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reconnue, qui lui rendoient compte de tout ce qui s'y passoit : on les appeloit les yeux et les oreilles du prince. Il étoit attentif à honorer et à récompenser tous ceux qui se distinguoient par leur mérite, et qui excelloient en quelque chose que ce fût. Il préféroit infiniment la clémence au courage guerrier, parce que celui-ci entraîne souvent la ruine et la désolation des peuples, au lieu que l'autre est toujours bienfaisante et salutaire. Il savoit que les lois peuvent beaucoup contribuer au règlement des mœurs; mais, selon lui, le prince devoit être par son exemple une loi vivante; et il ne croyoit pas qu'il fût digne de commander aux autres, s'il n'avoit plus de lumière et de vertu que ses sujets. La libéralité lui paroissoit une vertu véritablement royale; mais il faisoit encore plus de cas de la bonté, de l'affabilité, de l'humanité, qualités propres à gagner les cœurs et à se faire aimer des peuples; ce qui est proprement régner, outre que d'aimer plus que les autres à donner quand on est infiniment plus riche qu'eux est une chose moins surprenante que de descendre en quelque sorte du trône pour s'égaler à ses sujets. Mais ce qu'il préféroit à tout étoit le culte des dieux et le respect pour la religion, persuadé que quiconque étoit sincèrement religieux et craignant Dieu, étoit en même temps bon et fidèle serviteur des rois, et inviolablement attaché à leur personne et au bien de l'état.

Quand Cyrus crut avoir suffisamment donné ordre aux affaires de Babylone, il songea à faire un voyage en Perse. Il passa par la Médie pour y saluer Cyaxare, à qui il fit de grands présens, et lui marqua qu'il trouveroit à Babylone un palais magnifique tout préparé quand il voudroit y aller, et qu'il devoit regarder cette ville comme lui appartenant en propre. Cyaxare, qui n'avoit point d'enfant mâle, lui offrit sa fille en mariage et la Médie pour dot. Il fut fort sensible à une offre si avantageuse, mais il ne crut pas devoir l'accepter avant que d'avoir eu le consentement de son père et de sa mère, laissant pour tous les siècles un rare exemple de la respectueuse sou

mission et de l'entière dépendance que doivent montrer en pareille occasion à l'égard de père et de mère tous les enfans, quelque âge qu'ils puissent avoir, et à quelque degré de puissance et de grandeur qu'ils soient parvenus. Cyrus épousa donc cette princesse à son retour de Perse, et la mena avec lui à Babylone, où il avoit établi le siége de son empire.

Il y assembla ses troupes. On dit qu'il s'y trouva six vingt mille chevaux, deux mille chariots armés de faux, et six cent mille hommes de pied. Il se mit en campagne avec cette nombreuse armée, et subjugna toutes les nations qui sont depuis la Syrie jusqu'à la mer des Indes: après quoi il tourna vers l'Egypte, et la rangea pareillement sous sa domination.

Il établit sa demeure au milieu de tous ces pays, passant ordinairement sept mois à Babylone pendant l'hiver, parce que le climat y est chaud; trois mois à Suze pendant le printemps, et deux mois à Ecbatane durant les grandes chaleurs de l'été.

Plusieurs années s'étant ainsi écoulées, Cyrus vint en Perse pour la septième fois depuis l'établissement de sa monarchie. Cambyse et Mandane étoient morts il y avoit déjà long-temps, et lui-même étoit fort vieux. Sentant approcher sa fin, il assembla ses enfans et les grands de l'empire; et après avoir remercié les dieux de toutes les faveurs qu'ils lui avoient accordées pendant sa vie, et leur avoir demandé une pareille protection pour ses enfans, pour ses amis et pour sa patrie, il déclara Cambyse son fils aîné son successeur, et laissa à l'autre plusieurs gouvernemens fort considérables. Il leur donna à l'un et à l'autre d'excellens avis, en leur faisant entendre que le plus ferme appui des trônes étoit le respect pour les dieux, la bonne intelligence entre les frères, et le soin de se faire et de se conserver de fidèles amis. Il mourut, également regretté de tous les peuples.

RÉFLEXIONS.

J'en ferai deux, dont l'une regardera le caractère et les qualités personnelles de Cyrus, l'autre la vérité de son histoire écrite par Xénophon.

Première réflexion.

On peut regarder Cyrus comme le conquérant le plus sage et le héros le plus accompli dont il soit parlé dans l'histoire profane. Aucune des qualités qui forment les grands hommes ne lui manquoit: sagesse, modération, courage, grandeur d'âme, noblesse de sentimens, merveilleuse dextérité pour manier les esprits et gagner les cœurs, profondes connoissances de toutes les parties de l'art militaire, vaste étendue d'esprit, soutenue d'une prudente fermeté pour former et pour exécuter de grands projets.

I

Mais ce qu'il y avoit en lui de plus grand et de plus véritablement royal, c'est l'intime conviction où il étoit que tous ses soins et toute son attention devoient tendre à rendre les peuples heureux; et que ce n'étoit point par l'éclat des richesses, par le faste des équipages, par le luxe et les dépenses de la table qu'un roi devoit se distinguer de ses sujets, mais par la supériorité de mérite en tout genre, et surtout par une application infatigable à veiller sur leurs intérêts et à leur procurer le repos et l'abondance. En effet, c'est le fondement et comme la base de l'état des princes de n'être pas à eux. C'est le caractère même de leur grandeur d'être consacrés au bien public. Il en est d'eux comme de la lumière, qui n'est placée

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dans un lieu éminent que pour se répandre partout. Ce seroit leur faire injure que de les renfermer dans les bornes étroites d'un intérêt personnel. Ils rentreroient dans l'obscurité d'une condition privée, s'ils avoient des vues moins étendues que tous leurs états. Ils sont à tous, parce que tout leur est confié.

Ce fut par le concours de toutes ces vertus que Cyrus vint à bout de fonder en assez peu de temps un empire qui embrassoit presque toutes les parties du monde, qu'il jouit paisiblement pendant plusieurs années du fruit de ses conquêtes; qu'il sut se faire tellement estimer et aimer, non-seulement par ses sujets naturels, mais par toutes les nations qu'il avoit conquises, qu'après sa mort il fut généralement regretté comme le père commun de tous les peuples.

Nous ne devons pas être étonnés que Cyrus ait été si accompli en tout genre, nous qui savons que c'est Dieu luimême qui l'avoit formé pour être l'instrument et l'exécuteur des desseins de miséricorde qu'il avoit sur son peuple, et pour donner au monde en sa personne un modèle parfait de la manière dont les princes doivent gouverner les peuples, et du véritable usage qu'ils doivent faire de la souveraine puissance.

Quand je dis que Dieu a formé lui-même ce prince, je n'entends pas que ç'ait été par un miracle sensible, ni qu'il l'ait tout d'un coup rendu tel que nous l'admirons dans ce que l'histoire nous apprend. Dieu lui avoit donné un heureux naturel en mettant dans son esprit les semences de toutes les plus grandes qualités, et dans son cœur des dispositions aux plus rares vertus. Il eut soin qu'on cultivât cet heureux naturel par une excellente éducation, et qu'on le préparât ainsi aux grands desseins qu'il avoit sur lui. Comme il est la lumière des esprits, il dissipoit tous ses doutes, lui suggéroit les expédiens les plus convenables, le rendoit attentif aux meilleurs conseils, étendoit ses vues, et les rendoit plus nettes et plus distinctes. Ainsi Dieu présida à toutes ses entreprises, le Hæc dicit Dominus christo meo Cyro, cujus apprehendi dexteram,

conduisit comme par la main dans toutes ses conquêtes; lui ouvrit les portes des villes, fit tomber devant lui les remparts les plus forts, et humilia en sa présence les princes les plus puissans de la terre.

Pour mieux sentir le mérite de Cyrus, il ne faut que le comparer à un autre roi de Perse, je veux dire à Xerxès son petit-fils, qui, poussé par un motif absurde de vengeance, entreprit de subjuguer la Grèce. On voit autour de lui tout ce qu'il y a de plus grand et de plus éclatant selon les hommes; le plus vaste empire qui fût alors sur la terre, des richesses immenses, des armées de terre et de mer dont le nombre paroît incroyable. Tout cela est autour de lui, mais non en lui, et n'ajoute rien à ses qualités naturelles. Mais, par un aveuglement trop ordinaire aux grands et aux princes, né dans l'abondance de tous les biens avec une puissance sans bornes, dans une gloire qui ne lui avoit rien coûté, il s'étoit accoutumé à juger de ses talens et de son mérite personnel par les dehors de sa place et de son rang. Il méprise les sages conseils d'Artabane son oncle et de Démarate pour n'écouter que les flatteurs de sa vanité. Il mesure le succès de ses entreprises sur l'étendue de son pouvoir. La soumission servile de tant de peuples ne pique plus son ambition, et, devenu dédaigneux pour une obéissance trop prompte et trop facile, il se plaît à exercer sa domination sur les élémens, à percer les montagnes et à les rendre navigables; à châtier la mer pour avoir rompu son pont; à captiver ses flots par des chaînes qu'il y fait jeter. Plein d'une vanité puérile et d'un orgueil ridicule, il se regarde comme le maître de la nature et des élémens ; il croit qu'aucun peuple n'osera attendre son arrivée ; il compte avec une présomptueuse et folle assurance sur les millions d'hommes et de vaisseaux qu'il traîne après lui. Mais, quand après la bataille de Salamine il vit les tristes restes

ut subjiciam ante faciem ejus gentes, et dorsa regum vertam, et aperiam coràm eo januas ; et portæ non clau. dentur. Ego ante te ibo, et gloriosos

terræ humiliabo; portas æreas con teram, et vectes ferreos confringam. Isaï. 45. 1,2.

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