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ment des belles et des bonnes actions, pour bien discerner en quoi consiste la solide gloire et la véritable grandeur, et pour démêler précisément ce qui est digne d'estime et d'admiration, et ce qui ne mérite que l'indifférence et le mépris. Sans ces règles, les jeunes gens peu précautionnés, n'ayant pour guides que leurs propres penchans ou les opinions populaires, pourroient prendre pour modèle tout ce qui est conforme à ces fausses idées, et se remplir des passions et des vices de ceux dont l'histoire rapporte des actions éclatantes, qui ne sont pas toujours vertueuses ni estimables.

Il n'y a, à proprement parler, que l'Evangile et la parole de Dieu qui puissent nous prescrire des règles sûres et invariables pour juger sainement de toutes choses; et il semble que c'est uniquement dans un fonds si riche que je devrois puiser les instructions que j'entreprends de donner aux jeunes gens sur un sujet si important. Mais, afin de leur faire mieux comprendre combien les erreurs que je combats ici sont condamnables, et combien elles sont contraires même à la droite raison, je ne tirerai mes principes que du paganisme, qui nous enseignera que ce qui rend l'homme véritablement grand et digne d'admiration, ce n'est point les richesses, la magnificence des bâtimens, la somptuosité des habits ou des meubles, le luxe de la table, l'éclat des dignités ou de la naissance, la réputation, les actions brillantes, telles que les victoires et les conquêtes, ni même les qualités de l'esprit les plus estimables; mais que c'est par le cœur que l'homme est tout ce qu'il est, et que plus il aura un cœur véritablement grand et généreux, plus il aura de mépris pour tout ce qui paroît grand au reste des hommes. Je n'avois d'abord tiré mes exemples que de l'histoire ancienne mais des personnes habiles et intelligentes m'ont conseillé d'y en ajouter d'autres tirées de l'histoire mo

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:

Cogita in te, præter animum, nihil esse mirabile: cui magno nihil magnum est. Senec. epist. 8.

Hoc nos doce, beatum esse illum,

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cui omne bonum in animo est..... illum erectum, et excelsum, et mirabilia calcantem. Id. epist. 45.

derne, et surtout de celle de France, et elles m'en ont elles-mêmes fourni plusieurs, dont je reconnois ici leur être redevable.

Quoique j'aie puisé tous mes principes et la plupart des exemples dans le paganisme, et que j'aie évité de proposer pour modèles tant de saints illustres que le christianisme nous fournit pour tous les états et toutes les conditions, il ne s'ensuit pas que mon dessein ait été de me borner à des vertus purement païennes. On peut considérer les choses d'une manière plus humaine, sans en examiner la dernière fin et les plus sublimes motifs. On s'élève ainsi par degrés à une vertu plus pure et plus parfaite; et en se rendant attentif et docile à la raison l'on se prépare à le devenir à la religion et à la foi, qui commandent les mêmes choses, mais en proposant de plus grands motifs et de plus dignes récompenses.

Au reste, je prie le lecteur de se souvenir que cet ouvrage n'est point fait pour les savans, qui sont trèsinstruits du fond de l'histoire, et qui pourroient trouver ennuyeux ce grand nombre de faits que je cite, parce qu'ils n'ont rien de nouveau pour eux : ' mais que mon dessein est d'instruire principalement de jeunes étudians, qui souvent n'auront presque d'autre idée de l'histoire que celle que je leur en donne dans ce livre; ce qui m'oblige d'être plus long, de rapporter plus d'exemples, et d'y joindre plus de réflexions que je n'aurois fait sans cela.

§. I. Richesses. Pauvreté.

* Comme les richesses sont le prix de ce qui est le plus estimé et le plus recherché dans la vie, des dignités,

'Nos institutionem professi, non solùm scientibus ista, sed etiam discentibus tradimus : ideòque paulò pluribus verbis debet haberi venia. Quintil. lib. 11, cap. 1.

1 Hæc ipsa res tot magistratus, tot judices detinet, quæ magistratus et

judices facit, pecunia: quæ ex quo in honore esse cœpit, verus rerum honor cecidit... Admirationem nobis patentes auri argentique fecerunt : et teneris infusa cupiditas altiùs sedit, crevitque nobiscum. Deindè totus populus, in alia discors, in hoc conve

115.

des charges, des terres, des maisons, des ameublemens, de la bonne chère, du plaisir, il n'est pas étonnant qu'elles soient elles-mêmes plus estimées et plus recherchées que tout le reste. Ce sentiment, déjà trop naturel aux enfans, est nourri et fortifié en eux par tout ce qu'ils voient et par tout ce qu'ils entendent. Tout retentit des louanges des richesses. L'or et l'argent font l'unique ou le principal objet de l'admiration des hommes, de leurs désirs, de leurs travaux. On les regarde comme ce qui fait toute la douceur et la gloire de la vie, et la pauvreté au contraire comme ce qui en fait la honte et le malheur. Senec. epist. Cependant l'antiquité nous fournit un peuple entier ( chose étonnante!) qui se récrie contre de tels sentimens. Enripide avoit mis dans la bouche de Bellerophon un éloge magnifique des richesses, qu'il terminoit par cette pensée « Les richesses font le souverain bonheur du << genre humain; et c'est avec raison qu'elles excitent « l'admiration des dieux et des hommes. » Ces derniers vers révoltèrent tout le peuple d'Athènes. Il s'éleva d'une voix commune contre le poëte, et l'auroit chassé de la ville sur-le-champ, s'il n'avoit prié qu'on attendît la fin de la pièce, où le panégyriste des richesses périssoit misérablement. Mauvaise et pitoyable excuse! L'impression que de telles maximes font sur l'imagination étant vive et prompte, n'attend pas les remèdes lents que l'auteur croit y apporter dans la conclusion de la pièce.

Le peuple romain ne pensoit pas moins noblement. Son ambition étoit d'acquerir beaucoup de gloire et peu de bien. Chacun cherchoit, dit un historien, non à s'enrichir, mais à enrichir sa patrie, et ils aimoient mieux être pauvres dans une république riche qu'être eux-mêmes riches pendant que la république seroit pauvre. Horat. od. On sait que c'est à l'école et dans le sein de la pauvreté

12, lib. 1.

nit: hoc suspiciunt, hoc suis optant.
Denique eò mores redacti sunt, ut
paupertas maledicto probroque sit,
contempta divitibus, invisa pauperi-
bus. Senec. epist. 115.

1 Patrice rem unusquisque, non suam, augere properabat: pauperque in divite, quàm dives in paupere imperio versari malebat, Val. Max. lib. 4, cap. 4.

que furent formés les Camille, les Fabrice, les Curius; et qu'il étoit ordinaire aux plus grands hommes de mourir sans laisser de quoi fournir aux dépenses de leurs funérailles, ni de quoi doter leurs filles.

Telle étoit aussi la disposition de nos anciens magistrats; et on lit avec plaisir dans l'histoire des premiers présidens du parlement de Paris que le célèbre Jean de La Vaquerie « mourut plus riche d'honneur et de réputation que de << biens de fortune. Car ayant délaissé trois filles, héritières seulement de ses vertus, le roi Louis XI son maître, pour « reconnoissance des services qu'il lui avoit rendus, prit « le soin de les marier selon leur condition, et de ses pro« pres deniers. >>

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Un mot de l'empereur Valérien nous marque l'estime qu'on faisoit encore de la pauvreté dans ces derniers temps de l'empire. Il avoit nommé au consulat Aurélien, celui-là même qui depuis fut empereur; et comme il étoit pauvre, il chargea le garde du trésor de lui fournir tout l'argent dont il auroit besoin, pour les dépenses qu'il falloit faire en entrant dans cette charge, et il lui écrivit en ces termes : « Vous donnerez à Aurélien, que j'ai nommé - consul, tout ce qui sera nécessaire pour les spectacles « dont la coutume le charge. Il mérite ce secours à cause de sa pauvreté, qui le rend véritablement grand, et qui « le met au-dessus de tous les autres. »

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Voilà comme dans tous les temps et dans tous les états ont pensé ceux qui avoient l'âme véritablement noble et élevée. Ces grands hommes, persuadés que rien ne marque davantage de la petitesse et de la bassesse d'esprit que d'aimer les richesses, et que rien au contraire n'est plus grand ni plus généreux que de les mépriser, faisoient consister la plus sublime vertu à supporter avec

'Aureliano, cui consulatum detu limus, ob paupertatem, quá ille magnus est, cæteris major, dabis ob editionem Circensium, etc. Vopisc. in vità imper. Aurel.

⚫ Nihil est tam angusti animi tam.

que parvi, quàm amare divitias: nihil honestius magnificentiusque quàm pecuniam contemnere, si non habeas ; si habeas, ad beneficentiam liberalitatemque convertere. Cic. lib. 1, Offic. n. 68.

Plut.

noblesse la pauvreté, et à la regarder comme un avantage, et non comme un malheur. Selon eux, le second degré de la vertu consistoit à faire un bon usage des richesses, quand on en possédoit; et ils pensoient que l'emploi le plus conforme à leur destination, et le plus propre à attirer aux riches l'estime et l'amour des hommes, étoit de les faire servir au bien de la société. En un mot, ils comptoient ne posséder véritablement que ce qu'ils avoient donné.

I

Cimon, général athénien, ne croyoit avoir de grands biens que pour les communiquer à ses citoyens, pour vêtir les uns, et pour soulager la misère des autres. Ce que Philopémen gagnoit sur l'ennemi, il ne l'employoit qu'à fournir des chevaux ou des armes à ceux de ses citoyens qui en manquoient, et à payer la rançon des prisonniers de guerre. Aratus, général des Achéens, se fit universellement aimer, et sauva sa patrie en appliquant les présens qu'il recevoit des rois à calmer les divisions qui y régnoient, en acquittant les dettes des uns, en aidant les autres dans leurs besoins, et en rachetant les captifs.

Pour me contenter d'un seul exemple parmi les Romains, Pline le jeune dépense des sommes considérables Lib. 2, ep.4. pour le service de ses amis. Il remet à l'un tout ce qu'il Lib.3, ep.11. lui doit. Il acquitte les dettes qu'un autre avoit contracLib. 6, ep.32. tées pour de justes raisons. Il augmente la dot de la fille

et 14.

Martial.

d'un autre, afin qu'elle puisse soutenir la dignité de ceLib.1, ep.19. lui qui la doit épouser. Il fournit à l'un de quoi être Lib.7, ep.11. chevalier romain. Pour gratifier un autre, il lui vend Le poëte une terre au-dessous de sa valeur. Il donne à un autre * de quoi retourner en son pays pour y finir tranquilleLib.4, ep.10. ment ses jours. Il se rend facile dans les discussions de Lib. 8, ep. 2. famille, et relâche volontiers de ses droits. Il gratifie sa Lib. 6, ep. 3. nourrice d'une petite terre, qui suffit pour la faire subLib. 1, ep. 8. Laviile de sister. Il fait présent à sa patrie d'une bibliothèque, avec

Lib.3, cp. 21.

Lib. 5, ep. 7.

Come.

› Nihil magis possidere me credam, quàm benè donata. Senec. de vitâ beatâ, cap. 20.

Hoc habeo, quodcumque dedi. Lib. 6, de benef. cap. 3.

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