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petits; et qu'il y en a d'autres plus petits que nous, qui nous honorent.

A la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes foiblesses, mêmes petitesses, mêmes travers d'esprit, mêmes brouilleries dans les familles et entre les proches, mêmes envies, mêmes antipathies: par-tout des brus et des belles-meres, des maris et des femmes, des divorces, des ruptures, et de mauvais raccommodements; par-tout des humeurs, des coleres, des partialités, des rapports, et ce qu'on appelle de mauvais discours: avec de bons yeux on voit sans peine la petite ville, la rue Saint-Denis, comme transportées à Versailles ou à Fontainebleau. Ici l'on croit se haïr avec plus de fierté et de hauteur, et peut-être avec plus de dignité: on se nuit réciproquement avec plus d'habileté et de finesse; les coleres sont plus éloquentes, et l'on se dit des injures plus poliment et en meilleurs termes; l'on n'y blesse point la pureté de la langue; l'on n'y offense que les hommes ou que leur réputation: tous les dehors du vice y sont spécieux; mais le fond, encore une fois, le même est y que dans les conditions les plus ravalées : tout le bas, tout

le foible et tout l'indigne, s'y trouvent. Ces hommes si grands ou par leur naissance, ou par leur faveur, ou par leurs dignités, ces têtes si fortes et si habiles, ces femmes si polies et si spirituelles, tous méprisent le peuple; et ils sont peuple.

Qui dit le peuple dit plus d'une chose: c'est une vaste expression; et l'on s'étonneroit de voir ce qu'elle embrasse, et jusques où elle s'étend. Il y a le peuple qui est opposé aux grands; c'est la populace et la multitude : У a le peuple qui est opposé aux sages, aux habiles, et aux vertueux; ce sont les grands comme les petits.

il

Les grands se gouvernent par sentiment: ames oisives sur lesquelles tout fait d'abord une vive impression. Une chose arrive, ils en parlent trop, bientôt ils en parlent peu, ensuite ils n'en parlent plus, et ils n'en parleront plus: action, conduite, ouvrage, événement, tout est oublié; ne leur demandez ni correction, ni prévoyance, ni réflexion, ni reconnoissance, ni récompense.

L'on se porte aux extrémités opposées à l'égard de certains personnages. La satire, après leur mort, court parmi le peuple, pen

dant que les voûtes des temples retentissent de leurs éloges. Ils ne méritent quelquefois ni libelles ni discours funebres; quelquefois aussi ils sont dignes de tous les deux.

L'on doit se taire sur les puissants: il y a presque toujours de la flatterie à en dire du bien; il y a du péril à en dire du mal pendant qu'ils vivent, et de la lâcheté, quand ils

sont morts.

CHAPITRE X.

Du Souverain ou de la République.

QUAND l'on parcourt sans la prévention de

son pays toutes les formes de gouvernement, l'on ne sait à laquelle se tenir; il y a dans toutes le moins bon et le moins mauvais. Ce qu'il y a de plus raisonnable et de plus sûr, c'est d'estimer celle où l'on est né la meilleure de toutes, et de s'y soumettre.

Il ne faut ni art ni science pour exercer la tyrannie; et la politique qui ne consiste qu'à répandre le sang est fort bornée et de nul

raffinement; elle inspire de tuer ceux dont la vie est un obstacle à notre ambition: un homme né cruel fait cela sans peine. C'est la maniere la plus horrible et la plus grossiere de se maintenir ou de s'agrandir.

C'est une politique sûre et ancienne dans les républiques que d'y laisser le peuple s'endormir dans les fêtes, dans les spectacles, dans le luxe, dans le faste, dans les plaisirs, dans la vanité et la mollesse; le laisser se remplir du vide, et savourer la bagatelle : quelles grandes démarches ne fait-on pas au despotique par cette indulgence!

Il n'y a point de patrie dans le despotique; d'autres choses y suppléent, l'intérêt, la gloire, le service du prince.

Quand on veut changer et innover dans une république, c'est moins les choses que le temps que l'on considere. Il y a des conjonctures où l'on sent bien qu'on ne sauroit trop attenter contre le peuple; et il y en a d'autres où il est clair qu'on ne peut trop le ménager. Vous pouvez aujourd'hui ôter à cette ville ses franchises, ses droits, ses privileges; mais demain ne songez pas même à réformer ses enseignes.

Quand le peuple est en mouvement, on ne comprend pas par où le calme peut y rentrer; et, quand il est paisible, on ne voit pas par où le calme peut en sortir.

Il y a de certains maux dans la république qui y sont soufferts, parcequ'ils préviennent ou empêchent de plus grands maux; il y a d'autres maux qui sont tels seulement par leur établissement, et qui, étant dans leur origine un abus ou un mauvais usage, sont moins pernicieux dans leurs suites et dans la pratique qu'une loi plus juste ou une coutume plus raisonnable. L'on voit une espece de maux que l'on peut corriger par le changement ou la nouveauté, qui est un mal, et fort dangereux. Il y en a d'autres cachés et enfoncés comme des ordures dans un cloaque, je veux dire ensevelis sous la honte, sous le secret, et dans l'obscurité: on ne peut les fouiller et les remuer qu'ils n'exhalent le poison et l'infamie; les plus sages doutent quelquefois s'il est mieux de connoître ces maux que de les ignorer. L'on tolere quelquefois dans un état un assez grand mal, mais qui détourne un million de petits maux ou d'inconvénients, qui tous seroient inévi

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