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ordinaire,

tive. La Suite du Menteur, à laquelle Voltaire, si peu flatteur de Corneille, trouvait tant d'intérêt; Andromède, ce brillant essai d'un genre de spectacle plein de grandeur; Théodore, qui, par ses défauts comme par ses beautés, dénote, quoi qu'on en ait dit, un homme et à laquelle l'Inès de Castro a fait plus d'un emprunt; Pertharite enfin, dont, malgré son infortune, Racine n'a pas craint de transporter les principales situations dans Iphigénie et dans Andromaque.

peu

Reviendrons-nous ensuite sur ces chefs-d'œeuvre dont nous n'avons fait que constater le succès? Sur ce Menteur qui a révélé la comédie à la France, et peut-être à Molière? sur ce Don Sanche, où respire une chaleur, un héroïsme si malheureusement imités, ou plutôt si maladroitement travestis dans les tragédies chevaleresques du dix-huitième siècle? sur ce Nicomède, dont le dialogue est si original par son na-turel, et si mordant par son comique? sur le Cid, sur Horace, Cinna, Polyeucte, Pompée, Rodogune, Héraclius? Non : cette simple nomenclature parle plus haut que nos éloges, commande mieux l'admiration.

LIVRE TROISIÈME.

1653-1684.

Le siècle de Louis, le siècle des beaux arts.
N'accorda qu'à regret, vaincu par la prière,
Du pain au grand Corneille, une tombe à Molière.
CASIMIR DELAVIGNE.

CORNEILLE croit donc avoir renoncé à la scène; il s'en est éloigné du moins. Il est également libre de toutes fonctions, car si la vente de sa double charge pouvait être regardée comme un événement dans une vie que cette magistrature honorifique remplit peu, nous serions blâmable de n'avoir pas mentionné cette cession à l'année 1650 où elle s'opéra1. Nous aurions pu dire aussi qu'il se démit en 1652 des fonctions de trésorier de la paroisse de Saint-Sauveur de sa ville natale. Suivons maintenant Corneille dans

1. Corneille céda ses deux offices au sieur Alexandre Le Prévost, moyennant la somme de six mille livres. Note fournie pa M. P. A. Corneille.

2. Ibidem.

son intérieur, où, dégagé de devoirs publics comme il croit l'être des soins de la gloire, il forme le projet de vivre désormais entièrement; nous avons étudié l'auteur; les affections et les penchans de l'homme nous restent à observer.

Son mariage avec mademoiselle de Lampérière avait embelli sa vie; l'union de Thomas Corneille avec la soeur de celle-ci vint rendre plus étroite encore l'amitié des deux frères, identifia en quelque sorte leurs sentimens. Logés dans deux habitations contiguës où ils avaient reçu le jour, où leurs parens rendirent le dernier soupir, ils les avaient réunies par des communications pratiquées entre la petite maison, c'est ainsi qu'était appelée celle de notre auteur, et la grande maison que possédait son frère'. Pensées, fortune, tout était si bien en commun dans ce double ménage, que quand la mort vint surprendre l'aîné, ni l'un ni l'autre n'avait songé encore à partager les successions échues à leurs femmes. Simples et bonnes, unies comme leurs maris, les deux sœurs n'avaient d'autre soin que le bonheur de ceux-ci. C'étaient, a dit un poète bien fait pour apprécier ces douces vertus, c'é

taient

1. Bulletin de la Société d'Émulation de Rouen, année 1828. Rapport de M. P. A. Corneille.

2.

Éloge de Thomas Corneille, par De Boze.

. . De bonnes mères,

Des femmes à leurs maris chères,
Qui les aimaient jusqu'au trépas;
Deux tendres sœurs qui, sans débats,
Veillaient au bonheur des deux frères,
Filant beaucoup, n'écrivant pas.

Les deux maisons n'en faisaient qu'une ;
Les clefs, la bourse était commune :
Les femmes n'étaient jamais deux.
Tous les vœux étaient unanimes;
Les enfans confondaient leurs jeux,
Les pères se prêtaient leurs rimes,
Le même vin coulait pour cux '.

« Je ne connais pas Rouen, s'écrie autre part le même Ducis, mais certainement j'irai y voir la maison où sont nés Pierre et Thomas Corneille, et où ils ont vécu célèbres et sans bruit avec leurs femmes, les deux sœurs.... Il me semble, à force de les aimer, que je suis un peu de leur famille ›. » Tout est vrai dans ces vers; dans ces mots, tout est vrai comme le sentiment qui les a dictés. Heureux des succès l'un de l'autre, bien qu'ils parcourussent la même carrière, ils semblaient aussi avoir mis leur gloire en commun. Ils s'ai

1. Ducis. Les bonnes Femmes, ou le Ménage des deux Corneille, t. 11 de ses OEuvres, in-8.

2. Ducis. Lettre à M. Le Mercier, t. iv, OEuvres, édit. in-8

p. 377 de ses

daient dans leurs travaux, et, si l'on en croit une tradition assez établie, lorsque l'auteur de Cinna, qui versifiait moins facilement que son frère, avait quelque peine à achever un vers, il levait une trappe communiquant à la grande maison, et criait à Thomas : « Sans-souci, une rime'. »

Cette union régnait dans toute la famille. Quand Corneille avait composé un ouvrage il le lisait à sa sœur Marthe, madame de Fontenelle, à laquelle il avait reconnu un esprit fort juste, et qui, au dire de Vigneul de Marville, « n'eût pas moins brillé que les deux autres si la nature s'était avisée d'en faire un troisième Corneille; mais qui devait être ce qu'elle a été, pour donner à ses frères un neveu, digne héritier de leur mérite et de leur gloire.» Quant à son frère Antoine et à ses trois autres sœurs nous n'avons pu nous procurer aucun renseignement sur leur vie et sur l'époque de leur mort. Les registres de la ville de Rouen qu'interrompent de fréquentes lacunes, nous ont seulement appris que sa sœur Marie, l'aînée de la famille après

3

1. Anecdotes littéraires, t. iv, p. 35 des OEuvres de Voisenon; Paris, 1781, 5 vol. in-8.

2. Mélanges d'Histoire et de Littérature de Vigneul de Marville (Bonaventure d'Argonne), édit. de 1725, t. 1, p. 194. 3. Voir ci-après la note 2 du livre 1.

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