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DE

LA FONTAIN E.

A MADAME

DE MONTES PAN.

L'APOLOGUE est un don qui vient des immortels,
Ou si c'est un présent des hommes,

Quiconque nous l'a fait mérite des autels.

Nous devons, tous tant que nous sommes,

Eriger en divinité,

Le sage par qui fut ce bel art inventé.

C'est proprement un charme: il rend l'ame attentive, Ou plutôt il la tient captive,

Nous attachant à des récits

Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits:
O vous qui l'imitez, Olympe, si ma muse
A quelquefois pris place à la table des dieux
Sur ses dons aujourd'hui daignez porter les yeux:
Favorisez les jeux où mon esprit s'amuse.
Le temps qui détruit tout, respectant votre appui,
Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage :

T. 4.

A

Tout auteur qui voudra vivre encore après lui,

Doit s'acquérir votre suffrage.

C'est de vous que mes vers attendent tout leur prix :
Il n'est beauté dans nos écrits

Dont vous ne connaissiez jusques aux moindres traces.
Eh! qui connaît que vous les beautés et les grâces?
Paroles et regards, tout est charme dans vous.
Ma muse, en un sujet si doux,
Voudrait s'étendre davantage :

Mais il faut réserver à d'autres cet emploi,
Et d'un plus grand maître que moi
Votre louange est le partage.

Olympe, c'est assez qu'à mon dernier ouvrage
Votre nom serve un jour de rempart et d'abri;
Protégez désormais le livre favori

Par qui j'ose espérer une seconde vie :

Je

Sous vos seuls auspices ces vers

Seront jugés, malgré l'envie,
Dignes des yeux de l'univers.
ne mérite pas une faveur si grande:
La fable en son nom la demande :
Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous.
Si procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un temple pour salaire;
Maisje ne veux bâtir des temples que pour vous.

FABLE PREMIÈRE

Les Animaux malades de la peste.

UN mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom,)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.
On n'en voyait point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie :
Ni loups, ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie :
Les tourterelles se fuyaient;

Plus d'amour, partant plus de joie.
Le lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune:
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits d'un céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidens

On fait de pareils dévoûmens.

Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense:
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

moi;

Je me dévoûrai donc, s'il le faut : mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.

Sire, dit-le renard, vous êtes trop bon roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non: vous leur fites, seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur.

Et quant au berger, l'on peut dire

Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.

Tous les gens querelleurs,jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit: J'ai souvenance

Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,

Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue :
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Unloup,quelque peu clerc,prouva parsa harangue,
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! Quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugemens de cour vous rendront blanc ou noir.

QUE

FABLE II.

Le mal marié.

U E le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme:

Mais comme le divorce entr'eux n'est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle âme,
Assemblent l'un et l'autre point,

Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.

J'ai vu beaucoup d'hymens, aucuns d'eux ne me tentent:

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