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Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.

FABLE VIII.

Les Vautours et les Pigeons.

MARS autrefois mit tout l'air en émûte.
Certain sujet fit naître la dispute
Chez les oiseaux; non ceux que le printemps
Mène à sa cour, et qui, sous la feuillée,
Par leur exemple et leurs sons éclatans
Font que Vénus est en nous réveillée ;
Ni ceux encor que la mère d'Amour
Met à son char: mais le peuple vautour,
Au bec retors, à la tranchante serre,
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang: je n'exagère point.
Si je voulais conter de point en point
Tout le détail, je manquerais d'haleine.
Maint chef périt; maint héros expira;
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine.
C'était plaisir d'observer leurs efforts;
C'était pitié de voir tomber les morts.
Valeur, adresse, et ruses, et surprises,
Tout s'employa. Les deux troupes, éprises
D'ardent courroux, n'épargnaient nuls moyens

De

De peupler l'air que respirent les ombres :
Tout élément remplit de citoyens

Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres. Cette fureur mit la compassion

Dans les esprits d'une autre nation

Au col changeant, au cœur tendre et fidèle:
Elle employa sa médiation

Pour accorder une telle querelle.
Ambassadeurs par le peuple pigeon
Furent choisis; et si bien travaillèrent,
Que les vautours plus ne se chamaillèrent.
Ils firent trève; et la paix s'ensuivit.
Hélas! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur aurait dû rendre grace.
La gent maudite aussi-tôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,
En dépeupla les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens,
D'accommoder un peuple si sauvage.

Tenez toujours divisés les méchans.
La sûreté du reste de la terre

Dépend de là. Semez entre eux la guerre,
Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.
Ceci soit dit en passant: je me tais.

T. 4.

B

FABLE IX.

Le Coche et la Mouche.

DANS un chemin montant, sablonneux, mal-aisé, Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.

Femmes, moines, vieillards, tout était descendu. L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussi-tôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire,
Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant à chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin, Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin: Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire. Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps ! Une femme chantait: C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait ! Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,

Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut. Respirons maintenant, dit la mouche aussi-tôt : J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine. Ça,messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :

Ils font par-tout les nécessaires;
Et, par-tout importuns, devraient être chassés.

FABLE X.

La Laitière et le Pot au lait.

PERRETTE,

ERRETTE, sur sa tête ayant un pot au lait,

Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.

Légère et court vêtue, elle allait à grands pas, Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile, Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière ainsi troussée,

Comptait déja dans sa pensée

Tout le prix de son lait, en employait l'argent,
Achetait un cent d'œufs, faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison :

Le renard sera bien habile,

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son :
Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable;
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon :
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe: adieu veau,vache, cochon, couvée;
La dame de ces biens quittant d'un œil marri,
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait:
On l'appela le POT AU LAIT.

Quel esprit ne bat la campagne? Qui ne fait châteaux en Espagne ? Pichrocole, Pyrrhus, la laitière, enfin toùs, Autant les sages que les fous. Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux. Une flatteuse erreur emporte alors nos ames; Tout le bien du monde est à nous,

Tous les honneurs, toutes les femmes. Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi:, Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi:

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