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la justice. Pour se faire obéir, il aimoit à n'employer que la persuasion et le bon exemple, qui sont les armes de la vertu, et qui produisent seuls une obéissance sincère et

constante.

Une vieillesse respectée, un nom chéri et révéré par tous ses sujets, une réputation également répandue au-dedans et au-dehors, ont été le fruit de cette sagesse conservée sur le trône jusqu'au dernier soupir. Son règne fut court, et ne fit que le montrer à la Sicile, pour donner dans sa personne le modèle d'un bon et d'un véritable roi. Après avoir régné seulement sept ans, il mourut, infiniment regretté de tous ses sujets. Chaque famille croyoit avoir perdu son meilleur ami, son protecteur, son père. Le peuple lui érigea hors de la ville, dans l'endroit où sa femme Démarète avoit été ensevelie, un superbe monument, environné de neuf tours d'une hauteur et d'une magnificence extraordinaire, et lui décerna les honneurs qu'on rendoit alors aux demi-dieux, appelés autrement les héros. Les Carthaginois, dans la suite, abattirent ce monument, et Agathocle ces tours: mais, dit l'historien, ni la violence, ni l'envie, ni le temps qui ruine tout, n'ont pu détruire la gloire de son nom, ni abolir la mémoire de ses grandes vertus et de ses belles actions, gravées par l'amour et par la reconnoissance dans le cœur des Siciliens.

II. HIERON.

AN. M. 3532. Après la mort de Gélon, le sceptre demeura encore Av. J.C.472. dans sa famille près de douze ans. Hiéron, l'aîné de ses frères, lui succéda.

Il faut, pour concilier les auteurs au sujet de ce prince, dont les uns le donnent pour un bon roi, d'autres pour un tyran odieux; il faut, dis-je, distinguer les temps. Il y a beaucoup d'apparence qu'Hiéron, dans les commencemens de son règne, ébloui par l'éclat de la puissance souveraine, et corrompu par les flatteries des courtisans, prit à tâche d'abord de s'écarter de la route que son prédé

cesseur venoit de lui marquer, et dont il s'étoit si bien trouvé. Ce jeune prince étoit avare, violent, injuste, et Diod.lib.11, ne songeoit qu'à satisfaire ses passions, sans se mettre en p. 51. peine de s'attirer l'estime et l'affection des peuples, qui, de leur côté, avoient une extrême haine pour un prince qu'ils regardoient plutôt comme un tyran que comme un roi. Il n'y eut que le respect pour la mémoire de Gélon qui les empêcha d'éclater.

Quelque temps après qu'il fut monté sur le trône, il Diod. lib.11, conçut de violens soupçons contre son frère Polyzèle, dont p.36. le grand crédit qu'il avoit dans la ville lui fit craindre qu'il ne songeât à le détrôner. Pour se défaire sans bruit d'un ennemi, selon lui, fort dangereux, il voulut le mettre à la tête de quelques troupes qu'il envoyoit au secours des Sybarites contre les Crotoniates, espérant qu'il périroit dans cette expédition. Le refus que fit son frère d'accepter ce commandement l'aigrit encore davantage contre lui. Théron, qui avoit épousé la fille de Polyzèle, prit le parti de son beau-père. Il y eut à ce sujet de grands et de longs différends entre le roi de Syracuse et celui d'Agrigente : mais à la fin ils s'accommodèrent par la sage entremise du Pind. poëte Simonide; et, pour rendre leur accommodement durable, ils le cimentèrent par une nouvelle alliance. Hiéron épousa la sœur de Théron. Depuis ce temps-là, les deux rois vécurent en bonne intelligence.

Schol. in

Une santé d'abord assez infirme, et éprouvée par de Elian.lib.4, fréquentes maladies, laissa à Hiéron le temps de faire des cap. 15. réflexions, et lui fit naître la pensée d'appeler auprès de lui des personnes savantes, capables de l'entretenir agréablement, et de lui donner d'utiles instructions. Les plus célèbres poëtes de son temps se rendirent à sa cour; Simonide, Pindare, Bacchylide, Épicharme ; et l'on prétend que la douceur et les charmes de leur conversation ne contribuèrent pas peu à adoucir l'humeur dure et sauvage d'Hiéron.

Plutarque rapporte de lui une parole qui marque une In Apophth. disposition excellente dans un prince. Il disoit que sa mai- p. 175. son et ses oreilles seroient toujours ouvertes à quiconque

voudroit lui dire la vérité, et qui la lui diroit avec franchise et sans ménagement.

Les poëtes dont j'ai parlé n'excelloient pas seulement dans la poésie, mais avoient d'ailleurs un grand fonds dérudition, et étoient regardés et consultés comme les sages Cic. lib. 1, de leur temps. C'est ce que Ciceron dit en particulier de de Nat.deor. Simonide. Il avoit beaucoup de crédit sur l'esprit du roi,

n. 60.

et il s'en servoit pour le porter à la vertu. Leurs entretiens rouloient assez souvent sur des matières de philosophie. J'ai déjà remarqué ailleurs que, dans une de ces conversations, Hiéron demanda à Simonide. ce qu'il pensoit sur la nature et sur les attributs de la Divinité. Celui-ci demanda un jour pour y réfléchir ; le lendemain il en demanda deux, et alla toujours ainsi en augmentant. Pressé par le prince de rendre raison de ces délais, il avoua que la matière étoit au-dessus de ses forces, et que plus il y pensoit, plus il y trouvoit d'obscurité.

Nous avons un excellent traité de Xénophon sur la manière de bien gouverner, qui a pour titre Hiéron, et qui est un dialogue entre ce prince et Simonide. Hiéron entreprend de prouver au poëte que les tyrans, les rois, ne sont pas si heureux qu'on se l'imagine. Entre un grand nombre de preuves qu'il en apporte, il insiste principalement sur le malheur qu'ils ont d'être privés du plus grand bien et de la plus grande douceur de la vie, c'est-à-dire d'un véritable ami, dans le sein duquel on puisse déposer sûrement ses chagrins, ses inquiétudes, ses secrets; qui partage avec nous nos joies et nos douleurs; en un mot, qui soit un autre nous-même, et qui ne fasse avec nous qu'un cœur et qu'une âme. Simonide, de son côté, lui donne d'admirables instructions sur les devoirs de la royauté. Il lui représente qu'un roi ne l'est pas pour lui, mais pour les autres ; que sa grandeur consiste, non à se bâtir de superbes palais, mais à construire des temples, à fortifier et à embellir ses villes; que sa gloire est, non qu'on le craigne,

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1 Simonides, non poëta solùm sua- piensque traditur. Cic. de nat. deor. vis, verùm etiam cæteroqui doctus sa- lib. 1, n. 60.

mais qu'on craigne pour lui; qu'un soin véritablement royal n'est pas d'entrer en lice avec le premier venu dans les jeux olympiques (c'étoit la passion des princes de ce temps-là, et en particulier d'Hiéron“), mais de disputer avec les rois voisins à qui réussira le mieux à répandre l'abondance dans ses états, et à rendre ses peuples heureux.

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«

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Un autre poëte, c'est Pindare, loue néanmoins ce même Hiéron sur la victoire qu'il avoit remportée à la course équestre. « Ce prince, dit-il dans son ode, qui gouverne « avec équité les peuples de l'opulente Sicile, a cueilli la plus pure fleur de toutes les vertus. Il se fait un noble plaisir de ce que la poésie et la musique ont de plus exquis. Il aime les airs mélodieux, tels que nous avons cou« tume d'en jouer à la table des personnes qui nous sont « chères. Courage donc, prends ta lyre, et monte-la sur le <ton dorien. Si tu te sens animé d'un beau feu en faveur « de Pise et de Phérénice; s'ils ont fait naître en toi « les plus doux transports lorsque ce généreux coursier, « sans être piqué de l'éperon, voloit sur les bords de l'Alphée et portoit son maître au sein de la victoire « chante le roi de Syracuse, l'ornement de nos courses équestres. >>

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On peut voir l'ode entière traduite par feu M. Massieu, dans le 6. tome des mémoires de l'académie des inscriptions et belles-lettres, d'où j'ai extrait le peu que j'en ai rapporté. J'ai été bien aise de faire connoître Pindare au lecteur par ce petit échantillon.

Cette ode est suivie immédiatement d'une autre composée en l'honneur de Théron, roi d'Agrigente, vainqueur à la course des chars. Plusieurs la regardent comme le chef-d'œuvre de Pindare, tant l'expression leur en paroît sublime, les sentimens nobles, la morale pure.

Je ne sais pas jusqu'à quel point il faut compter sur les

a On dit que Thémistocle, le voyant arriver aux jeux olympiques avec un grand équipage, fut d'avis qu'on ne l'y admît pas, parce qu'il n'avoit point secouru les Grecs contre l'ennemi commun, non plus que son frère Gélon;

et cet avis fit honneur au général athénien. Elian. lib. 9, c. 5.

b Pisc étoit la ville près de laquelle se célébroient les jeux olympiques : Phérénice le nom du coursier d'Iliéron, qui signifie, remporteur de victoires.

Pind.

A

autres louanges que Pindare donne à Hiéron; car les poëtes ne se piquent pas toujours d'une grande sincérité dans celles qu'ils accordent aux princes: mais au moins il est certain qu'il avoit fait de sa cour le rendez-vous des beaux esprits, et qu'il avoit su les y attirer par ses manieres honnêtes et engageantes, et encore plus par ses libéralités, œ qui n'est pas un petit mérite pour un roi.

ce

On ne peut donner à la cour d'Hiéron l'éloge que donne Horace à celle de Mécène1, où régnoit un caractère rare parmi les savans, mais infiniment plus estimable que toute leur science. On ne connoissoit point, dit Horace, dans cette aimable cour les bas sentimens de l'envie et de la jalousie, et l'on y voyoit, dans ceux qui partageoient la Scholiast. faveur du maître, un mérite ou un crédit supérieur, sans en prendre ombrage. Il n'en étoit pas ainsi chez Hiéron, ni chez Théron. On dit que Simonide et son neven Bacchylide tâchoient par toutes sortes de critiques d'affoiblir l'estime que ces princes témoignoient pour les ouvrages de Pindare. Celui-ci, par droit de représailles, les rabaisse étrangement dans l'ode de Théron, en les comparant à des corbeaux qui croassent inutilement contre le divin oiseau de Jupiter. La vertu de Pindare n'étoit pas la modestie.

Diod. lib.11,

p. 37.

Id. p. 50.

Hiéron, ayant chassé de Catane et de Naxe les anciens habitans, y établit une nombreuse colonie composée de dix mille hommes, dont cinq mille étoient Syracusains, et les cinq autres mille venus du Péloponèse. C'est ce qui engagea les habitans de ces deux villes à lui décerner après sa mort les honneurs qu'on rendoit aux héros ou demidieux, parce qu'ils le regardoient comme leur fondateur.

Il témoigna beaucoup de bonté aux enfans d'Anaxilaüs, qui avoit été tyran de Zancle, et grand ami de Gélon son frère. Comme ils étoient parvenus à l'âge viril, il les

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