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LE CARDINAL DE RETZ

Bibliographie des Mémoires. La vie, le rôle, les idées de Retz. -L'œuvre et ses diverses parties. Les récits, les portraits, le comique. Le style de Retz.

Les Mémoires du cardinal de Retz parurent pour la première fois en 1717 1. Le Régent, prince libéral au fond, et qui avait songé à abroger la révocation de l'édit de Nantes, hésitait cependant à en autoriser la publication. Le lieutenant de police d'Argenson, consulté par lui, le rassura Les raisons qu'il fournit à l'appui de son opinion, indiquent une rectitude et une naïveté assez rares chez des fonctionnaires de cet ordre.

La façon dont le cardinal de Retz parle de lui-même, la franchise avec laquelle il découvre son caractère, avoue ses défauts et nous instruit du mauvais succès qu'ont eu ses démarches imprudentes, n'encouragera personne à l'imiter; au contraire, ses malheurs sont une leçon pour les brouillons et les étourdis. On ne conçoit pas pourquoi cet homme a laissé sa confession générale par écrit. Si on l'a fait imprimer dans l'espérance que sa franchise lui vaudrait son absolution de la part du public, il la lui refusera certainement.

1. Depuis que ces lignes sont écrites, il a paru dans la Collection des grands écrivains (librairie Hachette) les deux premiers volumes d'une édition des œuvres complètes de Retz, édition qui doit renfermer outre les Mémoires, la Conjuration de Fiesque, les Sermons, les pamphlets, la correspondance. La notice bibliographique due au consciencieux et regretté M. Feillet, est une étude importante qu'il faut lire. Quant au texte, il a été revu, et on peut le dire, définitivement établi.

Les Mémoires publiés eurent un succès fou. Après la froide et muette compression de ce long règne de Louis XIV, on respirait, on se détendait, on était tout disposé à réagir contre l'autorité sous toutes ses formes. Le Régent eut beau lancer comme antidote les Mémoires de Guy Joly, secrétaire de Retz, et ceux de Mme de Motteville, qui malmenaient étrangement le cardinal, on se passionna pour cet agitateur. Ses duels et ses galanteries, loin de lui nuire, le mirent encore plus à la mode. Le vague de ses idées politiques, l'équivoque de sa conduite, la franchise, pour ne pas dire le cynisme, de ses aveux, tout cela fut transformé, idéalisé, préconisé. Lagrange - Chancel, ce pamphlétaire sans conscience et sans talent, osait chanter en ces termes le héros de la Fronde :

Toi qui, par la pourpre romaine,

Brillas moins que par tes vertus (les vertus de Retz!)
Retz, dont l'audace plus qu'humaine

Relevait les cours abattus,

Sur ton troupeau qui te réclame,

Sur un sénat dont tu fus l'âme,

Daigne encore jeter les yeux.

Tends-leur d'en haut un bras propice

Qui les sauve du précipice

Dont tu garantis leurs aïeux (?)

Tout cela était bien factice et dura peu. Il suffisait de lire pour voir ce que valaient les vertus de Retz. Quant à son génie politique, l'illusion ne dura guère plus longtemps. Montesquieu d'abord, puis Voltaire, et enfin JeanJacques Rousseau parlèrent bientôt d'un tout autre ton; le XVIIIe siècle eut ses chefs de file et ses voies à lui qui aboutirent, tandis que Retz ne s'était jamais remué que dans une impasse. S'il n'avait écrit, il n'existerait pas. C'est peut-être parce qu'il avait le génie du style, qu'il

fut un si médiocre personnage politique. Il sentait trop vivement les détails et oubliait le but. Essayons de fixer cette mobile physionomie, et d'abord replaçons-le dans le milieu où il a vécu.

est le principal meneur de la Fronde, le chef et la source, dit Mme de Motteville. Avant la Fronde il n'était rien, après la Fronde il ne fut plus rien. Il faisait partie de cette noblesse vive, turbulente, de médiocre intelligence, qui haïssait Richelieu d'instinct et sans le comprendre. Les beaux yeux de la reine, souvent rouges de larmes, ses plaintes contre le cardinal persécuteur, son goût pour les petites intrigues et les complots où l'on essayait d'enlacer ce rude jouteur, les récompenses qu'elle faisait entrevoir aux dévoués qui la défendraient, des révoltes, des impatiences, des ambitions de tout genre qui ne pouvaient se faire jour, tout cela forma une espèce de Fronde préparatoire qui avorta. Le cardinal y mit bon ordre, et fit décapiter les plus remuants. C'est dans ce milieu frivole, malsain, sans rien de bas cependant, que se passa la première jeunesse de Retz. A la mort du cardinal, il y eut détente. On respira, on se jeta en foule aux pieds de la reine; chacun rappelait ce qu'il avait souffert, ce qu'il avait tenté ou voulu tenter pour la débarrasser de son bourreau. Elle laissa tomber de ses belles mains sur ces amis de la veille les pensions, les charges, les dignités ce fut une véritable curée. Il n'y avait plus alors, disait La Feuillade, que quatre petits mots dans la langue française: « la reine est si bonne!» Dans cette distribution de faveurs, Retz eut sa part. Il n'avait guère d'autres titres que quelques succès en Sorbonne, ses fredaines galantes, ses duels, et un projet d'assassinat sur la

XVII SIÈCLE.

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personne de Richelieu : il fut nommé coadjuteur de l'archevêque de Paris. Durant quatre années, à peine quelques légers nuages entre le gouvernement de la reine et ses serviteurs passionnés; puis le moment vint où il n'y eut plus rien à distribuer à ces dévouements qui se faisaient payer cher. La guerre d'une part, Mazarin de l'autre, ne laissaient plus que des bribes aux courtisans. On songea au peuple et on augmenta les tailles et les impôts; on stimula le zèle des intendants qui firent merveille. A la fin, le Parlement se lassa d'enregistrer chaque jour des édits iniques et vexatoires; il fit des remontrances; on répondit par l'arrestation du conseiller Broussel. Ce qui suivit, je n'ai pas à le raconter. Qu'on se figure l'état de la France d'alors, engagée dans une guerre qui durait depuis trente ans, gouvernée par une reine incapable et un premier ministre insatiable, pressurée par des nuées d'agents qui exploitaient la misère publique; une cour galante, frivole, où se croisaient les fils de mille intrigues; l'autorité compromise, le respect perdu, la confiance anéantie, le gaspillage des deniers publics à l'ordre du jour; qu'on mette ensuite en mouvement toutes les cupidités, toutes les rancunes, toutes les vanités qui veulent se faire jour; qu'on se représente ces courtisans, insolents d'abord et railleurs, quand le Parlement ose élever la voix en faveur du peuple; leur attitude provocante et méprisante en faveur de ces barbons à longue robe (Mme de Motteville); les charges à main armée qu'ils exécutent sur la canaille (Me de Motteville); les barricades se dressant partout, les rires méprisants du Louvre faisant place aux cris de rage et de terreur, la reine se tordant les mains, ces mains dont elle devait étrangler Broussel plutôt

que de le rendre; la cour forcée de céder; puis l'insurrection passant du peuple parmi les grands seigneurs; les Turenne, les Condé, les Conti, les Bouillon, les Longueville sommant Anne d'Autriche de renvoyer Mazarin; les belles dames faisant campagne de leur côté, à Paris, en Normandie, en Guyenne; un déluge de pamphlets et de chansons s'abattant sur le Louvre et relançant le premier ministre jusque dans sa retraite; la rébellion assaisonnée de galanterie et tempérée par des marchés, car tous ces révoltés au fond ne cherchent qu'à vendre leur soumission le plus cher possible; et bien loin, perdu dans la nuit, le peuple, toujours dupe, toujours victime de ces comédies des grands, faisant les frais de la réconciliation, trahi par le Parlement, sacrifié par les princes, livré en proie par le gouvernement aux recruteurs qui le mènent à la boucherie, aux cominis qui le dévalisent: voilà le milieu où s'épanouit et parut dans tout son éclat la personnalité du cardinal de Retz.

Il avait la prétention de descendre d'une famille de haute et fort antique illustration. Ce qu'on en sait, c'est que les Gondi, Italiens d'origine, vinrent en France au XVIe siècle, à la suite de Catherine de Médicis, qu'elle combla de faveurs ces étrangers, qu'ils figurèrent parmi les conseillers de la Saint-Barthélemy, et qu'ils furent richement payés de leurs services: l'un d'eux fut maréchal de France, l'autre archevêque de Paris; hommes d'épée, hommes d'église, de père en fils, d'oncle en neveu, ils se font donner les premières charges de l'État. N'oublions jamais cette origine italienne. Le cardinal de Retz, qui semble si français par tant de côtés, resta au fond un Italien. Dans la haine qu'il portait au Mazarin, il

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