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ans, il avait requ de celui-ci le nom de maître, parce qu'il l'avait précédé à la scène, où il s'était déjà fait applaudir deux fois avant le succès de Mélite. Venceslas (1647) et surtout sa mort héroïque (voir précédemment, pag. 164) ont immortalisé son nom..

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(16) «J'ai déjà dit qu'il (Richelieu) n'aimait que les vers. Un jour qu'il était renfermé avec Desmarets, il lui demanda : « A quoi pensez-vous que je prenne le plus de <«< plaisir? - A faire le bonheur de la France, lui répondit « Desmarets. Point du tout, répliqua-t-il, c'est à faire <«< des vers..... » Il ne faisait que des tirades pour des pièces de théâtre; mais quand il travaillait il ne donnait audience à personne. D'ailleurs il ne voulait pas qu'on le reprît. « Une fois L'Estoile, moins complaisant que les <«< autres, lui dit le plus doucement qu'il put, qu'il y avait quelque chose à refaire à un vers (ce vers n'avait seule«ment que trois syllabes de plus qu'il ne lui fallait). — <«< La, la! M. de L'Estoile, lui dit-il, comme s'il eût été «< question d'un édit, nous le ferons passer. » (Mémoires de Tallemant des Réaux, manuscrit faisant partie de la bibliothèque de M. de Châteaugiron.)

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(17) Le Segraisiana (édit. de 1723, p. 37 et suiv.) contient sur l'abbé Brigalier les détails suivans qui pourront donner une idée de la force des préjugés à cette époque :

« L'abbé Brigalier, aumônier de feu Mademoiselle, dépensa quarante mille écus pour devenir magicien, et ne put en venir à bout. Étant à Compiègne, où était la cour, une dame, qui avait acheté une pièce d'étoffe rouge pour une verte, s'adressa à lui, sur sa réputation de magicien, afin qu'il la changeât en la couleur qu'elle souhaitait. L'abbé Brigalier, qui ne voulait pas perdre cette réputation, acheta une pièce d'étoffe verte, et la donna à cette dame

qui lui avait mis la rouge entre les mains, en lui faisant accroire qu'il l'avait changée en cette couleur. Il a fait une infinité de tours qui ont surpris bien des gens; mais il n'y avait que beaucoup d'adresse.

« Mademoiselle de Montauban, qui prenait beaucoup de plaisir à tout ce que faisait cet abbé, en entretenait sérieusement le comte des Chapelles, qui avait beaucoup d'esprit ; et ce comte, qui avait de la peine à croire ce qu'elle lui disait, la priait de même de lui faire voir quelques-uns de ces tours pour le tirer de son incrédulité. Dans le même temps l'abbé Brigalier entra, et mademoiselle de Montauban lui ayant fait part de quoi elle entretenait le comte des Chapelles, elle ajouta qu'il fît quelque chose pour l'amour d'elle, afin de satisfaire la curiosité qu'il avait de voir quelques-unes des merveilles de la science qu'il possédait. L'abbé Brigalier répondit : « Vous savez bien, mademoiselle, que je n'oserais plus me prévaloir des talens que j'ai, et que monseigneur l'archevêque de Paris m'a menacé de m'interdire si je continuais de faire ce que vous me demandez, » Cette excuse donna an comte des Chapelles plus de curiosité de voir quelque chose qu'il n'en avait auparavant; et il dit à l'abbé Brigalier: « Vous voulez bien, monsieur, que je joigne mes prières à celles de mademoiselle; je n'ai pas moins de discrétion qu'elle en peut avoir, faites quelque chose pour l'amour de moi, je vous promets que cela ne sera qu'entre nous, et que personne

n'en saura rien. >>

« L'abbé Brigalier s'excusait toujours sur le grand danger anquel il s'exposerait, lorsque mademoiselle de Vermisson, qui était fort belle et bien faite, entra dans la chambre tout en pleurs. Mademoiselle de Montauban faisant l'étonnée (car tout ceci était un jeu fait), lui demanda ce qui

lui était arrivé pour être si affligée. Mademoiselle de Vermisson, qui faisait bien son personnage, répondit avec des sanglots : «Eh! mademoiselle, comment ne voulez-vous pas que je sois affligée! mon petit moineau vient de mourir. -Eh bien! répondit mademoiselle de Montauban, voilà de quoi pleurer! ne voilà-t-il pas M. l'abbé qui le ressuscitera? Il a déjà fait des choses qui ne sont pas moins surprenantes, puisqu'il a changé un poulet en un coq d'Inde.»

«L'abbé Brigalier répliqua : « Je n'en ferai rien; et puis est-ce qu'il est possible de ressusciter un oiseau qui est mort? - Vous n'y songez pas, M. l'abbé, reprit mademoiselle de Montauban, vous savez faire des choses bien plus surprenantes : il n'y a pas tant de façon, il faut que vous le ressuscitiez; vous ne voudriez pas faire le déplaisir à mademoiselle de Vermisson, qui est de vos amies, de la laisser dans l'affliction où elle est de la perte qu'elle vient de faire.-Mademoiselle, dit l'abbé Brigalier, il faut donc tâcher de vous contenter; » et, en s'adressant à mademoiselle de Vermisson, il lui demanda si elle avait une urne. « Qu'est-ce qu'une urne? reprit mademoiselle de Vermisson. Une urne, répondit gravement l'abbé Brigalier, est un vase dans lequel les anciens conservaient les cendres de leurs morts; il faut bien rendre les derniers devoirs à ee petit oiseau dans les formes, avant que de le ressusciter.

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- Comment faire? reprit mademoiselle de Vermisson, nous n'avons point d'urne. -On y peut suppléer, repartit l'abbé Brigalier. N'avez-vous pas un vase de faïence avec un couvercle? Nous n'avons pas non plus de vase de faïence tel que vous le demandez, répliqua mademoiselle de Vermisson. Vous avez donc une boîte de confitures? reprit l'abbé-Brigalier. Pour une boîte de confitures, dit mademoiselle de Vermisson, nous en avons. — - Apportez-la

donc, reprit l'abbé Brigalier, cela suffira. » La boîte de confitures était toute prête, et mademoiselle de Vermisson l'ayant apportée, le comte des Chapelles examina bien la boîte, et ayant observé qu'il y avait des taches d'encre dessus, il dit en lui-même : « On ne me trompera pas. » L'abbé Brigalier prit le petit moineau mort, et l'ayant mis dans la boîte, il la ferma de son couvercle, et demanda un ruban noir vierge. Mademoiselle de Vermisson, qui était faite au badinage, dit qu'elle ne savait pas ce que c'était qu'un ruban vierge. L'abbé, sans s'émouvoir, dit que c'était un ruban qui n'avait pas encore servi. Le ruban fut apporté, et l'abbé lia la boîte qu'il mit ensuite dans un tour qui répondait dans un couvent de religieuses, avec lesquelles mademoiselle de Montauban avait communication par sa chambre. Tenant le ruban par un bout, il tourna l'ouverture du tour du côté des religieuses, qui étaient d'intelligence, et qui substituèrent promptement et adroitement une autre boîte semblable, où il y avait un petit moineau vivant, et renvoyèrent l'ouverture du tour du côté de la chambre de mademoiselle de Montauban. L'abbé Brigalier, qui cependant avait marmotté quelques paroles, prit la boîte, ôta le ruban, et comme il l'ouvrit doucement, le moineau ne fit d'abord paraître qu'un pied qu'il étendit. Mademoiselle de Montauban et mademoiselle de Vermisson crièrent aussitôt miracle. L'abbé Brigalier, avec un air sérieux, demanda du sel qui était tout prêt; il en frotta le bec du moineau, qui se mit à piailler d'abord qu'il en eut senti l'acrimonie; ensuite il pria le comte des Chapelles de garder le secret qu'il lui avait promis; mais le comte des Chapelles ne put s'empêcher de dire au souper du roi, que l'abbé Brigalier avait ressuscité un moineau, et qu'il l'avait vu de ses propres yeux.

M.

****

« Pour ce qui est du poulet changé en coq d'Inde, voici en peu de mots comme cela arriva. M. soutenait à l'abbé Brigalier qu'il ne croyait rien des miracles qu'on disait qu'il faisait. L'abbé Brigalier, qui était préparé, lui dit : « Monsieur, vous seriez bien étonné si je vous faisais paraître un poulet au milieu de cette chambre. » **** continuant de le railler, et lui disant qu'il n'était pas dupe, l'abbé ne fit que secouer sa soutane, et un poulet, qu'il tenait caché, étant aussitôt tombé à ses pieds se mit à courir par la chambre. Ce qu'il y eut de plaisant fut que M.**** tira son épée d'abord qu'il vit le poulet. L'abbé Brigalier se mettant d'abord sur son quant-à-moi, la main sur le côté, lui dit : « Savez-vous, monsieur, que ceci n'est point un jeu ?» et M.**** rengaîna. Le poulet se sauva dans le couvent par un trou; et une demoiselle, regardant par une fenêtre, s'écria : « Ah! mon Dieu! voilà un poulet grand comme un coq d'Inde. » Le bruit courut à la cour que l'abbé Brigalier avait changé un poulet en coq d'Inde. La reine le crut elle-même, et elle dit à Mademoiselle, avec un grand sérieux, en méchant français, car elle était nouvellement arrivée en France : « Savez-vous bien, ma cousine, que vous ne devriez point garder cet aumônier que vous avez, qui change des poulets en coq d'Inde? » Quatre ou cinq jours après M. l'abbé de Cambray, qui vient d'entrer en quartier d'aumônier auprès de Mademoiselle, étant entré dans la chambre de la reine avec elle, la reine lui demanda si c'était l'aumônier au coq d'Inde. Cela ne fut pas agréable à l'abbé. Mademoiselle répondit à la reine que ce n'était pas lui, mais un autre de ses aumôniers qui venait d'entrer en quartier.

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Tout le monde a cru à Lyon que l'abbé Brigalier avait fait voir le diable en bonne compagnie; et il y eut bien des

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