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mander en chef dans toutes les parties maritimes de l'Asie, avec ordre de faire une invasion dans la Grèce, et de le venger des Athéniens et des Erétriens pour l'incendie de Sardes. Le prince montroit peu de sagesse dans ce choix, où il préféroit un jeune homme de faveur à ses plus vieux et plus expérimentés généraux, surtout dans une guerre très-difficile, dont le succès lui tenoit fort à cœur, et qui intéressoit infiniment la gloire de son règne. La qualité de gendre du roi pouvoit augmenter son crédit, mais n'ajou→ toit rien à son mérite, et ne le rendoit pas excellent général.

A son arrivée dans la Macédoine, où il étoit passé avec l'armée de terre après avoir traversé la Thrace, tout le pays, effrayé de sa puissance, se soumit. Mais sa flotte, ayant voulu doubler le mont Athos (nommé présentement CapoSanto), pour gagner les côtes de la Macédoine, fut accueillie d'une si violente tempête, que plus de trois cents vaisseaux, avec plus de vingt mille hommes, y périrent. Dans le même temps, l'armée de terre reçut un échec non moins considérable. Car, comme elle campoit dans un lieu mal sûr, les Thraces tombèrent de nuit sur le camp des Perses, en firent un grand carnage, et blessèrent Mardonius lui-même. Tous ces mauvais succès l'obligèrent bientôt après de retourner en Asie avec la honte et la douleur d'avoir mal réussi dans cette expédition tant par terre que par mer.

Darius, s'apercevant trop tard que la jeunesse et le peu d'expérience de Mardonius étoient la cause de l'échec qu'avoient reçu ses troupes, le rappela, et mit dans la suite à sa place deux autres généraux, Datis, Mède de nation, et Artapherne, fils d'Artapherne son frère, qui avoit été gouverneur de Sardes. Ce prince songeoit sérieusement à mettre en exécution le grand dessein qu'il rouloit depuis long-temps dans son esprit; c'étoit d'attaquer la Grèce avec toutes ses forces, et surtout de tirer une illustre vengeance des Athéniens et de ceux d'Erétrie, dont l'entreprise contre Sardes lui étoit toujours présente.

I.

État d'Athènes. Caractères de Miltiade, de Thémistocle et d'Aristide.

Il faut nous rappeler dans l'esprit l'état où étoit pour lors Athènes, qui seule soutint le premier choc des Perses à Marathon, et nous former par avance quelque idée des grands hommes qui eurent part à cette célèbre victoire.

Athènes, délivrée tout récemment du joug de la servitude, qu'elle s'étoit vu contrainte de porter pendant plus de trente ans sous Pisistrate et sous ses enfans, goûtoit en paix les avantages de la liberté, dont cette courte privation n'avoit servi qu'à lui faire mieux sentir et le prix et la douceur. Lacédémone, qui dominoit pour lors dans la Grèce, et qui d'abord avoit beaucoup contribué à cet heureux changement, sembla dans la suite s'en repentir, et, jalouse du tranquille repos qu'elle-même avoit procuré à ses voisins, elle entreprit de le troubler en essayant de faire remonter sur le trône Hippias, fils de Pisistrate. Ses efforts furent inutiles, et ne servirent qu'à marquer sa mauvaise volonté, et la douleur qu'elle avoit de voir qu'Athènes voulût se maintenir dans l'indépendance, même à son égard. Hippias eut recours aux Perses. Artapherne, gouverneur de Sardes, fit dire aux Athéniens, comme nous l'avons rapporté ci-dessus, qu'ils eussent à le rétablir dans son autorité, s'ils ne vouloient s'attirer sur les bras toute la puissance de Darius. Cette seconde tentative n'ayant pas mieux réussi que la première, Hippias attendit une occasion plus favorable. Nous verrons bientôt qu'il servit de guide et de conducteur aux généraux que le roi de Perse envoya contre la Grèce.

Athènes, depuis le recouvrement de sa liberté, étoit tout autre que sous les tyrans, et montroit un courage tout nouveau. Parmi ses citoyens, Miltiade fut celui qui se Herod. lib.6, distingua le plus dans la guerre contre les Perses dont nous сар. 34-41. Cornel. Nep. allons parler. Il étoit fils de Cimon, illustre Athénien. in Milt, c. Celui-ci avoit un frère, de mère, non de père, nommé aussi

1-3.

Miltiade, d'une maison fort noble et fort ancienne, originaire d'Egine, qui avoit été reçu depuis peu au nombre des citoyens d'Athènes. Il y étoit fort puissant du temps même de Pisistrate: mais comme il souffroit avec peine son pouvoir despotique, il accepta avec joie l'offre qu'on lui fit d'aller s'établir avec une colonie dans la Chersonèse de Thrace, où il étoit appelé par les Dolonces, habitans du pays, pour être leur roi, ou, comme on parloit pour lors, leur tyran. Etant mort sans enfans, il laissa la souveraineté à Stésagore son neveu, fils aîné de son frère Cimon : et celui-ci étant mort aussi sans postérité, les fils de Pisistrate, qui gouvernoient alors la ville d'Athènes, avoient envoyé dans ce pays-là, pour lui succéder, Miltiade son frère, qui est celui dont nous parlons ici. Il y arriva et s'y établit l'année même que Darius entreprit la guerre contre les Scythes. Il accompagna ce prince avec quelques vaisseaux jusqu'au Danube; et ce fut lui qui conseilla aux Ioniens de rompre le pont, et de se retirer sans attendre Darius. Pendant son séjour dans la Chersonèse, il épousa Hégésipyle", fille d'Olore, un roi de Thrace du voisinage, de laquelle il eut Cimon, ce fameux général des Athéniens, dont il sera beaucoup parlé dans la suite. Miltiade ayant renoncé, pour plusieurs raisons, à son établissement dans la Thrace, s'embarqua avec tout ce qu'il avoit sur cinq vaisseaux, et fit voile vers Athènes. Il s'y établit de nouveau, et s'y acquit une grande réputation.

Themist. pag. 112An seni sit

113.

Dans le même temps, deux autres citoyens, plus jeunes Plut. in A que Miltiade, commençoient à se faire connoître à Athènes, rist. p. 319. savoir, Aristide et Thémistocle. Plutarque observe que le premier s'étoit formé sur le modèle de Clisthène, l'un des plus grands hommes de son temps, et zélé défenseur de la liberté, qui avoit beaucoup contribué à la rétablirà Athènes, en chassant de cette ville les Pisistratides. C'étoit une salutaire coutume établie chez les anciens, et qu'il seroit à souhaiter qui le fût aussi parmi nous, que les jeunes gens qui

Après la mort de Miltiade, cette princesse eut d'un second mari un fils

appelé Olore, du nom de son grand

père, qui fut père de Thucydide l'his-
torien. Herod, ibid.

ger. resp.

Plut. an seni

806-807.

1

aspiroient aux charges s'attachassent particulièrement aux vieillards qui s'y étoient le plus distingués, et qu'ils apprissent par leurs conversations, et encore plus par leurs exemples, l'art de se bien conduire eux-mêmes, et de gouverner sagement les autres. C'est ainsi, dit Plutarque, qu'Aristide s'attacha à Clisthène, Cimon à Aristide; et il en rapporte plusieurs autres, parmi lesquels il met Polybe, dont nous avons parlé si souvent, qui se rendit le disciple assidu et l'imitateur fidèle du célèbre Philopémen.

Thémistocle et Aristide étoient d'un caractère très-différent, mais ils rendirent tous deux de grands services à la république. Thémistocle, qui penchoit naturellement vers le gouvernement populaire, ne négligea rien pour se rendre agréable au peuple et pour se faire des amis, se montrant affable à tous, complaisant, toujours prêt à rendre service aux citoyens, qu'il connoissoit tous par Cic. de se- leurs noms, et n'étoit pas fort délicat sur les moyens nect. n. 21. qu'il employoit pour leur faire plaisir. Aussi quelqu'un sit gerenda lui disant qu'il gouverneroit parfaitement s'il conserresp. pag. voit l'égalité parmi les citoyens, et qu'il ne penchât pas plus pour l'un que pour l'autre : « A Dieu ne plaise, répondit-il, que je sois jamais assis sur un tribunal où mes amis n'aient pas plus de crédit et de faveur que les étrangers! » Cléon, qui parut quelque temps après à Athènes, garda une conduite tout opposée, mais qui n'étoit pas exempte de blâme. En entrant dans le maniement des affaires publiques, il assembla tous ses amis, et leur déclara que dès ce moment il renonçoit à leur amitié, parce qu'elle pouvoit être pour lui une occasion de manquer à son devoir et de commettre des injustices. C'étoit leur faire peu d'honneur, et juger d'eux peu favorablement. Mais, dit Plutarque, ce n'est pas à ses amis, mais à ses passions qu'il devoit renoncer.

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Aristide sut garder un sage tempérament entre ces deux excès vicieux. Porté pour l'aristocratie, à l'exemple de Lycurgue, dont il étoit grand admirateur, il marcha pour

* Discere à peritis, sequi optimos. Tacit. in Agric.

ainsi dire seul, ne cherchant point à plaire à ses amis aux dépens de la justice, toujours prêt néanmoins à leur rendre service quand il le pouvoit justement. Il évitoit avec grand soin d'employer la recommandation de ses amis pour arriver aux charges, craignant que ce ne fût pour lui un engagement dangereux, et pour eux un prétexte plausible d'exiger de lui les mêmes services en pareille occasion. Il avoit coutume de dire que le véritable citoyen, l'homme de bien ne devoit faire consister son crédit et son pouvoir qu'à pratiquer lui-même en toute occasion et à conseiller aux autres ce qui étoit honnête et juste.

Avec cette contrariété d'humeurs et de principes, il n'est pas étonnant que, pendant tout le temps de leur administration, il y ait eu une opposition continuelle entre eux. Thémistocle, qui étoit hardi et entreprenant, trouvoit presque toujours à sa rencontre Aristide, qui se croyoit obligé de s'opposer à ses desseins, quelquefois même lorsqu'ils étoient justes et utiles, pour l'empêcher de prendre un ascendant et une autorité qui seroit devenue pernicieuse à la république. Un jour qu'il l'emporta sur Thémistocle, qui avoit proposé une chose fort avantageuse, il ne put se retenir en sortant de l'assemblée, et dit tout haut << qu'il n'y avoit de salut pour les Athéniens qu'à les « jeter tous deux dans le barathre : » c'étoit le lieu où l'on Plut. Apophthegm. jetoit les coupables condamnés à mort. Mais l'intérêt commun les réunissoit; et quand ils étoient près de partir pour une campagne, ou pour quelque autre expédition, ils convenoient ensemble de déposer, au sortir de la ville, leurs dissensions, avec liberté de les reprendre à leur retour, s'ils le jugeoient à propos.

La passion dominante de Thémistocle étoit l'ambition et l'amour de la gloire, qui parut en lui dès ses plus tendres années. Après la bataille de Marathon, dont nous parlerons bientôt, comme on célébroit partout la valeur et la conduite de Miltiade, qui l'avoit gagnée, on le voyoit le plus souvent renfermé en lui-même tout pensif. Il passoit les nuits entières sans fermer l'œil; il ne se trouvoit plus aux festins publics, comme il avoit coutume; et lors

pag. 186.

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