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nécessaire aux siens qu'il n'ait de quoi se faire moins regretter.

Un homme d'esprit et d'un caractere simple et droit peut tomber dans quelque piege; il ne pense pas que personne veuille lui en dresser, et le choisir pour être sa dupe: cette confiance le rend moins précautionné; et les mauvais plaisants l'entament par cet endroit. Il n'y a qu'à perdre pour ceux qui en viendroient à une seconde charge: il n'est trompé qu'une fois.

J'éviterai avec soin d'offenser personne, si je suis équitable; mais sur toutes choses un homme d'esprit, si j'aime le moins du monde

mes intérêts.

Il n'y a rien de si délié, de si simple, et de si imperceptible, où il n'entre des manieres qui nous décelent. Un sot ni n'entre, ni ne sort, ni ne s'assied, ni ne se leve, ni ne se tait, ni n'est sur ses jambes, comme un homme d'esprit.

Je connois Mopse d'une visite qu'il m'a rendue sans me connoître. Il prie des gens qu'il ne connoît point de le mener chez d'au

(2) L'abbé de S.-Pierre, de l'Académie françoise.

tres dont il n'est pas connu; il écrit à des femmes qu'il connoît de vue: il s'insinue dans un cercle de personnes respectables, et qui ne savent quel il est ; et là, sans attendre qu'on l'interroge, ni sans sentir qu'il interrompt, il parle, et souvent, et ridiculement. Il entre une autre fois dans une assemblée, se place où il se trouve, sans nulle attention aux autres, ni à soi-même: on l'ôte d'une place destinée à un ministre, il s'assied à celle du duc et pair; il est là précisément celui dont la multitude rit, et qui seul est grave et ne rit point. Chassez un chien du fauteuil du roi, il grimpe à la chaire du prédicateur, il regarde le monde indifféremment sans embarras, sans pudeur: il n'a pas, non plus que le sot, de quoi rougir.

Celse est d'un rang médiocre; mais des grands le souffrent: il n'est pas savant; il a relation avec des savants : il a peu de mérite; mais il connoît des gens qui en ont beaucoup: il n'est pas habile; mais il a une langue qui peut servir de truchement, et des pieds qui

(1) Le baron de Breteuil, qui a été ambassadeur auprès du duc de Mantoue.

peuvent le porter d'un lieu à un autre. C'est un homme né pour des allées et venues, pour écouter des propositions et les rapporter, pour en faire d'office, pour aller plus loin que sa commission, et en être désavoué; pour réconcilier des gens qui se querellent à leur premiere entrevue; pour réussir dans une affaire, et en manquer mille; pour se donner toute la gloire de la réussite, et pour détourner sur les autres la haine d'un mauvais succès. Il sait les bruits communs, les historiettes de la ville; il ne fait rien; il dit où il écoute ce que les autres font; il est nouvelliste; il sait même le secret des familles : il entre dans de plus hauts mysteres; il vous dit pourquoi celui-ci est exilé, et pourquoi on rappelle cet autre: il connoît le fond et les causes de la brouillerie des deux freres 2,

(2) Qui arriva entre M. Pelletier et MM. de Louvois et de Seignelai, au sujet de la protection à donner au roi Jacques. M. de Louvois, piqué secrètement contre ce prince qui lui avoit refusé sa nomination au chapeau de cardinal pour l'archevêque de Reims son frere, vouloit l'abandonner et ne point charger la France de cette guerre, qui ne pouvoit être que longue et très onéreuse. M. de Seignelai, au contraire,

très

et de la rupture des deux ministres. N'a-t-il pas prédit aux premiers les tristes suites de leur mésintelligence? n'a-t-il pas dit de ceuxci que leur union ne seroit pas longue? n'é

que

soutenoit que le roi ne pouvoit se dispenser de cette protection, qui lui étoit glorieuse et nécessaire; et le roi fut de son avis. Cependant on envoya en Irlande peu de troupes pour le rétablissement de ce prince, et M. de Cavois pour y passer avec elles: mais, ne s'y étant pas trouvé le plus fort, il ne put empêcher le prince d'Orange ne passât la Boyne, où il y eut un grand combat le 10 juillet 1690, dans lequel le roi Jacques, ayant été abandonné par les Anglois et les Irlandois, fut obligé de se sauver à Dublin, et de repasser en France. Ce fut dans ce combat que le maréchal de Schomberg fut tué d'un coup de sabre et de pistolet par deux François, gardes du roi Jacques, qui passerent exprès les rangs pour l'attaquer, et qui furent tués sur-le-champ. Le prince d'Orange fut si surpris de cette mort que la tête lui en tourna, et qu'il devint invisible quelques jours; ce qui donna licu au bruit qui courut de sa mort, dont la nouvelle, répandue en France, causa pendant trois jours des joies extravagantes, et qui à peine cesserent par les nouvelles du rétablissement de sa santé et du siege de Limerick, où il se trouva en personne. Depuis ce temps-là, le roi Jacques n'a pu se rétablir. Il est mort à Saint-Germain-en-Laie le 16 septembre 1701.

toit-il pas présent à de certaines paroles qui furent dites? n'entra-t-il pas dans une espece de négociation? le voulut-on croire? fut-il écouté? à qui parlez-vous de ces choses? qui a eu plus de part que Celse à toutes ces intrigues de cour? et si cela n'étoit ainsi, s'il ne l'avoit du moins ou rêvé ou imaginé, songeroit-il à vous le faire croire? auroit-il l'air important et mystérieux d'un homme revenu d'une ambassade?

I

Ménippe est l'oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui: il ne parle pas, il ne sent pas; il répete des sentiments et des discours, se sert même și naturellement de l'esprit des autres qu'il y est le premier trompé, et qu'il croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu'il n'est que l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est un homme qui est de mise un quart-d'heure de suite, qui le moment d'après baisse, dégénere, perd le peu de lustre qu'un peu de mémoire lui donnoit, et montre la corde: lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l'héroïque; et, incapable de savoir

(1) Le maréchal de Villeroi.

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