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On m'élit roi; mon peuple m'aime :

Les diadêmes vont sur ma tête pleuvant. Quelqu'accident fait-il que je rentre en moi-même, Je suis Gros-Jean comme devant.

FABLE XI.

Le Curé et le Mort.

UN mort s'en allait tristement,
S'emparer de son dernier gîte;
Un curé s'en allait gaiement,
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,

Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière,
Robe d'hiver, robe d'été,

Que les morts ne dépouillent guère.

Le pasteur était à côté,

Et récitait, à l'ordinaire,

Maintes dévotes oraisons,

Et des pseaumes et des leçons,
Et des versets et des répons.

Monsieur le mort, laissez-nous faire

On vous en donnera de toutes les façons :

Il ne s'agit que de salaire.

Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,

Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor ;

Et des regards semblait lui dire :
Monsieur le mort, j'aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette
Du meilleur vin des environs :
Certaine nièce assez proprette,
Et sa chambrière Pâquette
Devaient avoir des cotillons.
Sur cette agréable pensée,

Un heurt survient : adieu le char.
Voilà messire Jean Chouart,

Qui, du choc de son mort, a la tête cassée :
Le paroissien, en plomb, entraîne son pasteur;
Notre curé suit son seigneur ;
Tous deux s'en vont de compagnie.

Proprement, toute notre vie

Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait, Et la fable du Pot au lait.

FABLE XII.

L'Homme qui court après la Fortune, et l'Homme qui l'attend dans son lit.

QUI

UI ne court après la Fortune?

Je voudrais être en lieu d'où je pusse aisément Contempler la foule importune

De ceux qui cherchent vainement Cette fille du Sort, de royaume en royaume, Fidèles courtisans d'un volage fantôme. Quand ils sont près du bon moment, L'inconstante aussi-tôt à leurs desirs échappe. Pauvres gens! je les plains ; car on a pour les fous Plus de pitié que de courroux.

Cet homme, disent-ils, était planteur de choux; '
Et le voilà devenu pape :

Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux:
Mais que vous sert votre mérite?
La Fortune a-t-elle des yeux?

Et puis la papauté vaut-elle ce qu'on quitte,
Le repos? le repos, trésor si précieux,
Qu'on en faisait jadis le partage des dieux !
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.
Ne cherchez point cette déesse,
Elle vous cherchera: son sexe en use ainsi.

Certain couple d'amis, en un bourg établi,
Possédait quelque bien. L'un soupirait sans cesse
Pour la fortune; il dit à l'autre un jour :
Si nous quittions notre séjour ?

Vous savez que nul n'est prophète

En son pays: cherchons notre aventure ailleurs.
Cherchez, dit l'autre ami: pour moi, je ne souhaite
Ni climats ni destins meilleurs.

Contentez-vous; suivez votre humeur inquiete:
Vous reviendrez bientôt. Je fais vœu cependant
De dormir en vous attendant.
L'ambitieux, ou, si l'on veut, l'avare,
S'en va par voie et
voie et par chemin.

Il arriva le lendemain

En un lieu que devait la déesse bizarre
Fréquenter sur tout autre ; et ce lieu c'est la cour.
Là donc, pour quelque temps, il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
Que l'on sait être les meilleures ;

Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien.
Qu'est ceci? se dit-il: cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures ;
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
Chez celui-là : d'où vient qu'aussi

Je ne puis héberger cette capricieuse?
On me l'avait bien dit, que des gens de ce lieu
L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse.
Adieu,messieurs de cour; messieurs de cour,adieu;

Suivez jusques au bout une ombre qui vous flatte.
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate :
Allons là. Ce fut un de dire et s'embarquer.
Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute
Armé de diamant, qui tenta cette route,
Et le premier osa l'abîme défier.

Celui-ci, pendant son voyage,
Tourna les yeux vers son village
Plus d'une fois; essuyant les dangers
Des pirates, des vents, du calme et des rochers,
Ministres de la mort. Avec beaucoup de peines
On s'en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant assez-tôt sans quitter la maison.
L'homme arrive au Mogol: on lui dit qu'au Japon
La Fortune pour lors distribuait ses graces.
Il y court. Les mers étaient lasses

De le porter et tout le fruit

Qu'il tira de ses longs voyages,

Ce fut cette leçon que

donnent les sauvages:

DEMEURE EN TON PAYS, PAR LA NATURE INSTRUIT.

Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme

Que le Mogol l'avait été :

Ce qui lui fit conclure en somme

Qu'il avait à grand tort son village quitté.
Il renonce aux courses ingrates,

Revient en son pays, voit de loin ses pénates,
Pleure de joie, et dit : Heureux qui vit chez soi,
De régler ses desirs faisant tout son emploi !

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