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gradations insensibles, de petites complaisances en petites faveurs, jusqu'à ce qu'on vous arrache la dernière. Ne vous flattez pas même alors que votre foiblesse soit ensevelie dans le mystère. Sans doute que votre amant est discret, mais il est confiant, il a le besoin de parler de vous, il est glorieux de vous posséder, il a un ami, celui-ci en a un autre, vous-même n'êtes pas toujours circonspecte, et quoique ce secret se divulgue lentement, il sera un jour connu de tout le public. — Fiez-vous encore moins à la constance de cet amant qu'à sa discrétion; vous n'êtes plus neuve pour lui, vous n'avez plus rien à lui accorder, et son amabilité vous suscitera des rivales : votre tendresse le retiendra quelque temps; mais la sienne s'assoupira, il vous quittera bientôt, et le bonheur de l'avoir possédé ne compensera pas la douleur de l'avoir perdu.

Tel est le cours ordinaire des tendres liaisons, et une des tournures les plus favorables qu'elles puissent prendre : mais il est une foule d'autres possibilités qui, par un enchaînement de circonstances funestes et d'accidens imprévus, vous portent à des résolutions extrêmes, et vous plongent dans un abîme d'infortunes. - Non, croyez-moi, l'amour et ses plaisirs ne peuvent compenser les risques qui l'accompagnent: si

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Il est heureux à quelques égards, que le commun des gens du monde soient aussi, peu susceptibles de tendresse. La coquetterie des femmes, le libertinage des hommes éloignent les grandes passions, et la vanité fait plus de conquêtes que l'amour. Les premières, presque entières à l'étalage, étourdies par le tourbillon, effrayées par le ridicule, consultent moins leur goût que la mode d'ailleurs l'impression de l'un est affoiblie par d'autres, et la grandeur imaginaire des héros de romans rend moins sensible à la petitesse réelle des héros de société,-Un auteur réunit d'un premier coup de plume toutes les beautés éparses, d'un second, il joint toutes les perfections morales, et d'un troisième ajoute la position la plus brillante. Un palais ne lui coûte pas plus qu'une chaumière, et le moindre petit mot qu'il fait proférer est le fruit d'une longue méditation. C'est souvent d'après ces modèles chimériques, qu'une femme juge son époux, ses amis, son amant: elle les compare aux Grandissons, aux Télémaques, aux Coucis; et eux-mêmes s'étonnent quelquefois en secret de ne pas trouver en elles une Clarisse ou une Héloïse. Un autre préjugé établi par nos romans, et contredit par la nature, est celui de croire qu'on ne peut aimer qu'une femme à la fois. Le

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premier délire passé, le sentiment peut se partager presqu'aussi aisément que les désirs peut en adorer huit'ou dix, peut-être davantage, avec la même ardeur, la même sincérité; éprouver le soir avec l'une ce qu'on éprouva le matin avec l'autre ; préférer un jour celle-ci, demain celle-la, et en tout temps celle qui est la plus proche. Pour s'assurer métaphysiquement de cette verité, à laquelle la jalousie se refuse, et que l'expérience démontre, il suffit de rappeler la définition de l'amour. Si c'est les désirs unis à l'amitié, qu'est-ce qui s'oppose à ce que ces deux affections se divisent entre plusieurs objets? Cette vérité est tacitement reconnue par tous les peuples qui tolèrent Ja polygamie; sans elle point de sérails; qu'elle rende nos compagnes plus indulgentes envers les écarts 'si communs à notre sexe.

Il est aussi absolument faux, qu'on ne puisse aimer qu'une fois. On peut, à la trentième, être plus éperdument épris qu'à aucune des précédentes. — Les personnes qui sont sur le retour, et particulièrement les femmes, lors'qu'elles pensent que c'est peut-être la dernière passion qu'elles éprouvent ou qu'elles inspirent, y joignent un attendrissement, une douceur, une délicatesse d'attentions et de prévenances, qui dédommagent du déclin de leur beauté.

seroient communes,

La partie morale de l'amour est difficile à traiter, par son contraste entre les lois de la nature et les lois civiles. En ne considérant que la passion en elle-même, l'usage de ses plaisirs est innocent. Dans un pays où les femmes. et les enfans fils du public, la continence seroit plutôt un vice qu'une vertu. Mais sous nos constitutions politiques, la chasteté devient une qualité vraiment estimable. -Ce qui, à Otahiti et chez divers autres peuples, seroit peut-être une action. honnête, parce qu'elle ajouteroit le voluptueux de ses sensations à la masse du bonheur général; ce qui, dans nos gouvernemens mêmes n'est peut-être avec une veuve hors d'âge, une fille indépendante, ou une catin, qu'un devoir extérieur d'honnêteté publique, ou une réserve de prudence, devient sous d'autres relations, une vertu des plus réelles. Il ne faut pas seulement considérer l'acte, mais ses suites, ses conséquences.-Vous êtes coupable de tous les sentimens douloureux que vous faites naître chez une amante, un père ou un époux ; qu'ils soient fondés en raison' ou en préjugé, leur effet n'est pas moins pénible (1).

(1) Quoiqu'on ne puisse considérer une fille ou une femme comme une propriété matérielle, le tort n'en est pas moins équivalent à la somme ou à la portion de bien-être que le lésé sacrifieroit pour que le fait n'eût pas été commis.

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Il est des hommes pleins d'honneur, de bienveillance et de courage, capables des efforts les plus magnanimes, hors celui de renoncer aux plaisirs de l'amour, et qui, trop indulgens sur cette seule passion, ont fait verser plus de larmes que toutes leurs grandes vertus ne pourront réparer. Mais « dans les vices « mémes il y a de l'honnêteté à garder, » et qui ne peut se vaincre peut se rendre moins coupable par un généreux emploi de son ascendant sur l'objet aimé, par la délicatesse des détails, par le mystère et les ménagemens de prudence. Mais publier sa victoire, afficher les foiblesses d'une femme, qui ne les eut que parce qu'elle vous aimoit; la punir dans ce qu'elle a de plus précieux, sa réputation, est une infamie, qui, malgré sa fréquence, révolte tout sentiment d'honneur et de probité ! ... Que sera-ce lorsque, par une barbare fatuité, l'on se vante des faveurs qu'on n'a jamais réçues, et que l'on dérobe par cette calomnie atroce, le fruit de plusieurs années d'une innocence pénible.

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Une passion violente porte une sorte d'excuse avec elle; c'est un malheur autant qu'une foiblesse mais succomber sous une médiocre, c'est lâcheté. « Si je pouvois dormir, disoit » un ami à un autre qui le conseilloit, si je

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