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Mais après Attila,

Hola!

dit le satirique, qui écrivait encore un an après :

Un clerc, pour quinze sols, sans craindre le holà,
Peut aller au parterre attaquer Attila,

Et si le roi des Huns ne lui charme l'oreille,
Traiter de visigoths tous les vers de Corneille 1.

2

L'auteur du Bolæana a prétendu que Corneille avait vu dans cet hélas! et dans ce holà! un double jugement qui, à ses yeux, ne laissait pas d'être flatteur; qu'il avait pensé que ces exclamations << voulaient exprimer l'une la pitié qu'excite la première de ces pièces, l'autre le nec plus ultrà tragique dont la seconde est remplie.» En vérité, c'est croire Corneille par trop bon homme, ou plutôt l'être trop soi-même.

On voit par l'avis Au Lecteur dont l'auteur fit précéder Attila, que la traduction de l'Imitation de Jésus-Christ, et les Louanges de la Sainte Vierge, imprimées en 16653, n'avaient pas suffi pour lui concilier la faveur des dévots, aux yeux de qui, dans leur aversion pour toute espèce d'amusemens profanes, les jeux du théâtre,

1. Satire IX.

2. Bolæana par Montchesnay), Amsterdam, 1742, p. 40. 3. Disons, pour n'y plus revenir, que Corneille publia encore en 1670 l'Office de la Sainte-Vierge avec les Psaumes.

auxquels il concourait, étaient un impardonnable délit. «< On m'a pressé de répondre ici par occasion aux invectives qu'on a publiées depuis quelque temps contre la comédie; mais je me contenterai de dire deux choses pour fermer la bouche à ces ennemis d'un divertissement si honnête et si utile : l'une que je soumets tout ce que j'ai fait et ferai à l'avenir à la censure des puissances tant ecclésiastiques que séculières, sous lesquelles Dieu me fait vivre (je ne sais s'ils en voudraient faire autant); l'autre que la comédie est assez justifiée par cette célèbre traduction de la moitié de celles de Térence, que des personnes d'une piété exemplaire et rigide ont donnée au public ', et ne l'auraient jamais fait, si elles n'eussent jugé qu'on peut innocemment mettre sur la scène des filles engrossées par leurs amans, et des marchands d'esclaves à prostituer. La nôtre ne souffre point de tels ornemens. L'amour en est l'ame pour l'ordinaire; mais l'amour dans le malheur n'excite que la pitié, et est plus capable de purger en nous cette passion que de nous en faire envie. Les tendresses de l'amour content sont d'une autre nature, et c'est ce qui m'oblige à les éviter. »

1. La traduction de Port-Royal, attribuée à Le Maistre de Sacy; elle ne comprend que trois pièces : l'Andrienne, les Adelphes, et le Phormion.

Cette dernière phrase ressemble bien à un reproche au parti des doucereux; mais tout le reste est une réponse à de saintes critiques renouvelées contre lui du traité De la Comédie de Nicole'.

Corneille, qui a laissé plusieurs pièces imitées du latin de Santeuil, comme une Défense des fables dans la poésie, des vers sur la pompe du pont Notre-Dame, sur la fontaine du palais des Quatre-Nations, sur le canal du Languedoc, publia aussi en 1667 une imitation d'un poëme latin de La Rue, sur les victoires du roi. C'était le début poétique du jeune Jésuite. En présentant sa traduction au roi, Corneille fit l'éloge de l'original de manière à déterminer envers La Rue la bienveillance que le prince lui montra en toute occasion'. Il se flatte, dans un Avis au lecteur, qu'on lui saura gré d'avoir mis en lumière ce trésor, condamné sans lui à demeurer, enseveli dans la poussière d'un collège. « J'ai été bien aise, dit-il, de pouvoir donner par-là quelques marques de reconnaissance aux soins que les PP. Jésuites ont pris d'instruire ma jeunesse et celle de mes enfans, et à l'amitié particulière dont m'honore l'auteur de ce panégyrique. »>

Il en reçut bientôt une preuve dans une circonstance cruelle. La mort lui ayant enlevé son

1. Publié en 1659; réimprimé dans ses Essais de morale. 2. Biographie universelle, t. xxxix, p. 260.

troisième fils, Charles Corneille, qui ne devait être âgé que de quatorze ans, La Rue, parrain, on le suppose généralement du moins', de cet enfant d'une haute espérance, adressa au malheureux père des stances latines, expression d'une douleur véritable (12).

La Rue était de beaucoup plus jeune que Corneille, car il naquit la même année que le fils aîné du poète, alors âgé de vingt-quatre ans seulement '; mais son caractère de religieux, la carrière sévère de l'enseignement à laquelle il s'était voué, et qu'il suivait déjà depuis plusieurs années, avaient rendu leurs âges moins incompatibles.

Notre auteur, dont les affections de famille remplissaient le cœur presque entièrement, compta cependant encore quelques autres amis, que sa simplicité et son naturel lui avaient assurés : l'abbé de Pure lui était assez étroitement attaché 3. C'était un homme que sa médiocrité dérobait à l'envie, mais un mauvais service qu'il rendit au satirique lui valut une durable immortalité, celle du ridicule. Le titre d'ami de

1. Notes fournies par M. P. A. Corneille.

2. La Rue et Pierre Corneille fils étaient nés en 1643.

3. Voir les lettres de Corneille à l'abbé de Pure, t. x11, p. 165 et suiv. de l'édit. des OEuvres de Corneille, donnée par M. Parrelle. 4. Boileau, satire 11. Voir l'édit. donnée par M. de Saint-Surin, t. 1, p. 98, note C.

Corneille ne pouvait être un égide pour lui contre les traits de Boileau, qui ne garda guère de ménagemens envers le tragique lui-même, et lança plus d'un trait contre son frère.

Depuis son séjour à Paris, l'auteur du Menteur avait établi des relations et formé une sorte de liaison avec Molière. Il allait quelquefois souper chez lui, et si l'on ne voit pas son nom figurer parmi ceux des habitués d'Auteuil, c'est sans doute que la certitude qu'il avait d'y rencontrer l'épicurien Chapelle et l'auteur des Satires, dont les caractères différaient tant du sien, le détournait de se mêler à ces réunions, composées d'ailleurs d'hommes beaucoup plus jeunes que lui.

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Racine ne pouvait être non plus pour Corneille d'une société bien attrayante. Il était pé... nible à ce doyen de la scène de voir l'espèce d'abandon dans lequel on le laissait pour un jeune homme qui n'avait jusque-là composé que deux bien faibles ouvrages, et nécessairement le sentiment de cette injustice le prévenait peu vorablement pour celui qui en était l'occasion. On élevait aux nues le débutant qui ne faisait encore que promettre, aux dépens du poète qui avait tenu tant et de si grandes choses; il n'y avait rien là que d'assez ordinaire. Plus tard, lorsque Racine mérita l'admiration, lorsque des chefsd'œuvre furent venus légitimer les palmes anti

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