pamphlets qui la suivirent :

1. In-4 de 4 pages (1637).

Ingrat, rends-moi mon Cid jusques au dernier mot;
Après tu connaîtras, Corneille déplumée,

Que l'esprit le plus vain est souvent le plus sot,
Et qu'enfin tu me dois toute ta renommée.

Corneille, peu heureux en amitié, découvrit encore qu'un homme qui en faisait profession auprès de lui était l'anonyme rimeur de cette attaque, et lui répliqua par le rondeau suivant, qui se sent du juste dépit de l'auteur et de la liberté du temps:

Qu'il fasse mieux, ce jeune jouvencel,
A qui le Cid donne tant de martel,
Que d'entasser injure sur injure,
Rimer de rage une lourde imposture,
Et se cacher ainsi qu'un criminel.

Chacun connaît son jaloux naturel,

Le montre au doigt, comme un fou solennel;
Et ne croit pas, en sa bonne écriture

Qu'il fasse mieux.

Paris entier ayant vu son cartel

L'envoie au diable et sa muse au b.....;
Moi, j'ai pitié des peines qu'il endure,
Et, comme ami, je le prie et conjure,
S'il veut ternir un ouvrage immortel,
Qu'il fasse mieux (5).

1

Ce fou solennel était Mairet 1 (6), dont le nom se

1. Advertissement au Besançonnais Mairet, 1637, p. 3.

représentera plus d'une fois dans cette guerre. Claveret (7), qu'on y verra également figurer, foulant aux pieds, comme Scudéry et Mairet, les lois de l'amitié, s'était chargé platement de distribuer la triste méchanceté de ce dernier. Corneille, en se reportant à leur ancienne liaison, fut vivement piqué de ce mauvais procédé '. Les frères Parfait disent que Claveret, pour faire oublier ses torts, avait fait paraître un Examen de ce qui s'est passé pour et contre LE CID, avec un traité de la disposition du poëme dramatique et de la prétendue règle de vingt-quatre heures '. Cet écrit ne porte pas de nom d'auteur, et l'on n'y lit rien qui puisse faire présumer qu'il soit de Claveret. Dans tous les cas, nous ne voyons pas comment une longue et ennuyeuse rapsodie pourrait tenir lieu d'excuses et de bonnes raisons (8); Corneille, on le verra bientôt, partagea cet avis.

La jalousie qui tourmentait Scudéry ne lui permit pas de s'en tenir à ses Observations. Regardant la Défense du Cid comme une offense pour lui, il obsédait Corneille de plaintes et de

1. Lettre du sieur Claveret au sieur Corneille, soy-disant autheur du Cid; Paris, 1637, p. 5.-Histoire du Théâtre Français, t. v, p. 257.

2. In-4 de 104 pages; A Paris, imprimé aux dépens de l'auteur – Histoire du Théâtre Français, loco cit.

fanfaronnades. Celui-ci, fatigué des unes et des au tres, lui répondit par une Lettre apologétique': « Il ne vous suffit pas, lui écrivait-il, que votre libelle me déchire en public; vos lettres me viennent quereller jusque dans mon cabinet, et vous m'envoyez d'injustes accusations lorsque vous me devez pour le moins des excuses. Je n'ai point fait la pièce qui vous pique; je l'ai reçue de Paris avec une lettre qui m'a appris le nom de son auteur..... Tout ce que je vous puis dire, c'est que je ne doute ni de votre noblesse, ni de votre vaillance.... Il n'est pas question de savoir de combien vous êtes noble ou plus vaillant que moi pour juger de combien le Cid est meilleur que l'Amant libéral..... Ne vous êtes-vous pas souvenu que le Cid a été représenté trois fois au Louvre et deux fois à l'hôtel de Richelieu? Quand vous avez traité la pauvre Chimène d'impudique, de prostituée, de parricide, de monstre, ne vous êtes-vous pas souvenu que la reine, les princesses et les plus vertueuses dames de la cour et de Paris l'ont reçue et caressée en fille d'honneur? Quand vous m'avez reproché mes vanités et nommé le comte de Gormas un capitan de comédie, vous ne vous êtes pas sou

1. Lettre apologétique du sieur Corneille, contenant sa réponse aux Observations faites par le sieur Scudéry sur le Cid, 1637; in-4 de 14 pages.

venu que vous avez mis un A qui lit au devant de Ligdamon (9), ni des autres chaleurs poétiques et militaires, qui font rire le lecteur dans tous vos livres.......

presque

de

« Vous m'avez voulu faire passer pour simple traducteur, sous ombre de soixante et douze vers que vous marquez sur un ouvrage de deux mille, et que ceux qui s'y connaissent n'appelleront jamais de simples traductions. Vous avez déclamé contre moi, pour avoir tu le nom de l'auteur espagnol, bien que vous ne l'ayez appris que moi, et que vous sachiez fort bien que je ne l'ai célé à personne, et que même j'en ai porté l'original en sa langue à monseigneur le cardinal, votre maitre et le mien. Enfin, il n'a pas tenu à vous que du premier lieu, où beaucoup d'honnêtes gens me placent, je ne sois descendu audessous de Claveret. Et, pour réparer des offenses si sensibles, vous croyez faire assez de m'exhorter à vous répondre sans outrage.... Je ne suis point homme d'éclaircissement, vous êtes en sûreté de ce côté-là. »

Scudéry répliqua à la réponse de Corneille par un écrit intitulé: Lettre de M. de Scudéry à l'illustre Académie'. Après avoir remercié Corneille de l'avoir fait connaître comme l'auteur

1. Paris, 1637, in-4 de 11 pages.

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