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bras et des jambes cassés en cette rencontre. On ne peut pas mieux savoir cette histoire que je la sais : il me l'a racontée lui-même.

«L'abbé Brigalier avait donné jour à plusieurs dames et autres personnes de Lyon pour leur faire voir le diable. Le jour venu, il était fort embarrassé de quelle manière il s'acquitterait de sa promesse; et l'heure du rendez-vous s'approchait, lorsqu'il rencontra dans les rues un petit gueux presque tout noir de l'ardeur du soleil. Il en eut de la joie, disant qu'il pourrait lui fournir le moyen de sortir de l'embarras où il était. Il lui demanda s'il voulait gagner un écu. Le petit gueux répondit qu'il ne demandait pas mieux, et ce qu'il fallait faire pour cela. L'abbé l'emmena chez lui, et le rendit encore plus noir en le faisant barbouiller de noir à noircir. Il y avait en sa chambre un tableau qui représentait le diable, lequel n'était pas trop élevé; il fit faire une niche derrière, qui fut achevée en deux heures de temps, presqu'à l'heure qu'il avait donnée; il y fit monter le petit gueux dans l'état qu'il l'avait fait ajuster, et lui dit d'y demeurer jusqu'à ce qu'il fît un certain signal. Ceux qui devaient être du spectacle vinrent; et lorsqu'ils furent tous arrivés, l'abbé Brigalier se mit à faire quelques cérémonies, et donna le signal. En même temps le petit gueux poussa le cadre du tableau, se jeta en bas, courut au travers de la compagnie, et disparut à la faveur d'une tapisserie, en se jetant dans une porte qu'elle cachait. Ce fut alors qu'il y eut des bras et des jambes cassés; car tous les spectateurs étant épouvantés, comme on peut se l'imaginer, il y en eut qui se jetèrent par les fenêtres; mais je ne finirais pas si je racontais une infinité d'autres tours de l'abbé Brigalier. Il est mort peu de temps après feu Mademoiselle. »

LIVRE DEUXIÈME.

(1) Dans sa Bibliothèque française (Paris, 1664, p. 185), Sorel dit que « il y a des mémoires de ce temps-là qui ne sont pas imprimés, lesquels trouvent une cause plus fine de l'aversion que le cardinal concevait pour le Cid, et de l'inclination qu'il témoignait pour l'Amour tyrannique (de Scudéry); c'est que dans le premier il y avait quelques paroles qui choquaient les grands ministres, et dans l'autre il y en avait qui exaltaient le pouvoir absolu des rois, même sur leurs plus proches... » Mais comme le Cid est de 1636, et que l'Amour tyrannique n'est que de 1638, il suit de là que, quoi qu'en dise Sorel, le cardinal avait pris parti contre l'un, bien avant de pouvoir lui préférer l'autre.

(2) Nous avons sous les yeux deux éditions de ce libelle, toutes deux de 1637; l'une porte sur le titre : OBSERVATIONS SUR LE CID, à Paris, aux despens de l'auteur; l'autre : LES FAUTES REMARQUÉES EN LA TRAGI-COMÉDIE DU CID, à Paris, aux despens de l'auteur. Dans cette dernière ce n'est que le second feuillet qui porte: Observations sur le Cid.

(3) Scudéry (George de), né vers 1601, au Havre, d'une famille provençale, suivit d'abord la carrière des armes qui était celle de son père. Il dit à son lecteur, dans la

préface de Lygdamon : « Dans la musique des sciences. je ne chante que par nature; je suis né d'un père qui, suivant l'exemple des siens, a passé tout son âge dans les charges militaires, et qui m'avait destiné dès ma naissance à une pareille forme de vivre...; ne pensant être que soldat, je me suis encore trouvé poète. Ce sont deux métiers qui n'ont jamais été soupçonnés de bailler de l'argent à usure.... or, ces neuf jeunes pucelles de trois ou quatre mille ans, qui ne donnent que de l'eau à boire à leurs nourrissons, les laissaut dans la nécessité de chercher du pain ; ces filles, dis-je, qui n'ont pour biens meubles que des luths et des guitares, m'ont dicté ces vers, que je t'offre, sinon bien faits, au moins composés avec peu de peine... C'était là, comme on sait, le moindre défaut de cet auteur à la fertile plume.

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Dans la préface d'Arminius, Scudéry dit en parlant d'une de ses tragi-comédies : « Nous voici arrivés à ce bienheureux Prince déguisé qui fut si long-temps la passion et les délices de toute la cour; jamais ouvrage de cette sorte n'eut plus de bruit, et jamais chose violente n'eut plus de durée. Tous les hommes suivaient cette pièce partout où elle se représentait; toutes les dames en savaient les stances par cœur; et il se trouve encore aujourd'hui mille honnêtes gens qui soutiennent que je n'ai jamais rien fait de plus beau. » Tant de ridicule ne pouvait se soustraire à la satire de Boileau: Bienheureux Scudéry! s'écrie-t-il,

Tes écrits, il est vrai, sans art et languissans,
Semblent être formés en dépit du bon sens

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre, et des sots pour les lire,
Et quand la rime enfin se trouve au bout des vers,
Qu'importe que le reste y soit mis de travers.

Quoiqu'il n'eût pas encore chanté le vainqueur des vainqueurs de la terre, il fut élu à l'Académie, en 1650, à la place de Vaugelas. Poète-guerrier, il se vit pourvoir également du gouvernement du fort de Notre-Dame-de-laGarde, poste assez peu assujétissant, si l'on en croit Chapelle et Bachaumont, qui ont dit dans leur Voyage:

C'est Notre-Dame-de-la-Garde,
Gouvernement commode et beau,
A qui suffit, pour toute garde,
Un suisse avec sa hallebarde,
Peint sur la porte du château.

Scudéry mourut à Paris le 14 mai 1667. Mademoiselle de Scudéry, sa sœur, à laquelle ses romans et sa Carte de Tendre donnèrent une si grande célébrité, survécut à son frère et à son siècle; elle ne mourut que le 2 juin 1701, âgée de quatre-vingt-quatorze ans.

(3 bis) 1 Voltaire et M. Guizot ont dit que la publication de l'Excuse à Ariste était antérieure au Cid. Le silence que Scudéry garde sur cette épître dans ses Observations, où il n'eût pas manqué de la tourner en ridicule, comme il le fait dans sa Lettre à l'illustre Académie, si elle n'eût pas été postérieure au premier de ces pamphlets, nous mettait déjà en garde contre cette assertion. La lecture des autres libelles du temps nous a donné la certitude que l'Excuse à Ariste a paru, non-seulement après le Cid, mais après les Observations de Scudéry (voir Lettre du sieur Claveret au sieur Corneille, soy-disant auteur du Cid, 1637, p. 8).

(4) Cette Défense du Cid, à laquelle il est fait allusion dans plusieurs des pamphlets dont nous aurons bientôt

1. Cette note se rapporte à la page 72, où le renvoi n'est pas indiqué.

occasion de parler, notamment dans la Lettre apologétique du sieur Corneille, 1637, est mentionnée t. 1, p. lxxix du Théâtre de Corneille, édit. de 1747, et t. v, p. 256 de l'Histoire du Théâtre Français (par les frères Parfait), et avant cela dans les Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres (voir t. xx, p. 88 et suiv). Nous devons avouer qu'elle a échappé à toutes nos recherches, et nous ne l'avons même vu mentionner nulle part de manière à croire que ceux qui en ont parlé aient été plus heureux que nous. Ainsi Niceron, qui, eu citant la plupart des pamphlets publiés à l'occasion du Cid, donne exactement le nombre de pages de chacun de ceux qu'il cite, ne le fait pas pour la Défense du Cid, et s'il en indique le format, c'est qu'en indiquant celui dans lequel furent imprimées toutes les autres pièces de cette discussion, il aura cru pouvoir donner comme une certitude une conjecture assez vraisemblable.

(5) Ce rondeau fut d'abord imprimé sur un feuillet volant, format in-4, avec cette épigraphe :

Omnibus invideas, livide, nemo tibi.

Postérieurement Corneille le fit réimprimer à la suite de l'Excuse à Ariste, sur un feuillet double, quand cette dernière pièce fut devenue le texte des reproches de ses ennemis.

(6) L'éditeur des OEuvres diverses de P. Corneille, Paris, 1738, Granet, a dit que ce rondeau était dirigé contre Scudéry; Voltaire l'a répété d'après lui, et tous les autres éditeurs d'après Voltaire. Ils n'avaient remarqué, ni les uns ni les autres, que ce fou solennel, qui rimait de rage une lourde imposture, ne pouvait s'appliquer à l'au

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