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armée, contre Arsite. Artyphius, avec des troupes grecques qu'il avoit à sa solde, battit deux fois le général qu'on lui avoit opposé; mais dans une troisième bataille, on les lui débaucha, il fut battu lui-même, et se vit réduit à la nécessité de se rendre, sur quelques espérances de parlon qu'on lui donna. Le roi vouloit le faire mourir; mais la reine Parysatis, sœur et femme de Darius, l'en détourna. Elle étoit aussi fille d'Artaxerxe, mais d'une autre mère que Darius. C'étoit une femme habile, intrigante et rusée, dont le roi, son mari, suivoit presqu'en tout les avis. Celui qu'elle lui donna en cette occasion étoit d'une profonde perfidie. Elle lui conseilla d'user de clémence envers Artyphius, et de le bien traiter, afin de faire espérer à son frère, lorsqu'il verroit sa générosité pour un serviteur rebelle, de trouver lui-même un traitement pour le moins aussi favorable, et l'engager par là à se soumettre." Elle ajouta que, quand il seroit une fois maître de la personne de ce prince, il feroit à l'un et à l'autre ce qu'il jugeroit à propos. Darius suivit son conseil, et il lui réussit. Arsite, informé de la douceur dont on usoit à l'égard d'Artyphius, conclut que lui, qui étoit frère du roi, seroit traité encore plus favorablement; et sur cette espérance il traita avec son frère et se rendit. Darius penchoit beaucoup à lui sauver la vie : mais Parysatis, à force de lui représenter que la punition de ce rebelle étoit nécespour sa sûreté, le détermina à s'en défaire en le faisant périr misérablement dans la cendre avec Artyphius: ce ne fut pourtant pas sans se faire une grande violence qu'il consentit à ce sacrifice, car il aimoit tendrement ce frère. Il fit encore quelques autres exécutions qui ne lui procurèrent pas la tranquillité qu'il en attendoit; car son règne, dans la suite, fut troublé par de violentes agitations, qui ne lui laissèrent pas beaucoup de repos.

saire

Une des plus dangereuses fut celle que lui suscita la rébellion de Pisuthne, qui, étant gouverneur de Lydie, voulut secouer le joug de l'empire des Perses, et se rendre Souverain dans sa province. Ce qui lui fit espérer d'y réussir fut le corps de troupes grecques qu'il avoit ramassées et

AN. M. 3590.

Av. J.C.414.
Ctes.cap. 51.

prises à son service sous le commandement de Lycon, Athénien. Darius envoya Tissapherne contre ce rebelle, et lui donna, avec une bonne armée, la commission de gouverneur de Lydie, dont il falloit déposséder l'autre. Tissapherne, qui étoit un homme plein de ruse, et capable de jouer toutes sortes de personnages, trouva le moyen de parler aux Grecs de Pisuthne; et, à force de présens et de promesses, il gagna et les troupes et le général, qui se donnèrent à lui. Le rebelle, trop affoibli par cette désertion pour soutenir la démarche qu'il avoit faite, se rendit, dans l'espérance d'obtenir sa grâce, comme on l'en avoit flatté; et, dès qu'on l'eut amené devant le roi, il fut condamné à être étouffé dans la cendre, et eut le même sort que les rebelles qui l'avoient précédé. Sa mort n'apaisa Thucyd. lib, pas entièrement tous les troubles. Amorgas, son fils, avec 8.p.554.567. le reste de son armée, se maintint encore contre Tissa

568.

Cies. cap. 52.

pherne; et, pendant deux ans, il ravagea les provinces maritimes de l'Asie mineure, jusqu'à ce qu'enfin il fût pris par les Grecs du Péloponèse, à Jase, ville d'Ionie, et livré par eux à Tissapherne, qui le fit mourir.

Un autre grand embarras où se trouva Darius fut celui où le jeta l'un de ses eunuques. Ces sortes d'officiers s'étoient depuis long-temps rendus tout-puissans dans la cour des rois de Perse; et la suite de l'histoire nous fera voir qu'ils Vopis. in vit. y dominèrent toujours absolument. On peut connoître et Aurelian. leur caractère, et le danger dont ils sont pour les princes, imper. par le portrait que Dioclétien, après s'être réduit à une condition privée, faisoit des affranchis, qui s'étoient de même rendus maîtres des empereurs romains. « Il ne faut, disoit-il, que quatre ou cinq personnes bien unies entre elles, et bien déterminées à tromper le prince, pour y « réussir. Ils ne lui montrent jamais les choses que par « le seul côté qui peut les lui faire approuver. Ils lui ca«< chent tout ce qui contribueroit à l'éclairer; et, comme « ils l'obsèdent seuls, il ne peut être instruit que par leur «< canal, et il ne sait que ce qu'il leur plaît de lui dire. Ainsi il accorde les magistratures à qui il les faudroit refuser; il destitue, au contraire, de leurs emplois ceux

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qui en sont les plus dignes. En un mot, le meilleur prince souvent est vendu par eux malgré sa vigilance, et malgré même ses défiances et ses soupçons. » Quid multa? ut Diocletianus ipse dicebat, bonus, cautus, optimus venditur imperator.

Voilà comment étoit gouvernée la cour de Darius. Trois eunuques s'y étoient emparés de toute la puissance; marque certaine d'un mauvais gouvernement et d'un prince sans mérite. Mais parmi ces trois eunuques il y en avoit un qui dominoit sur les autres, et qui en étoit le chef; il se nommoit Artoxare. Il avoit su observer le foible de Darius pour gagner sa confiance. Il avoit étudié toutes ses passions pour les favoriser et le gouverner par elles. Il ne l'occupoit que de plaisirs et d'amusemens, pour s'attirer toute l'autorité. Enfin, sous le nom et sous la protection de la reine Parysatis, des volontés de laquelle il se montroit fidèle esclave, il disposoit de toutes les affaires de l'empire, et tout se régloit par ses ordres. Enivré par l'autorité souveraine que lui donnoit la faveur de son maître, il se mit en tête de se rendre souverain, au lieu de premier ministre qu'il étoit, et forma le dessein de se défaire de Darius et de monter sur son trône. Mais sa trame ayant été découverte, il fut arrêté et mis entre les mains de Parysatis, qui lui fit souffrir les plus cruels et les plus honteux supplices.

Euseb. in

Chron.

Le plus grand des malheurs qui arrivèrent à Darius pendant tout le cours de son règne, fut la révolte de l'Égypte. Ce coup terrible éclata dans la même année que la révolte de Pisuthne. Darius ne put réduire l'Égypte comme il réduisit ce rebelle. Les Égyptiens, las de la do- Thucyd. lit. mination des Perses, accoururent de toutes parts auprès 1,cap.72-73. d'Amyrtée Saïte, qui étoit enfin sorti des marais où il s'étoit toujours maintenu depuis que la révolte d'Inarus avoit été étouffée. Les Perses furent chassés et Amyrtée déclaré roi d'Égypte, et il y régna six ans.

'Scis præcipuum esse indicium non magni principis, magnos libertos. Plin. ad Trajan.

cup. 15.

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Après s'être bien affermi sur le trône, et avoir entièrement chassé d'Égypte les Perses, il se préparoit à les poursuivre jusque dans la Phénicie, et avoit déjà pris des mesures avec les Arabes pour les y attaquer. L'avis qu'en ent le roi de Perse lui fit rappeler la flotte qu'il avoit promise aux Lacédémoniens, pour l'employer à garder ses propres

états.

Pendant que Darius faisoit la guerre en Égypte et en Arabie, les Mèdes se soulevèrent; mais ils furent battus, et ramenés à leur devoir par la force. Pour châtier cette rébellion, on appesantit leur joug, qui avoit été assez doux jusque-là. C'est ce qui ne manque jamais d'arriver à des sujets rebelles, quand la puissance à laquelle ils avoient voulu se soustraire reprend le dessus.

Les armes de Darius semblent avoir eu le même succès contre les Égyptiens. Amyrtée étant mort après avoir régné Herod. lib.3, six ans (peut-être même fut-il tué dans quelque action), Hérodote remarque que ce fut par la faveur des Perses que son fils Pausiris lui succéda. Il falloit donc pour cela qu'ils fussent maîtres de l'Égypte, ou du moins que leur parti y fût le plus fort.

AN. M. 3597.

Après être venu à bout des rebelles en Médie, et avoir Av. J.C.40% rétabli les affaires d'Égypte, Darius donna à Cyrus, le plus jeune de ses fils, le gouvernement en chef de toutes les provinces de l'Asie mineure; commission importante, qui soumettoit à ses ordres tous les gouverneurs particuliers de cette partie de l'empire.

J'ai cru devoir anticiper les temps, et mettre tout de suite ces faits qui regardent les rois de Perse, pour n'être point obligé d'interrompre si souvent l'histoire des Grecs, à laquelle il est temps de revenir.

Ε

. II. Les Athéniens se rendent maîtres de l'ile de Cythère. Expéditions de Brasidas dans la Thrace. Il prend Amphipolis. Exil de Thucydide l'historien. Combat près de Délie, où les Athéniens sont vaincus.

VIII année de la guerre.

Dans les trois ou quatre campagnes qui suivirent la réJuction de la petite île Sphactérie, il ne se passa guère d'événemens considérables.

Les Athéniens, sous la conduite de Nicias, se rendirent A. M. 5580. maîtres de l'ile de Cythère, qui est sur la côte de Lacédé- Av. J.C.424. Thucyd. lib. mone, près du cap de Malée, et de là ils infestoient tout le 4, p. 286. pays.

Diod. lib. 12,

D'un autre côté, Brasidas marcha vers la Thrace. Les Thucyd. lib. Lacédémoniens étoient portés à cette expédition par plus 4, p.504.311. d'un motif. Ils comptoient faire une diversion des forces p. 117-413. d'Athènes, qui leur étoient tombées sur les bras dans leur pays. Les peuples de cette contrée les y appeloient, et s'offroient à payer l'armée. Enfin, ils étoient bien aises de profiter de cette occasion pour se défaire des Ilotes, dont ils appréhendoient un soulèvement depuis la prise de Pyle. Ils s'étoient déjà défait de deux mille d'entre eux, par une voie qui fait horreur. Sous le spécieux prétexte de récompenser le mérite jusque dans les esclaves mêmes, mais en effet pour se délivrer de ceux dont ils redoutoient plus le courage, ils firent proclamer par un édit public que ceux des Ilotes qui auroient le mieux servi l'état dans les dernières campagnes vinssent inscrire leurs noms dans le registre public, pour être délivrés de la servitude. Deux mille se présentèrent. On les promena par les temples avec des chapeaux de fleurs, comme si l'on eût eu envie en effet de leur accorder la liberté. Après cette cérémonie ils disparurent tous, sans qu'on ait jamais su depuis ce qu'ils étoient devenus. On voit ici comment une politique ombrageuse, et une domination jalouse et pleine de défiance, porte aux plus noires perfidies, et ne craint point de faire

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