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Je ne puis m'empêcher de transcrire ici un endroit admirable des pensées de M. Pascal, qui a rapport à la matière que je traite. C'est le chapittre xxii, qui a pour titre: Connoissance générale de l'homme.

La première chose, dit-il, qui s'offre à l'homme quand il se regarde, c'est son corps, c'est-à-dire une certaine portion de matière qui lui est propre. Mais, pour comprendre ce qu'elle est, il faut qu'il la compare avec tout ce qui est au-dessus de lui et tout ce qui est au-dessous, afin de reconnoître ses justes bornes.

Qu'il ne s'arrête donc pas à regarder simplement les objets qui l'environnent; qu'il contemple la nature entière dans sa haute et pleine majesté qu'il considère cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers; que la terre lui paroisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit ; et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'un point très délicat à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre. Elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce que nous voyons du monde n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'approche de l'étendue de ses espaces. Nous avons beau enfler nos conceptions, nous n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie, dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est un des plus grands caractères sensibles de la toutepuissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est: qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature; et que de ce que lui paroîtra ce petit cachot où il se trouve logé, c'est-à-dire ce monde visible, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même, son juste prix.

Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ? qui le peut comprendre? Mais, pour lui présenter un autre prodige aussi

étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connoît les choses les plus délicates. Qu'un ciron, par exemple, lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites; des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces et ses conceptions; et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours : il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je veux lui peindre, non-seulement l'univers visible, mais encore tout ce qu'il est capable de concevoir de l'immensité de la nature dans l'enceinte de cet atome imperceptible.

Qu'il a voie une infinité de mondes, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné, trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos. Qu'il se perde dans ces merveilles aussi étonnantes par leur petitesse que les autres par leur étendue. Car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'étoit pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui même dans le sein du tout, soit maintenant un colosse, un monde, ou plutôt un tout à l'égard de la dernière petitesse, où l'on ne peut arriver?

Qui se considérera de la sorte, s'effraiera sans doute de se voir comme suspendu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, dont il est également éloigné. Il tremblera dans la vue de ces merveilles; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.

Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? un

" M. Pascal veut que, dans cette petite partie qu'on s'imagineroit être la dernière, on y conceive d'autres par

ties qui aient entre elles les mêmes proportions qu'ont entre elles actuelle. ment les parties de l'univers visible.

néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Il est infiniment éloigné des deux extrêmes; et son être n'est pas moins distant du néant d'où il est tiré que de l'infini où il est englouti.

Son intelligence tient dans l'ordre des choses intelligibles le même rang que son corps dans l'étendue de la nature; et tout ce qu'elle peut faire est d'apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de n'en connoître ni le principe ni la fin. Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui peut suivre ces étonnantes démarches? L'auteur de ces merveilles les comprend; nul autre ne le peut faire. J'ai rapporté exprès ce long passage de M. Pascal pour faire voir combien l'étude de la nature peut fournir de solides réflexions; et il en est ainsi de tout ce qui s'enseigne dans la physique.

N'est-ce pas une curiosité digne d'un homme d'esprit d'examiner la nature, les causes et les effets du mouvement; la pesanteur de l'air; la cause des tremblemens de terre, des foudres et des tonnerres?

Il n'est pas indifférent de connoître quelle est l'origine des fontaines et des rivières. Plusieurs croient qu'elles viennent de la mer, qui se répand fort avant sous les terres, d'où elle s'élève par des canaux imperceptibles jusqu'à la surface de la terre. D'autres prétendent que la pluie et les neiges seules sont la cause des rivières et des fontaines. On a calculé plusieurs années de suite la quantité d'eau et de neige qui tombe en un an sur un certain endroit déterminé de la surface de la terre, et en même temps ce qui coule d'eau en une année, par exemple, dans la Seine; et par ce calcul on a reconnu que le tiers d'eau et de neige qui tombe sur la terre est plus que suffisant pour fournir aux fontaines et aux rivières.

Tout le monde est témoin des éclipses du soleil et de la lune : il y a quelque honte d'en ignorer absolument la cause. On sait que les éclipses du soleil n'arrivent que parce que la lune, qui est un corps opaque, étant placée entre la terre et le soleil, intercepte la lumière qui devroit

venir du soleil à la terre: et que celle de lune n'arrive que parce que la terre, étant placée directement entre la lune et le soleil, empêche le soleil d'éclairer la lune. C'est pourquoi les éclipses de soleil n'arrivent que quand la lune est nouvelle, et celles de lune que quand elle est pleine. Ce qu'il y a ici de plus surprenant, c'est que les astronomes les prédisent avec tant de justesse, qu'une erreur de quelques minutes passe parmi eux pour une erreur considérable.

Est-il une matière qui mérite plus notre attention que le flux et le reflux de la mer? Les philosophes ont presque toujours cru que la lune en étoit la cause en comprimant l'air intermédiaire, et par son moyen les eaux qui y répondent : mais le rapport qu'il y a entre le flux et le reflux de la mer et le mouvement de cette planette n'avoit jamais été si bien connu que dans le dernier siècle. La lune emploie douze heures vingt-quatre minutes à passer de la partie supérieure de notre méridien à la partie inférieure, et vingt-quatre heures quarante huit minutes à revenir à la partie supérieure de notre méridien. Il y a pareillement douze heures vingt-quatre minutes entre la marée qui arrive le matin sur nos côtes, et celle qui y arrive le soir; et vingt-quatre heures quarante-huit minutes entre la marée qui arrive sur nos rivages un matin, et celle qui y arrive le lendemain au matin. On a encore observé d'autres proportions de ce genre qui étonnent quand on les considère de près.

Il n'y a rien certainement dans la nature de plus merveilleux que ce mouvement général et régulier de toutes les eaux du monde, plus sensibles dans l'Océan, mais qui n'est pas absolument inconnu à la Méditerranée, surtout dans ses golfes. Est-il possible de ne pas reconnoître le doigt de Dieu dans les bornes qu'il a marquées à la mer, et dans cet ordre qu'il semble avoir écrit sur le sable? << Il t'est permis de venir jusqu'ici, mais il t'est défendu Job. 58. 11. « de passer outre,» usque huc venies, et non procedes ampliùs, et hic confringes tumentes fluctus tuos.

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Peut-on raisonnablement laisser ignorer aux jeunes gens

de telles merveilles, et ne point les instruire des autres matières qui se traitent en physique, et qui occupent pour l'ordinaire une bonne partie de la seconde année de la philosophie? Quand on en a négligé l'étude dans ce temps, il est rare qu'on y revienne dans la suite. Au lieu de les négliger alors, il faudroit y préparer de loin les jeunes gens, en les leur montrant presque dès l'enfance, mais de la manière qui convient à cet âge. C'est de quoi il me reste à parler dans l'article suivant.

Physique des enfans.

J'appelle ainsi une étude de la nature qui ne demande presque que des yeux, et qui, par cette raison, est à la portée de toutes sortes de personnes, et même des enfans. Elle consiste à se rendre attentif aux objets que la nature nous présente, à les considérer avec soin, à en admirer les différentes beautés, mais sans en approfondir les causes secrètes, ce qui est du ressort de la physique des savans.

Je dis que les enfans mêmes en sont capables. Car ils ont des yeux, et ils ne manquent pas de curiosité. Ils veulent savoir, ils interrogent. Il ne faut que réveiller et entretenir en eux le désir d'apprendre et de connoître, qui est naturel à tous les hommes. Cette étude d'ailleurs, si l'on doit l'appeler ainsi, loin d'être pénible et ennuyeuse, n'offre que du plaisir et de l'agrément ; elle peut tenir lieu de récréation, et ne doit ordinairement se faire qu'en jouant. Il est inconcevable combien les enfans pourroient apprendre de choses, si l'on savoit profiter de toutes les occasions qu'eux-mêmes nous en fournissent.

Un jardin, une campagne, un palais, tout cela est un livre ouvert pour eux: mais il faut qu'ils aient appris et qu'on les ait accoutumés à y lire. Rien n'est plus commun parmi nous que l'usage du pain et du linge; rien n'est plus rare que de trouver des enfans qui sachent comment l'un et l'autre se prépare; par combien de façons et de mains le blé et le chanvre doivent passer avant que de devenir du pain et du linge. Il en faut dire autant des

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