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suasifs que tous les raisonnemens, qu'il n'y a de grand et de lonable que l'honneur et la probité. De l'estime et de l'admiration que les plus corrompus ne peuvent refuser anx grandes et belles actions qu'elle leur présente, elle fait conclure que la vertu est donc le véritable bien de l'homme, et qu'elle seule le rend véritablement grand et estimable. Elle apprend à respecter cette vertu, et à en démêler la beauté et l'éclat à travers les voiles de la pauvreté, de l'adversité, de l'obscurité, et même quelquefois du décri et de l'infamie: comme, au contraire, elle n'inspire que du mépris et de l'horreur pour le crime, fût-il revêtu de pourpre, tout brillant de lumière et placé

sur le trône.

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Mais , pour me borner à ce qui est de mon dessein, je regarde l'histoire comme le premier maître qu'il faut donner aux enfans, également propre à les amuser et à les instruire, à leur former l'esprit et le cœur, à leur enrichir la mémoire d'une infinité de faits aussi agréables qu'utiles. Elle peut même beaucoup servir, par l'attrait du plaisir qui en est inséparable, à piquer la curiosité de cet âge avide d'apprendre, et à lui donner du goût pour l'étude. Aussi, en matière d'éducation, c'est un principe fondamental et observé dans tous les temps, que l'étude de l'histoire doit précéder toutes les autres et leur préparer la voie. Plutarque nous apprend que le vieux Caton, ce célèbre censeur, dont le nom et la vertu ont tant fait d'honneur à la république romaine, et qui prit un soin particulier d'élever par lui-même son fils sans vouloir s'en reposer sur le travail des maîtres, composa

1 Si, quemadmodùm visus oculorum quibusdam medicamentis acui solet et repurgari, sic et nos aciem animi liberare impedimentis voluerimus, poterimus perspicere virtutem, etiam obrutam corpore, etiam paupertate opposita, et humilitate et infamia objacentibus: cernemus, inquam, pulchritudinem illam, quamvis sordido obtectam. Rursùs æquè malitiam et ærumnosi animi veter

num perspiciemus, quamvis multus circà divitiarum radiantium splendor impediat, et intuentem, hinc honorum, illine magnarum potestatum falsa lux verberet. Sencc. epist. 115.

Fatendum in ipsis rebus quæ discuntur et cognoscuntur, invitamenta inesse, quibus ad discendum cognoscendumque moveamur. Cic. lib. 5, de fin. bon. et mal. n. 52.

Division de Touvrage.

exprès pour lui, et écrivit de sa propre main en gros caractères de belles histoires, afin, disoit-il, que cet enfant, dès le plus bas âge, fût en état, sans sortir de la maison paternelle, de faire connoissance avec les grands hommes de son pays, et de se former sur ces anciens modèles de probité et de vertu.

Il n'est pas nécessaire que je m'arrête plus long-temps à prouver l'utilité de l'histoire; c'est un point dont on convient assez généralement, et que peu de personnes révoquent en doute. L'important est de savoir ce qu'il faut observer pour rendre cette étude utile, et pour en tirer tout le fruit qu'on en doit attendre. C'est ce que je vais essayer de faire.

Pour mettre quelque ordre dans ce que j'ai à dire sur l'histoire, je diviserai ce traité en quatre parties. La première sera sur le goût de la solide gloire et de la véritable grandeur, et servira à précautionner les jeunes gens contre les fausses idées que l'étude même de l'histoire pourroit leur donner sur ce sujet. La seconde regardera l'histoire sainte. La troisième traitera de l'histoire profane. Dans la dernière je dirai quelque chose de la fable, de l'étude des antiquités grecques et romaines, des auteurs où l'on doit puiser la connoissance de l'histoire, et de l'ordre dans lequel on les doit lire.

Je ne parle point ici de l'histoire de France, parce que l'ordre naturel demande que l'on fasse marcher l'histoire ancienne avant la moderne, et que je ne crois pas qu'il soit possible de trouver du temps pendant le cours des classes pour s'appliquer à celle de France. Mais je suis bien éloigné de regarder cette étude comme indifférente; et je vois avec douleur qu'elle est négligée par beaucoup de personnes, à qui pourtant elle seroit fort utile, pour ne pas dire nécessaire. Quand je parle ainsi, c'est à moi-même le premier que je fais le procès, car j'avoue que je ne m'y suis point assez appliqué, et j'ai honte d'être en quelque sorte étranger dans ma propre patrie, après avoir couru tant d'autres pays. Cependant notre histoire nous fournit de grands modèles de vertu, et un grand nombre

par

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de belles actions, qui demeurent la plupart ensevelies dans l'obscurité, soit par la faute de nos historiens,' qui n'ont pas en, comme les Grecs et les Romains, le talent de les faire valoir; soit par une suite du mauvais goût qui fait qu'on est plein d'admiration pour les choses qui sont éloignées de notre temps et de notre pays, pendant que nous demeurons froids et indifférens pour celles qui se passent sous nos yeux et dans le siècle où nous vivons. Si l'on n'a pas le temps d'enseigner aux jeunes gens dans les classes l'histoire de France, il faut tâcher au moins de leur en inspirer du goût, en leur en citant de temps en temps quelques traits qui leur fassent naître l'envie de l'étudier quand ils en auront le loisir.

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PREMIÈRE PARTIE.

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SUR LE GOUT DE LA SOLIDE GLOIRE

ET DE LA VÉRITABLE GRANDEUR.

Tout le monde convient qu'un des premiers soins de quiconque pense à former les jeunes gens dans l'étude des belles lettres, est d'établir d'abord des principes et des règles du bon goût qui leur puissent servir de guides dans la lecture des auteurs. Il est d'autant plus nécessaire de leur donner un pareil secours pour l'histoire, qui peut être regardée comme une étude de morale et de vertu, qu'il est infiniment plus important de juger sainement de la vertu que de l'éloquence; et qu'il est beaucoup moins honteux et moins dangereux de se méprendre sur les règles du discours que sur celles des mœurs.

Notre siècle, et encore plus notre nation, ont un besoin extrême d'être détrompés d'une infinité d'erreurs et de faux préjugés, qui deviennent tous les jours de plus en plus dominans, sur la pauvreté et les richesses; sur la modestie et le faste; sur la simplicité des bâtimens et des meubles, et sur la somptuosité et la magnificence; sur la frugalité, et les raffinemens de la bonne chère; en un mot, sur presque tout ce qui fait l'objet du mépris ou de l'admiration des hommes. Le goût public devient sur cela la règle des jeunes gens. Ils regardent comme es

'Recti apud nos locum tenet error, ubi publicus factus est. Senec. epist.

123.

Nulla res nos majoribus malis implicat, quàm quòd ad rumorem cem

ponimur: optima rati ea, quæ magno assensu recepta sunt... nec ad ratio nem, sed ad similitudinem vivimus. Id. lib. de vitâ beatâ, cap. 1.

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timable ce qui est estimé de tous. Ce n'est pas la raison, mais la coutume qui les guide. Un seul mauvais exemple seroit capable de corrompre l'esprit des jeunes gens, susceptibles de toutes sortes d'impressions que n'y a-t-il donc point à craindre pour eux dans un temps où les vices sont passés en usage, et où la cupidité s'efforce d'éteindre tout sentiment d'honneur et de probité !

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Quel besoin n'ont-ils pas de cette 3 science, dont le principal effet est de dissiper les faux préjugés, qui nous séduisent parce qu'ils nous plaisent; de nous guérir et de nous délivrer des erreurs populaires que nous avons sucées avec le lait; de nous apprendre à faire le discernement du vrai et du faux, du bon et du mauvais, de la solide grandeur et d'une vaine enflure; et d'empêcher que la contagion du mauvais exemple et des coutumes vicieuses n'infecte l'esprit des jeunes gens, et n'étouffe en eux les heureuses semences de bien et de vertu qu'on y remarque! C'est dans cette science, qui consiste à juger des choses, non par l'opinion commune, mais par la vérité; non par ce qu'elles paroissent audehors, mais par ce qu'elles sont réellement, que Socrate mettoit toute la sagesse de l'homme.

J'ai donc cru devoir commencer ce traité sur l'histoire par établir des principes et des règles pour juger saine

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dat magnitudinem solidam : nec ignorari sinit, inter magna quid intersit et tumida. Epist. 90.

Inducenda est in occupatum locum virtus, quæ mendacia contra verum placentia extirpet; quæ nos à populo, cui nimis credimus, separet, ac sinceris opinionibus reddat. Epist. 94.

4 Tanta est corruptela malæ consuetudinis, ut ab eâ tanquam igniculi extinguantur à naturâ dati, exorianturque et confirmentur vitia contraria. Cic. lib. 1, de leg. n. 33. 5 Socrates hanc summam dixit esse sapientiam,bona malaque distinguere. Senec. ep. 71.

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