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AVERTISSEMENT.

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Ette nouvelle édition des Oeuvres de Moliere ne fera différente de celle de 1739 en huit volumes in-12. que par les eftam. pes dont les Libraires l'ont enrichie, & dont ils ont augmenté le nombre, en en mettant au devant des prologues de la Princesse d'E lide, d'Amphitryon & de Pfiché; ce qu'on n'avoit point fait dans les éditions précédentes. Ils ont encore ajouté de nouveaux ornemens aux frontifpices, & n'ont rien épargné de ce qui pouvoit contribuer à la beauté de cette édition. Quoique ces eftampes ne foient que les mêmes qui ont paru en 1734 dans l'in-4°. & qu'on n'ait fait que les réduire en petit, on peut dire cependant qu'elles feront nouvelles pour ceux, qui n'ayant point cette édition, trouveront dans celle ci les principaux ornemens qui l'ont diftinguée de tout ce qui a paru jufqu'ici dans ce genre.

Le commencement de l'avertiffement de l'édition de 1739 ne convenant point à celle-ci, on l'a fupprimé; mais on a confervé tout ce qui regarde la néceffité qu'il y avoit de s'appliquer à rétablir le véritable texte de Moliere. Les détails fuivans feront juger du mauvais état où il étoit, & du défordre qui régnoit

dans plufieurs de fes comédies, par le peu de foin qu'on avoit eu de diftribuer les scenes comme il falloit, & de bien marquer les entrées, les forties, & les principales actions des acteurs.

L'édition de 1730, en huit volumes in-12, eft annoncée dans l'avertiffement qui la précéde, comme la plus parfaite de celles qui avoient paru jufqu'alors; on s'en eft fervi, mais avec les précautions néceffaires pour ne point laiffer les fautes qui auroient pû s'y gliffer.

Un feul exemple fuffira pour prouver qu'elle n'eft pas auffi exacte qu'on veut le perfuader dans l'avertiffement. La Princeffe d'Elide ouvre le fecond acte de la comédie qui porte ce titre; elle eft dans une forêt, & dit à fes deux parentes qui font avec elle

Oui, j'aime à demeurer dans ces aimables lieux,
On n'y découvre rien qui n'enchante les yeux,
Et de tous nos plaifirs la favante ftructure
Céde aux fimples beautés qu'y forme la nature,

Il eft aifé de fentir qu'il faut lire palais, au lieu de plaifirs. Une faute fi groffiére ne fe trouve que dans l'édition de 1730.

Il s'y en trouve beaucoup d'autres qui lui font communes avec l'édition de 1682, fur laquelle elle a été faite.

Pour rendre celle-ci plus exacte, on a confulté les comédies imprimées du vivant de l'auteur. De pareilles éditions doivent en quel

que forte, tenir lieu des manufcrits qui manquent. Auffi les a-t-on comparées foigneufement avec celles de 1682, & de 1730; & cette attention a donné lieu de réformer plufieurs altérations qui s'étoient gliffées dans le texte, & dont nous ne ferons qu'indiquer un petit nombre. *

Dans le troifiéme acte de l'Avare, par exemple, Harpagon demande ce qu'il faudra pour un fouper qu'il veut donner à fa maîtreffe; voici ce qu'on fait répondre à maître Jacques.

M. JACQUES.

Hé bien, il faudra quatre grands potages bien garnis, & cinq affiettes d'entrées. Potages, bifque, potage de perdrix aux choux verds, potage de fanté, potage de canards aux navets. Entrées, fricaffée de poulets tourte de pigeonneaux, ris de veau, boudin blanc, morilles.

HARPAGON.

Que diable! Voilà pour traiter toute une ville.
M. JACQUES.

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Rôt, dans un grandiffime baffin en pyramide. Une grande longe de veau de riviére, trois faifans, trois pouLardes graffes, douze pigeons de voliére, douze poulets de grain , fix lapreaux de garenne, douze perdreaux,

* L'éditeur, pour fa juftification fur la différence qu'on pourra trouver, tant dans les vers que dans la profe de Moliere, entre cette édition & celles qui l'ont précédée, a remis à la bibliothéque du Roi fept volumes in-12. contenant les vingt-trois comédies qui ont été imprimées du vivant de l'auteur.

deux douzaines de cailles, trois douzaines d'ortolans. * HARPAGON.

Ah! Traître, tu manges tout mon bien.

Peut-on croire qu'Harpagon entende tranquillement le détail de tout ce que Maitre Jac ques veut fervir? Moliere fait patler & agir l'avare d'une maniére plus conforme à fon caractére. Harpagon interrompt Maitre Jacques dès qu'il parle d'entrées, & au feul mot de rôt, il veut plutôt l'étrangler que l'écouter. *

Des perfonnes d'efprit & de goût ont paru fâchées de ce retranchement, fur le prétexte que ce détail aura pû être ajoûté par Moliere depuis la premiére impreffion de fon ouvrage, pour donner plus de jeu à fes acteurs, & pour rendre la fcéne plus vive & plus comique. Cette conjecture, qui n'eft nullement prouvée, ne nous a pas permis de nous écarter de l'obligation où eft tout éditeur de rétablirle texte d'un auteur, tel qu'il a été donné au public par lui-même. Peut-être pourrions

*Tout ce qui eft en caractére Italique, a été ajouté, & n'eft point dans la premiére édition de 1669. à la÷ quelle on s'eft conformé.

*Le Sieur du Chemin, Comédien, qui a sú faire un bon ufage des leçons qu'il a reçûes dans fa jeunesse des compagnons de Moliere, nous a dit, que Raifin avoit toujours joué le rôle d'Harpagon, tel que nous l'avons imprimé, & que lui-même il feroit fort embarraflé, s'il étoit obligé d'écouter tout ce qu'on fait dire à Maître Jacques, contre toute vraisemblance.

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nous ajoûter qu'Harpagon, qui ne peut être qu'impatienté par le difcours de Maître Jacques doit naturellement impofer filence à fon valet ; &, fi quelquefois les auteurs ont fait céder la vraisemblance d'un caractére à la tentation de faire rire les fpectateurs par un jeu souvent outré, avouons que, dans les piéces férieuses, Moliere avoit, moins qu'un autre, befoin de ce fecours.

Dans la quatriéme fcéne du cinquiéme acte de Tartuffe, Damis doit dire,

Cette audace eft étrange,
& la main me demange.

J'ai peine à me tenir

au lieu de ces vers qu'on y avoit fubftitués mal-à-propos.

Cette audace eft trop forte, J'ai peine à me tenir, il vaut mieux que je forte.

Les comédiens avoient fait ce changement, parce que fouvent ils étoient dans la néceffité de faire jouer deux perfonnages à un même acteur, & qu'en faifant ainfi fortir Damis du théatre, il pouvoit en changeant d'habit, faire le rôle de l'Exemt qui vient avec Tartuffe à la fin de l'acte. Cette raifon de convenance pour les comédiens, peut-elle autorifer à changer le texte d'un auteur ? L'éditeur, du moins, ne devoit pas mettre au nombre des acteurs dans l'avant derniére fcéne le même Damis

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