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volonté. Ces principes d'une superbe diabolique vont plus loin encore que ne le dit Pascal. Le stoïcien n'attend rien de cette vie et il n'espère pas en une autre. Il ne veut point des récompenses promises à la vertu : il lui semble que du jour où il pourrait s'y joindre le moindre calcul d'intérêt, elle ne serait plus la vertu. Voilà comment les stoïciens ont compris la nature de l'homme.

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Tout autres sont les pyrrhoniens. Suivant eux, l'homme est une créature misérable qui ne peut acquérir sur rien la moindre certitude. Ses facultés dont il est si fier, sontelles supérieures à l'instinct des bêtes? Qu'est-ce que cette intelligence, cette raison superbe? Elle a créé des milliers de systèmes opposés les uns aux autres, et dont chacun prétend être le seul vrai. Non-seulement l'homme est borné, mais il varie sans cesse. Jeune, vieillard, riche, pauvre, sain, malade, joyeux, triste, il ne voit rien sous le même aspect. Ses facultés sont trompeuses, et l'objet même de la connaissance, ces choses que son esprit prétend pénétrer, est dans une perpétuelle instabilité. Les sciences dont il est si vain, n'ont donc point de fondement assuré; elles ne sont que conjectures. La science des devoirs qui lui importe tant pour établir la paix entre les hommes, non-seulement n'a rien d'absolu, mais elle ne se compose que de contradictions et d'incertitudes. A cent lieues de distance les lois et les mœurs varient. Les philosophes se flattent d'avoir découvert les principes du droit naturel il n'y en a pas, il n'y a que des coutumes et des conventions plus ou moins fidèlement observées. La famille, la propriété, la religion ne sont pas plus certaines que leurs contraires. Quelle doit donc être la règle des actions de l'homme, le but de sa vie? C'est de chercher

en tout la commodité et la tranquillité. « L'ignorance et l'incuriosité sont deux doux oreillers pour une tête bien faite. >>

Voilà les deux extrêmes. Où est le vrai? Stoïciens et pyrrhoniens ont tous deux raison, sur un point: oui l'homme est grand, oui l'homme est misérable, mais pourquoi réunit-il en sa nature ces contradictions, et comment les concilier? Voilà ce que pyrrhoniens ni stoïciens n'ont vu, et ce qu'il faut voir. Qui nous le montrera? La religion chrétienne seule, et, dans la religion chrétienne, un dogme qui enferme tous les autres, qui est la solution infaillible de tous les problèmes qui assiégent l'entendement de l'homme. Ce dogme, c'est celui de la grâce. Oui, il y a dans l'homme des traces de sa première grandeur, car il a été créé dans un état d'innocence et de perfection, mais sa nature s'est corrompue depuis la chute, et est devenue incapable de bien par elle-même. Elle a besoin de réparateur. Le réparateur, c'est ce secours que Dieu envoie à qui il lui plaît. Loin de l'homme donc et l'orgueil et la présomption qu'il connaisse ses devoirs, c'est bien, mais qu'il connaisse aussi son impuissance. Loin de lui encore l'indifférence et la lâcheté; car ce n'est pas tout de connaître son impuissance, il faut aussi connaître le devoir. Mais ce qui importe avant tout, c'est de bien sentir qu'on n'est rien, qu'on ne peut rien si une assistance céleste ne nous soutient.

Telle est la thèse fondamentale de Pascal. Ce n'était, å vrai dire, qu'une solution a priori. Pour l'étayer, il fallait démontrer que la religion chrétienne était la seule vraie, et que tout ce qui la constitue aboutit logiquement à cette théorie de la grâce. C'est à ce point de vue qu'il avait en

trepris l'examen des prophéties et des miracles. Cette partie, la plus fragmentaire de l'œuvre, est aussi celle qui a le plus effarouché les éditeurs des Pensées, et on le conçoit. Elle abonde en assertions tranchantes; le ton est impérieux, arrogant; les concessions d'une audace qui dépasse tout, parce qu'il est sûr de les faire tourner å son avantage. « Ubi est Deus tuus? disent les impies. «< Les miracles le montrent et sont un éclair. » Pascal met à nu avec une témérité inouïe les conséquences les plus terribles, les plus révoltantes du dogme de la prédestination. Le logicien intraitable assujétit aux lois les plus rigoureuses du raisonnement des problèmes que l'Église se borne à ériger en mystères. Il lui fallait une explication qui contentât son esprit. De là des interprétations violentes, odieuses même; de là la théorie du Dieu caché (Deus absconditus), qui se cache à dessein, lui et la vérité, afin de perdre les impies. Les obscurités de la religion, les points par où elle choque la raison, les apologistes ordinaires s'efforcent de les atténuer, d'y accoutumer doucement notre entendement; ils expliquent par le sens figuré tel passage des Livres saints qui arrête: Pascal ne saurait s'accommoder de ces ménagements. Oui, dit-il, il y a des obscurités, des absurdités même, et tout cela est voulu; c'est un piége fatal préparé par Dieu même.

Les prophéties, les miracles même et les preuves de notre religion, ne sont pas de telle nature qu'on puisse dire qu'ils sont absolument convaincants. Mais ils le sont aussi de telle sorte qu'on ne peut dire que ce soit être sans raison que de les croire. Ainsi il y a de l'évidence et de l'obscurité pour éclai rer les uns et obscurcir les autres.

Et ailleurs ;

Les miracles ne servent pas à convertir, mais à condamner. Les prophéties citées dans l'Évangile, vous croyez qu'elles sont rapportées pour vous faire croire? Non, c'est pour vous éloigner de croire.

Voilà la conclusion suprême où aboutit cet esprit puissant et troublé. Que ce soit là le dernier mot du jansénisme, le voulût-il ou non, on ne peut guère en douter: il faut s'en rapporter là-dessus à l'implacable logique de Pascal. C'est de cela que s'est nourrie dans ses dernières années cette belle intelligence, ce cœur si haut et si doux! Laissons là le sectaire qui raisonne, rabaisse Dieu, l'emprisonne dans sa petite chapelle, et demandons-lui avant de le quitter quelques paroles qui aillent à l'âme. Après le penseur qui disait : « Le silence de ces espaces infinis m'effraie; » après le janséniste qui voyait et montrait partout les abîmes béants de l'enfer, le chrétien humble, tendre, perdu dans la contemplation de son Sauveur, apparaissait il y avait des extases, des ravissements, des conversations célestes dont l'accent est indéfinissable...

Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouvé. Je pensais à toi dans mon agonie ; j'ai versé telles gouttes de sang pour toi...

Veux-tu qu'il me coûte toujours du sang de mon humanité sans que tu donnes des larmes ?...

Les médecins ne te guériront pas, car tu mourras à la fin. Mais c'est moi qui guéris et rends le corps immortel.

Je te suis plus ami que tel et tel; car j'ai fait pour toi plus qu'eux, et ils ne souffriraient pas ce que j'ai souffert de toi, et ne mourraient pas pour toi dans le temps même de tes infidélités et cruautés, comme j'ai fait, et comme je suis prêt à faire et fais dans mes élus.

Si tu connaissais tes péchés, tu perdrais cœur. Je le perdrai donc, Seigneur, car je crois leur malice sur votre assu

rance.

Non, car moi par qui tu l'apprends, t'en peux guérir, et ce que je te le dis est un signe que je te veux guérir.....

Seigneur, je vous donne tout.

Je t'aime plus ardemment que tu n'as aimé tes souillures. Qu'à moi en soit la gloire et non à toi, ver et terre.

Ver et terre! Ce devait être le dernier mot.

LES REPRÉSENTANTS DU BURLESQUE

Saint-Amant.

L'œuvre de

Scarron. Cyrano de Bergerac. Scarron Le Typhon, le Virgile travesti, le Roman comique.

:

Au moment où Descartes publiait son Discours de la méthode, où Retz écrivait cette fameuse Conjuration de Fiesque qui fit froncer le sourcil à Richelieu, où La Calprenède commençait ses interminables romans dont M. de Sévigné ne pouvait se déprendre, où le chaste Gombauld rimait ses sentimentalités, où Corneille jetait sur la scène en proie aux héros impossibles des Scudéry, des Tristan, des Mayret, ses fiers personnages accueillis par un frémissement d'admiration et de sympathie, un groupe d'écrivains aujourd'hui inconnus, mais qui eurent leur moment, tentaient eux aussi des voies nouvelles et se lançaient à corps perdu dans les champs de la fantaisie bouffonne. La régularité solennelle qui allait dominer, s'annonçait déjà; Balzac préparait le chemin à Bossuet; les Précieux de tout âge et de tout sexe épuraient et ennoblissaient sans pitié l'idiome national réduit bientôt à

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