Page images
PDF
EPUB

paroîtra dur; mais il est en général calculé sur notre nature, et rien n'est plus commun que des ruptures causées par l'omission contraire.

L'amitié la plus vraie, entre âmes nobles, est celle qui a pour nœud le lien respectable des bienfaits et de la reconnoissance. La difficulté de témoigner la dernière est souvent un poids pénible; mais il est un acte qui est toujours en notre pouvoir, c'est celui d'ajouter quelques lauriers à la réputation de nos bienfaiteurs. — «Il n'est point de personnes plus reconnois»santes, que celles qui ne permettent pas >> aisément qu'on les oblige. »>

J

On peut suppléer au défaut d'amis par des amies. Cette liaison, sans avoir des ressources aussi vigoureuses, en offre d'autres plus touchantes. On n'aime jamais une femme comme l'on aime un homme; la différence de sexe y entre toujours pour quelque chose elle maintient les égards, et ajoute une certaine délicatesse, qu'on ne pourroit trouver sans ce motif de plus dût-on même, 'par moment, y joindre quelques velléités, cela n'y gâte rien.Un quart d'amour et trois quarts d'amitié composent l'attachement le plus heureux. C'est celui qui devroit subsister entre époux. On ne peut toujours être l'amant de sa femme; mais on peut la rendre digne d'être notre amie, et mériter soi-même d'être son ami.

Nous devons plus de services à nos parens, et plus d'affection à nos amis. Le hasard donne les uns, le sentiment procure les autres. La nature et les lois nous lient aux premiers : le choix et la raison nous attachent aux seconds: heureux qui peut unir les deux !

C'est un vieux mot, peut être exagéré, qu'un ennemi fait plus de mal que vingt amis ne font de bien. Il n'en est point de plus redoutable que le méchant spirituel. L'homme sans art sert souvent lors même qu'il cherche à nuire; mais le premier vous détruit lorsqu'il paroît vous servir. C'est lui qui sait envelopper la calomnie sous une phrase brillante, qu'une esprit ordinaire est flatté de répéter. C'est lui qui cache sa haine, étudie vos foibles, devine l'endroit sensible, fait naître ou saisit l'occasion, et frappe dans l'obscurité.... On sent les coups sans savoir d'où . ils partent. On veut échapper aux rets, mais plus l'on se débat, plus les nœuds s'en resserrent... Tel que l'araignée immobile au centre de son tissu, il attend que sa victime y donne d'ellemême, hâte la prise par de petites secousses, et ne paroît que lorsqu'elle est assurée. Mais

aussi l'homme d'un esprit sage est l'ami le plus utile. Il renferme souvent dans un seul conseil ou dans un mot adroit, les services les plus importans. C'est lui qui sait vous louer avec art,

et

et vous ménager l'estime de ceux dont elle vous importe le plus. C'est lui qui ne craint pas de vous défendre, ni de hasarder ces mots hardis, et ces démarches courageuses, qui seyent si bien dans un tiers, et seroient déplacées chez vous-même. C'est lui qui veille en secret pour vous garantir de vos propres erreurs, qui peut être froid dans votre fortune, mais redevient empressé dans vos revers, et dont le sourire paisible, ou les propos consolans, rafraîchissent votre cœur lorsqu'il brûle de regrets, d'ambition ou de vengeance.

On se plaint qu'il est peu d'amis : c'est qu'il y a peu de cœurs honnêtes, et que la vraie amitié ne peut subsister qu'entre eux. Ce qu'elle pourroit offrir de plus sublime seroit l'union formée par le désir de se perfectionner, entre deux âmes généreuses, qui, d'un commun accord, tendroient vers le plus grand des buts, s'avertiroient de leurs foiblesses, se féliciteroient sur leurs progrès, se renforcéroient dans les obstacles, et seroient en tous temps, l'un pour l'autre, un surveillant, un guide, un aiguillon, un frein. Aucune jalousie ne les diviseroit : la gloire des talens fait des rivaux, le bonheur de la vertu ne fait que des émules. Il ne seroit pas difficile de trouver pour cet objet, des hommes dont les jugemens réciproques seroient TOME 1.

X

+

rarement fautifs; mais il est douteux qu'il en existe deux sur la terre qui reconnoîtroient toujours leurs vérités pour telles, et auroient la force de les entendre sans humeur. - Au reste, qui n'a pas le courage de vous déplaire ne vous est qu'imparfaitement attaché. « Tu 'n'es pas mon vrai ami, disoit un militaire à un autre, tu ne m'as jamais averti d'un seul de mes défauts. >>

L'amitié peut dégénérer en foiblesse lorsqu'elle favorise l'intime aux dépens de l'étranger mieux méritant: mais lorsque cela concerne de grands intérêts, comme ceux du bien public, cette préférence devient un crime réel.

Qu'on me nomme, disoit M. Necker, un parent, un ami auquel j'aie donné une place! - Il est cependant un moyen d'allier ce que l'on doit à l'amitié avec ce que prescrit le premier des devoirs : c'est de choisir si bien ses liaisons, que l'intérêt de leur fortune soit toujours celui de la patrie.

+ I do not love my friend, if fear

******************

313

Si

DE LA DÉLICATESSE.

une étincelle de divinité nous anime, c'est dans la délicatesse que reluit son éclat le plus doux : elle offre un des traits les plus touchans de perfection humaine; mais son genre est si subtil, ses procédés si sentimentals, si variés si imperceptibles, qu'ils échappent à la règle, à l'expression, ne peuvent être asservis aux préceptes, et se définissent mieux par l'exemple que par la parole. On pourroit dire que c'est l'âme de notre âme, que l'amour, l'amitié, la bienveillance sont ses organes, et que le désintéressement en est si inséparable qu'on ne peut souvent les distinguer. La délicatesse est la touche la plus légère du sentiment; la générosité en est l'effort le plus sublime. Le tendre coloris de la première, et le radieux de la seconde, se fondent l'un dans l'autre par des nuances graduelles, et l'accord de leurs rayons pénètre doucement, ranime et féconde le monde moral.

1

Comme un peintre ne peut rendre dans un paysage le scintillant de la lumière, le transparent de l'air, et encore moins la fraîcheur

« PreviousContinue »