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Ce réseau me retient: ma vie est en tes mains:
Viens dissoudre ces noeuds. Et quelle récompense

En aurai-je ? reprit le rat.
Je jure éternelle alliance

Avec toi, répartit le chat.

Dispose de ma griffe, et sois en assurance:
Envers et contre tous je te protégerai ;
Et la belette mangerai

Avec l'époux de la chouette:

Ils t'en veulent tous deux. Le rat dit: Idiot!

Moi ton libérateur? Je ne suis

pas si sot.

Puis il s'en va vers sa retraite :

La belette était près du trou.

Le rat grimpe plus haut: il y voit le hibou. Dangers de toutes parts: le plus pressant l'emporte. Ronge-maille retourne au chat, et fait en sorte Qu'il détache un chaînon,puis un autre, et puis tant Qu'il dégage enfin l'hypocrite.

L'homme paraît en cet instant :

Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
A quelque temps de là, notre chat vit de loin
Son rat qui se tenait alerte et sur ses gardes.
Ah! mon frère, dit-il: viens m'embrasser: ton soin
Me fait injure; tu regardes

Comme ennemi ton allié.

Penses-tu que j'aie oublié

Qu'après Dieu je te dois la vie?

Et moi, reprit le rat, penses-tu que j'oublie

T. 4.

F

Ton naturel? Aucun traité

Peut-il forcer un chat à la reconnaissance?
S'assure-t-on sur l'alliance

Qu'a faite la nécessité ?

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Le Torrent et la Rivière.

AVEC grand bruit et grand fracas

Un torrent tombait des montagnes : Tout fuyait devant lui : l'horreur suivait ses pas; Il faisait trembler les campagnes.

Nul voyageur

voyageur n'osait passer

Une barrière si puissante:

Un seul vit des voleurs ; et se sentant presser,
Il mit entr'eux et lui cette onde menaçante.
Ce n'était que menace, et bruit sans profondeur:
Notre homme enfin n'eut que la peur.
Ce succès lui donnant courage,

Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage

Une rivière dont le cours,

Image d'un sommeil doux, paisible et tranquille,
Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile.
Point de bords escarpés, un sable pur et net.
Il entre, et son cheval le met

A couvert des voleurs, mais non de l'onde noire:

Tous deux au Styx allèrent boire ; Tous deux, à nager malheureux, Allèrent traverser au séjour ténébreux, Bien d'autres fleuves que les nôtres.

Les gens sans bruit sont dangereux:
Il n'en est pas ainsi des autres.

FABLE X XI V.

LARIDON

L'Education.

ARIDON et César, frères dont l'origine
Venait de chiens fameux,beaux,bienfaits et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantaient, l'un les forêts, et l'autre la cuisine.
Ils avaient eu d'abord chacun un autre nom:
Mais la diverse nourriture

Fortifiant en l'un cette heureuse nature,
En l'autre l'altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon.

Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint cerfaux abois, maint sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
Oneut soin d'empêcher qu'une indigne maitresse
Ne fît en ses enfans dégénérer son sang.
Laridon négligé, témoignait sa tendresse
A l'objet le premier passant.

Il peupla tout de son engeance:
Tourne-broches par luirendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyant les hasards,
Peuple antipode des Césars.

On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père:
Le
peu de soin, le temps, tout fait qu'on dégénère.
Faute de cultiver la nature et ses dons,

O combien de Césars deviendront Laridons!

FABLE X X V.

Les deux Chiens et l'Ane mort.

LES

Es vertus devraient être sœurs,
Ainsi que les vices sont frères :

Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file, il ne s'en manque guères;
J'entends de ceux qui n'étant pas contraires,
Peuvent loger sous même toit.

A l'égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment placées
Se tenir par la main sans être dispersées.
L'un est vaillant, mais prompt:l'autre est prudent,mais fr

Parmi les animaux, le chien se pique d'être

Soigneux et fidèle à son maître :
Mais il est sot, il est gourmand:

Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement,
Virent un âne mort qui flottait sur les ondes.
Le vent de plus en plus l'éloignait de nos chiens.
Ami,dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens,
Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes.
J'y crois voir quelque chose: est-ce un bœuf, un cheval?
Hé qu'importe quel animal?

Dit l'un de ces mâtins: voilà toujours curée.
Le point est de l'avoir; car le trajet est grand;
Et de plus il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette eau: notre gorge altérée
En viendra bien à bout: ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera

Provision pour la semaine.

Voilà mes chiens à boire ; ils perdirent l'haleine,
Et puis la vie ; ils firent tant
Qu'on les vit crever à l'instant.

L'homme est ainsi bâti: quand un sujet l'enflamme,
L'impossibilité disparaît à son âme.

Combien fait-il de vœux ? combien perd-il de pas?
S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire.
Si j'arrondissais mes états!

Si je pouvais remplir mes coffres de ducats!
Si j'apprenais l'hébreu, les sciences, l'histoire!
Tout cela c'est la mer à boire.

Mais rien à l'homme ne suffit:

Pour fournir aux projets que forme un seul esprit,

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