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livres, le sieur Dauvrier (?) pour trois mille livres, l'abbé Cassagne pour quinze cents livres le mieux renté de tous, c'est Mézeray, historiographe, qui reçoit quatre mille livres, et Chapelain, le rédacteur de la liste, qui s'adjuge trois mille livres, et se déclare lui-même le plus grand poète françois qui ait jamais été et du plus solide jugement. Boileau brille par son absence, ainsi que La Fontaine. La Fontaine ne recevra jamais de pension; il avait été distingué par Fouquet et avait pleuré sa disgrâce. Boileau sera porté sur la liste un peu plus tard en 1669. C'est l'année mémorable entre toutes, les gens de lettres n'en revirent pas une pareille. Le chiffre des pensions s'éleva alors à 111 550 livres. L'année suivante, il y eut une légère diminution, 107 900. En 1671, une nouvelle diminution, 100 075. Puis on tombe à 86 000, 84 000. En 1674, on est à 62000, en 1675, à 57000. Ainsi en six années, le chiffre à diminué de moitié. Veut-on savoir ce qu'il était en 1690, vingt-quatre ans après l'institution des pensions? Il n'est plus que de 11 966. Il baissa de plus en plus, et à la fin cette dépense inutile fut rayée du budget. Il y a à ce sujet un témoignage assez curieux; c'est celui d'un des plus fanatiques admirateurs du roi, de l'homme, qui, avant Voltaire, inventa le siècle de Louis le Grand, Charles Perrault.

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Il alla de ces pensions en Italie, en Allemagne, en Danemarck, en Suède et aux dernières extrémités du Nord. Elles y allaient par lettres de change. A l'égard de celles qui se distribuaient à Paris, elles se portèrent la première année chez tous les gratifiés par le commis du greffier des bâtiments, dans des bourses de soie d'or les plus propres du monde ; la seconde année, dans des bourses de cuir. Comme toutes choses ne peu

vent pas demeurer au même état, et vont naturellement en dépérissant, les années suivantes, il fallut aller recevoir soimême les pensions chez le trésorier en monnaie ordinaire. Les années bientôt eurent quinze et seize mois; et quand on déclara la guerre à l'Espagne, une grande partie de ces gratifications s'amortirent.

S'amortirent est charmant. M. Sainte-Beuve, qui cite ce passage, et qui a toujours rêvé, même sous l'empire, un Auguste ou un Louis XIV pour les lettres, ajoute ce commentaire qu'on pourrait croire ironique :

Mais l'idée, l'intention première surnagea, et la postérité de loin a fixé son jugement sur l'ensemble de l'apparence.

Fixé, est peut-être téméraire : les jugements faux se cassent; mais l'ensemble de l'apparence est bien joli. Mais à quoi bon cet inventaire et ces chiffres? Admettons, si l'on veut, l'ensemble de l'apparence, c'est-à-dire le préjugé (bien ébranlé) qui attribue à Louis XIV des prodigalités envers les gens de lettres dont il ne fut jamais coupable depuis quand une pension a-t-elle fait d'un écrivain médiocre un grand écrivain? A ce compte, Chapelain, le mieux renté de tous les beaux esprits, serait, comme il le dit lui-même, le plus grand poète qui ait jamais été. Ces faveurs, le plus souvent distribuées sans intelligence, tombent d'ordinaire sur des personnages souples, flatteurs et sans mérite. Ils ne font ombrage à personne et caressent tout le monde; ils sont à l'affût des occasions, et savent les chemins de traverse qui mènent plus vite au but. Rien dans leurs productions qui puisse effaroucher le maître le plus ombrageux de l'ordre, de la régularité, de la tenue, de bons principes, comme on dit aujourd'hui. Ce sont des sujets qui offrent des garanties. Le génie a d'autres allures. La force qu'il sent en lui et

qui est divine, le tient droit: il a des éclairs dans les yeux, son front est le siége de grandes pensées. Il ignore l'art des supplications et des concessions habiles. Il respecte l'hôte supérieur qui habite en lui. Tel était Corneille, tel eût été Pascal, en face de Colbert et de Louis XIV. Boileau lui-même ne put se défendre d'un sentiment de tristesse, le jour où il fut honoré d'une pension : il sentit qu'il venait de perdre sa liberté. Liberté ! Voilà la faveur la plus précieuse que les princes puissent accorder aux lettres, mais c'est la dernière dont ils s'avisent. Ils ont la fatuité de croire qu'ils fournissent des inspirations au génie, qu'ils le font éclore. En échange d'un sac d'écus, on commande à Corneille une tragédie impossible, Bérénice; à Molière des comédies à faire en vingt-quatre heures; on croit rehausser la gloire de Racine en le transformant en plat panégyriste du roi; on s'oppose à ce que La Fontaine soit de l'Académie; on fait payer aux académiciens en compliments ridicules et bas les misérables jetons qu'on leur attribue. Quels effets produit cette auguste protection? Avant le règne personnel du roi, des génies créateurs, les plus grands, les plus originaux écrivains du XVIIe siècle, Descartes, Pascal, Retz, La Rochefoucauld; sous le règne de Louis XIV, Boileau, Racine, LaBruyère. Et ceux-là mêmes, que doivent-ils au roi ? N'estce pas lui plutôt qui leur doit cette auréole qui va pâlissant? Il ne manque pas d'ouvrages où l'on célèbre avec effusion les prétendus bienfaits des princes envers les lettres; il y en a un plus original à faire et plus vrai, et dont le titre pourrait être de l'influence funeste des rois sur les lettres, les sciences et les arts.

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L'ACADÉMIE

Sa fondation, ses statuts, ses rapports avec le pouvoir.

Travaux

de l'Académie. Le Dictionnaire. Furetière. M. de Vau

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On est assez enclin en France à faire honneur au pouvoir, en quelques mains qu'il soit tombé, de toutes les créations qui ont jeté quelque éclat sur le pays: pendant tant de siècles, c'est le pouvoir seul qui a tout fait ou tout empêché! Il est convenu, par exemple, que Richelieu est le véritable fondateur de l'Académie française, et c'est un de ses titres de gloire devant la postérité. Il serait juste cependant de rendre aux gens de lettres l'initiative qui leur revient, et de montrer les funestes effets d'une protection qui fut médiocrement généreuse, et fit payer fort cher ses bienfaits.

Dès le xvi siècle, il y eut des réunions libres de gens de lettres, de poètes surtout, que la sympathie et la déférence groupaient autour d'un chef. L'érudit Daurat d'abord, puis Ronsard, son plus docte élève, furent les présidents de l'école si célèbre sous le nom de la Pléiade. Dès que Malherbe eut pris l'attitude d'un réformateur, il eut, lui aussi, un certain nombre de disciples qu'il menait

Bien

que

haut la main et à coups de férule. Ils se réunissaient dans son galetas, s'asseyaient comme ils pouvaient, et présentaient humblement leurs ouvrages à la censure du maître. la société qui se réunissait à l'hôtel de Rambouillet comptât plus de gens du monde que de gens de lettres, les questions de littérature et de beau langage y étaient à l'ordre du jour, et, pendant plus de trente années, tout ce qu'il y avait de beaux esprits en France vint rendre hommage à ce tribunal délicat 1.

C'est dans une réunion de ce genre que l'Académie française eut son berceau. Un Mécène au petit pied, le conseiller Conrart, homme peu instruit, mais qui aimait et vénérait la littérature et les littérateurs, et qui avait la passion et le génie du procès-verbal, recevait chez lui régulièrement les illustres de ce temps-là, j'entends ceux qui étaient connus dans les ruelles et qui donnaient le ton aux rimeurs mondains. C'étaient Godeau, plus tard évêque de Vence, un des fidèles de l'hôtel de Rambouillet, le chaste et raide Gombauld, l'auteur d'Amaranthe et d'Endymion, Gombauld qui troubla un instant le cœur de Marie de Médicis, le docte Chapelain, personnage d'une autorité considérable, et à qui l'on préparait un piédestal en face d'Homère, Habert, Cérisy, de Malleville, peu connus aujourd'hui, mais qui occupaient au Parnasse des siéges d'honneur. De prosateurs il n'y en avait pas. Balzac était déjà retiré dans son château, Descartes et Pascal ne comptaient pas encore, et ne comptèrent jamais pour ces nourrissons des Muses. Corneille et Rotrou n'étaient pas l'assez bonne compagnie pour être appelés. C'était un

1. Voir sur Malherbe et sur l'hôtel de Rambouillet les leçons du volume précédent : La Littérature française des origines au XVIIe siècle.

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