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detestables: mais on peut appliquer aux souf→ frances de l'âme la recette d'Épicure contre celles du corps. Si elles sont supportables, on doit les supporter: si elles ne le sont pas, elles tueront bientôt. – Vous êtes malheureux :

- encore quelques momens et vous ne le serez plus la bienfaisante mort ne vient que lentement à votre secours; mais elle s'approche sans cesse. Dans ce jour même, qui vous a paru si long, il est probable qu'elle a soulagé plus de quatre-vingt mille âmes qui combattoient contre ses angoisses: autant auront fait leur entrée dans les misères de la vie, autant ont éprouvé les douleurs de l'enfantement, et un bien plus grand nombre les regrets d'avoir perdu un père, un enfant, une épouse, un ami. -Pensez à ces millions d'êtres qui languissent dans l'esclavage, les cachots, la pauvreté, à tous ceux qui succombent sous des peines toujours renaissantes ou des maladies incurables. Combien dans ce moment sont en proie au désespoir, aux remords, au mépris, aux supplices! Eh bien! ce jour affreux est passé

sans retour, pour eux comme pour vous, et comme pour le plus favorisé, auquel il n'en reste qu'un vain regret. -Le seul bienfaisant a su en fixer la course fugitive, en gravant sur ce passé qui n'est plus, ses droits sur l'avenir,

les causes incertaines et le but ignoré.

Que

l'homme ne se flatte point d'un calme constant: lors même qu'il est le plus en paix avec lui et les autres, il faut qu'il soit remué par le sentiment même de sa tranquillité et de son indifférence. Sans agitation, l'esprit tend vers la stupidité; et sans mouvement, le corps tombe dans la langueur un mélange modéré des deux est l'état de nature, et celui du bonheur.

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Enfin, à ces altérations inévitables, n'en ajoutons qu'avec prudence de notre propre choix, outre que nos besoins et nos plaisirs diffèrent à mesure qu'on avance en âge (1), tout changement est dangereux, et c'est surtout en fait de position que le mieux est souvent l'ennemi du bien. On pourroit appliquer à la

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(1) Pour servir à l'histoire de cette inconstance dans notre manière de voir, je puis citer le paragraphe suivant, extrait du journal d'un ami, et concernant une résolution qu'il place aujourd'hui au premier rang des sottises de sa jeunesse. Si ton projet réussit, n'oublie jamais l'ardeur avec laquelle tu en désirois le succès; le désespoir où te mettoit l'idée scule des obstacles; la perspective touchante que tu te formois de ce genre de vie. Ne te repends jamais de ta résolution, et si de nouveaux désirs d'un autre genre de bonheur venoit s'emparer de ton imagination, rappelle-toi qu'il perdroit de même son prix, dès que tu l'aurois atteint. Jouis de ce que tu possèdes, pense que la source du bienêtre est au-dedans de nous, et sois de plus en plus persuadé que c'est la vertu qui le donne que ton ambition se borne à acquérir chaque jour quelque nouvelle perfection, et ta vanité à en donner à celle que tu chéris au-dessus de tout. »

fortune perdue de beaucoup de gens cette épitaphe angloise.

I was well, would be better, took Physick; and died.

J'étois bien, voulus être mieux, pris médecine,

et mourus.

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DANS L'INFORTUNE.

Vous êtes malheureux, dites-vous. Exa

minons impartialement si vous l'êtes en effet. -Permettez que je questionne, et que nous parcourions ensemble diverses gradations d'adversité.

D'abord, êtes-vous malade? avez-vous faim? avez-vous froid? Êtes-vous sous le joug de la servitude, ou exposé aux privations du premier nécessaire, ou au danger de le perdre si vous ne pouvez soutenir la continuité d'un travail pénible? Non, dites-vous mais c'est un bonheur de populace. J'en conviens, mais vous conviendrez aussi que ces manans, ces ouvriers, ces esclaves, sont des hommes comme vous, qu'ils ont même origine, mêmes passions, mêmes droits au bonheur, et que plus des trois

quarts du genre humain se croiroient heureux s'ils pouvoient jouir de ces avantages auxquels vous n'attachez aucun prix. — Si vous dépassez cette classe, commencez par rendre grâce à la providence de ce qu'elle vous a placé au-dessus du niveau du bien-être commun, dont notre espèce est susceptible.

avez,

dites

Mais outre la position générale, il est des particularités affligeantes. Vous vous, le nécessaire de la nature, non celui de la condition. Pure préjugé! Votre condition est exactement celle où le sort vous a placé : c'est votre individu qui la fixe, et non la poussière de vos aïeux; sa mesure n'est pas ce qu'elle pourroit être, mais ce qu'elle est en effet, et il est impossible que vous soyez jamais ni au-dessus, ni au-dessous. Il ne faut

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pas toujours prétendre à être de la classe de son père (1). Si la fortune, qui se plaît à élever ce qui est bas, et à abaisser ce qui est haut, vous

(1) Cette opinion, qui détruit le bonheur d'une foule de personnes qui sont encore dans une position digne d'envie, est plus particulièrement dangereuse pour un siècle où l'égoïsme et le luxe, secondés par les rentes viagères, immolent la postérité, et sacrifient le nécessaire des descendans aux besoins d'un vain étalage. Nos ancêtres consoinmoient leurs revenus: nous dévorons encore nos capitaux. Cette manie doit nécessairement altérer le bonheur les familles, bouleverser les rangs, augmenter l'inégalité, et amener ces révolutions, dont un subit accroissement de fasté fut presque toujours le présage.

a donné moins de bien, moins de pouvoir qu'à lui, c'est qu'en effet elle vous assigne un rang inférieur, auquel vous devez vous conformer; et chacun peut, avec de l'ordre et de l'activité, se soutenir dans une honnête aisance, proportionnelle à ce rang. Le pauvre qui descend du riche n'a, à la rigueur, pas plus de droit à son opulence, que le prince qui descend de l'esclave n'a d'obligation à son avilissement.

Pour continuer notre examen.-Vous n'êtes pas dans la servitude proprement dite, mais vous êtes dans la dépendance d'une foule de gens qui vous gênent. Oh! c'est le sort de tout le genre humain ; et outre les liens domestiques, il n'est point de société sans subordination, de grades sans autorité et sans obéissance: elle ne révolte que les ennemis d'un ordre nécessaire. Tous les états ressemblent à cet égard au militaire, où le caporal dépend du sergent, le sergent du subalterne, celui-ci du capitaine, le capitaine du colonel, le colonel du général, et ce dernier de son prince, de ses soldats, et encore plus de sa propre insuffisance, qui succombe à chaque instant sous l'immensité des détails, le tourmente, l'excède et le rend pour l'ordinaire un des moins heureux de son armée. Il semble qu'il devroit être plus flatteur, d'être

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