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Cependant des humains presque les quatre parts
S'exposent hardiment au plus grand des hasards;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J'en vais alléguer un, qui, s'étant repenti,
Ne put trouver d'autre parti,
Que de renvoyer son épouse

Querelleuse, avare et jalouse.

Rien ne la contentait, rien n'était comme il faut;
On se levait trop tard, on se couchait trop tôt :
Puis du blanc,puis du noir,puis encore autre chose.
Les valets enrageaient, l'époux était à bout :
Monsieur ne songe à rien, monsieur dépense tout,
Monsieur court, monsieur se repose.

Elle en dit tant, que monsieur à la fin,
Lassé d'entendre un tel lutin,

Vous la renvoie à la campagne

Chez ses parens. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons,
Avec les gardeurs de cochons,

Au bout de quelque temps qu'on la crut adoucie,
Le mari la reprend. Eh bien, qu'avez-vous fait?
Comment passiez-vous votre vie?
L'innocence des champs est-elle votre fait ?
Assez, dit-elle : mais ma peine
Etait de voir les gens plus paresseux qu'ici :
Ils n'ont des troupeaux nul souci.

Je leur savais bien dire ; et m'attirais la haine
De tous ces gens si peu soigneux.

Eh, madame, reprit son époux tout-à-l'heure, Si votre esprit est si hargneux,

Que le monde qui ne demeure

Qu'unmoment avec vous, et ne revient qu'au soir,
Est déja lassé de vous voir;

Que feront des valets qui, toute la journée,
Vous verront contr'eux déchaînée ?

Et

que pourra faire un époux,

Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous? Retournez au village: adieu. Si de ma vie

Je vous rappelle, et qu'il m'en prenne envie, Puissé-je chez les morts avoir, pour mes péchés, Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés!

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Le Rat qui s'est retiré du monde.

LES Levantins en leur légende

Disent qu'un certain rat, las des soins d'ici bas,
Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du tracas.

La solitude était profonde,
S'étendant par-tout à la ronde.

Notre ermite nouveau subsistait là dedans.
Il fit tant des pieds et des dents,

Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens

A ceux qui font vou d'être siens.
Un jour, au dévot personnage,
Des députés du peuple rat,

S'en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils allaient en terre étrangère,

Chercher quelque secours contre le peuple chat:
Ratopolis était bloquée;

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandaient fort peu, certains que le secours Serait prêt dans quatre ou cinq jours.

Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus:
En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? que peut-il faire,
Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque squci.
Ayant parlé de cette sorte,

Je

Le nouveau saint ferma sa porte.

Qui désignai-je, à votre avis,
Par ce rat si peu secourable?

Un moine? Non, mais un dervis :

suppose qu'un moine est toujours charitable.

FABLE I V.

Le Héron.

UN jour sur ses longs pieds allait, je ne sais où,

Le héron au long bec emmanché d'un long cou.
Il côtoyait une rivière.

L'onde étant transparente ainsi qu'aux plus beaux jours,
Ma commère la carpe y faisait mille tours,
Avec le brochet son compère.
Le héron en eût fait aisément son profit;

Tous approchaient du bord, l'oiseau n'avait qu'à prendre:
Mais il crut mieux faire d'attendre
Qu'il eût un peu plus d'appétit.

Il vivait de régime et mangeait à ses heures.
Après quelques momens l'appétit vint: l'oiseau,
S'approchant du bord, vit sur l'eau

Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s'attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux,

Comme le rat du bon Horace.

Moi, des tanches? dit-il: moi, héron, que je fasse
Une si pauvre chère? Et pour qui me prend-on ?
La tanche rebutée, il trouva du goujon.
Du goujon! c'est bien là le dîner d'un héron!
J'ouvrirais pour si peu le bec! Aux dieux ne plaise.
Il l'ouvrit pour bien moins: tout alla de façon

Qu'il ne vit plus aucun poisson.

La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise

De rencontrer un limaçon.

Ne soyons pas si difficiles :

Les plus accommodans, ce sont les plus habiles. On hasarde de perdre en voulant trop gagner. Gardez-vous de rien dédaigner,

Sur-tout quand vous avez à-peu-près votre compte. Bien des gens y sont pris : ce n'est pas aux hérons Que je parle : écoutez, humains, un autre conte; Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.

FABLE V.

La Fille.

CERTAINE fille, un peu trop fière,

Prétendait trouver un mari

Jeune, bien fait et beau, d'agréable manière, Point froid et point jaloux:notez ces deux points-ci. Cette fille voulait aussi

Qu'il eût du bien, de la naissance,

De l'esprit,enfin tout. Mais qui peut tout avoir?
Le destin se montra soigneux de la pourvoir :
Il vint des partis d'importance.

La belle les trouvait trop chétifs de moitié.
Quoi,moi? Quoi,ces gens-là ? l'on radote, je pense.

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