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Plut. de Herod. malign.

Quand les ennemis de Périclès virent que le peuple approuvoit et recevoit avec plaisir toutes ces dénonciations, ils l'accusèrent lui-même en personne, comme s'il avoit volé le public pendant son gouvernement. On fit un décret par lequel il étoit porté que Périclès rendroit au plus tôt ses comptes, que l'affaire seroit jugée par quinze cents juges, et que l'action seroit appelée de rapine et de concussion. Il n'avoit rien à craindre dans le fond, parce que, dans le maniement des affaires publiques, sa conduite avoit toujours été irréprochable, surtout du côté de l'intérêt; mais la mauvaise volonté du peuple, dont il connoissoit la légèreté et l'inconstance, ne laissoit pas de l'inquiéter. Un jour qu'Alcibiade, encore très-jeune alors, alla à son logis pour le voir, on lui dit qu'il ne pouvoit pas lui parler, parce qu'il étoit actuellement occupé à de grandes affaires. S'étant informé quelles étoient donc ces affaires si importantes, on lui répondit que Périclès songeoit à rendre ses comptes. Il devroit bien plutôt, répartit le jeune homme, songer à ne les rendre pas. En effet, c'est à quoi Périclès se détermina. Pour conjurer l'orage, il prit le parti de ne plus s'opposer au penchant qu'avoit le peuple pour la guerre du Péloponèse, qui depuis longtemps se préparoit, persuadé que par là les plaintes qu'on faisoit se dissiperoient bientôt, que l'envie céderoit à un motif plus fort, et que, dans un danger si pressant, la ville ne manqueroit jamais de se jeter entre ses bras, et de s'abandonner à sa conduite, à cause de sa puissance et de så grande réputation.

C'est ce qu'ont rapporté quelques historiens; et les poëtes P. 855-856, comiques, du vivant et sous les yeux de Périclès même, ne manquèrent pas de répandre ce bruit dans le public, pour donner atteinte, s'ils pouvoient, à sa réputation et à son mérite, qui lui attiroit beaucoup d'envieux et d'ennemis. Plutarque, à ce sujet, fait une réflexion qui pourroit être d'un grand usage, non-seulement pour ceux qui sont chargés du gouvernement, mais pour toutes sortes de personnes, et pour le commerce ordinaire de la vie. Il trouve étrange, lorsque les actions sont bonnes en elles

mêmes, et n'ont rien que de louable au-dehors, que, pour décrier les grands hommes, on aille fouiller dans leur cœur, et que par une lâche et noire malignité on leur prête des vues et des intentions qu'ils n'ont peut-être jamais eues. Il souhaiteroit au contraire, quand le motif est obscur, et qu'une même action peut avoir deux faces, qu'on la regardât toujours du bon côté, et qu'on penchât à en juger favorablement. Il applique ce principe aux bruits qu'on avoit répandus sur Périclès, comme s'il n'eût allumé la guerre du Péloponèse que par des vues particulières et intéressées; au lieu que toute sa conduite passée devoit faire juger que c'étoit par des raisons d'état, et pour le bien public, qu'il s'étoit enfin rendu à un sentiment auquel jusque-là il avoit cru devoir s'opposer.

que

1, p.

p. 95-97.

Pendant cette affaire étoit en mouvement à Athènes, Thucyd.lib. les Lacédémoniens firent faire coup sur coup à Athènes, P. 93-99. par plusieurs ambassades, les diverses demandes dont il a été parlé. L'affaire fut donc mise en délibération dans l'assemblée du peuple; et il y fut résolu qu'on opineroit conjointement sur tous les chefs avant que de donner une réponse positive. Les avis furent partagés, comme c'est l'ordinaire; et quelques-uns conclurent à abolir le décret fait contre Mégare, qui paroissoit le principal obstacle à la paix.

Périclés parla en cette occasion avec une éloquence que la vue du bien public et de l'honneur de sa patrie rendit plus véhémente encore et plus triomphante qu'elle ne l'avoit jamais paru. Il fit voir d'abord que le décret de Mégare, sur lequel on insistoit le plus, n'étoit pas une chose aussi indifférente qu'on se l'imaginoit: que la demande des Lacédémoniens à cet égard n'étoit qu'une tentative pour sonder la disposition des Athéniens, et connoître si on pouvoit les entamer en les intimidant : que de reculer dans cette occasion, c'étoit montrer de la crainte et avouer sa foiblesse : qu'il ne s'agissoit de rien moins que de céder aux Lacédémoniens l'empire dont les Athéniens s'étoient mis en possession depuis plusieurs années par leur courage et leur fermeté: que, si on se relâchoit sur ce

des

point, on leur imposeroit aussitôt de nouvelles lois, comme
à des gens qui ont peur; au lieu qu'en résistant vigoureu-
sement, on seroit contraint de les traiter au moins comme
égaux que sur les contestations présentes on pouvoit
prendre des arbitres, pour les terminer à l'amiable; mais
qu'il ne convenoit point aux Lacédémoniens d'ordonner
à Athènes, d'un ton de maîtres, qu'elle eût à quitter Po-
tidée, à affranchir Egine, à révoquer le décret de Mégare:
que cette conduite impérieuse étoit directement contraire
au traité, qui portoit, en termes formels s'il arrivoit
que
quelque différend entre les alliés, on le videroit par
voies pacifiques, SANS SE DESSAISIR DE CE QU'ON POSSÉDOIT.
qu'au reste, le moyen le plus sûr de n'être pas toujours
en peine de contester ce qu'on possède, c'est de prendre
les armes en main, et de disputer ses droits à la pointe de
l'épée que les Athéniens avoient de ce côté-là tout lieu
:
d'espérer gain de cause; et, pour leur en donner une plus
vive idée, il fit une description magnifique de l'état pré-
sent des affaires d'Athènes, marquant en détail jusqu'où
montoient ses fonds, ses revenus, ses flottes, ses troupes
de terre et de mer, et celles de ses alliés, et comparant
tout cela à la pauvreté de Lacédémone, destituée absolu-
ment de finances, qui sont pourtant le nerf de la guerre,

et extrêmement foible du côté de la marine, qui en fait le Diod. lib.12, principal succès. En effet, il se trouvoit dans le trésor pupag. 96-97. blic, qu'on avoit transporté de Délos à Athènes, neuf mille six cents talens, qui font près de vingt-huit millions. Les contributions des alliés, pour chaque année, étoient de quatre cent soixante talens, c'est-à-dire, près de quatorze cent mille livres. En cas de nécessité, on pouvoit trouver des ressources infinies dans les ornemens des temples, puisque ceux de la statue seule de Minerve montoient à cinquante talens d'or, c'est-à-dire, à quinze cent mille francs, que l'on pouvoit ôter de la statue sans la détruire, et les remettre ensuite dans de meilleurs temps. Pour les troupes de terre, elles montoient à peu près à trente mille hommes, et la flotte à trois cents galères. Il les avertit surtout de ne point hasarder de combat dans leur pays contre

les Péloponésiens, qui avoient plus de troupes qu'eux; de ne compter pour rien le ravage de leurs terres, qui pouvoit aisément se réparer, mais de compter pour tout la perte des hommes, qui étoit irréparable; de faire consister toute leur politique à garder leur ville, et à se conserver l'empire de la mer, qui tôt ou tard les rendroit maîtres de leurs ennemis. Il régla le plan de la guerre, non pour une seule campagne, mais pour tout le temps qu'elle dureroit, leur faisant entrevoir les maux qu'ils avoient à craindre s'ils s'écartoient de ce système. Périclès, après avoir ajouté d'autres considérations, tirées du caractère et du gouvernement intérieur des deux républiques : l'une, incertaine et flottante dans ses délibérations, plus lente encore dans l'exécution, parce qu'elle est assujettie à attendre le consentement des alliés; l'autre, prompte, dé cidée, indépendante, et maîtresse des résolutions, ce qui n'est pas indifférent pour le succès des entreprises: Périclès, dis-je, termina son discours, et forma son avis. « Il ne « reste plus, dit-il, que de renvoyer les ambassadeurs, et « de leur répondre que nous permettrons le commerce « d'Athènes à ceux de Mégare, pourvu que les Lacédémo« niens n'interdisent le leur ni à nous, ni à nos alliés. « Pour les villes de la Grèce, nous laisserons libres celles qui l'étoient lors de notre accord, à condition qu'ils en « feront autant à l'égard de celles qui sont dans leur dé<< pendance. Nous ne refusons point de nous en rapporter . à des arbitres pour tout ce qui fait le sujet de nos disputes; << et nous ne commencerons point les premiers la guerre, « mais nous nous défendrons fortement, si l'on nous ⚫ attaque. »

On répondit aux ambassadeurs suivant l'avis de Périclès. Ils s'en retournèrent, et ne revinrent plus depuis. Bientôt après commença la guerre du Péloponèse.

AN. M. 3520.

Av. J.C.484.
Diod. lib.11,

CHAPITRE SECOND.

Affaires des Grecs, tant en Sicile qu'en Italie.

COMME la guerre du Péloponèse est un grand événement qui occupera un temps considérable, avant que d'y entrer, je crois devoir exposer en peu de mots ce qui s'étoit passé de plus important, jusqu'au temps où nous sommes, dans la grande Grèce, soit en Sicile, soit en Italie.

§. I. Défaite des Carthaginois dans la Sicile. Théron, tyran d'Agrigente. Règne de Gélon à Syracuse, et de ses deux frères. Rétablissement de la liberté.

I. GÉLON.

Nous avons vu que Xerxès, qui ne se proposoit rien moins que d'exterminer entièrement les Grecs, avoit enp.1,et16-22. gagé les Carthaginois à porter la guerre contre ceux qui habitoient dans la Sicile. Ils y passèrent avec une armée de terre de plus de trois cent mille hommes, et une flotte composée de deux mille vaisseaux, et de plus de trois mille petits bâtimens de charge. Amilcar, le plus habile capitaine qui fût alors à Carthage, fut chargé de cette ex pédition. Le succès ne répondit pas à un si formidable appareil. L'armée des Carthaginois fut entièrement défaite par Gélon, qui avoit alors la principale autorité dans Syracuse.

Herod.lib.7, Ce Gélon étoit d'une ville de Sicile située sur la côte cap. 153-167 méridionale, entre Agrigente et Camarine, appelée Géla, d'où peut-être il tira son nom. Il s'étoit fort distingué dans les guerres qu'Hippocrate, tyran de Gèle, eut à soutenir contre ses voisins, qu'il subjugua presque tous, fallut qu'il ne se rendit maître de Syracuse. Après la mort

et s'en

peu

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