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par une centaine de bouches, dont chacune ajoute et diminue ? Une seule circonstance, ignorée ou altérée, change les choses du tout au tout ; et, en général, on dit, est la préface du mensonge.

A l'égard de soi-même, une trop grande sensibilité aux fausses imputations est un indice de foiblesse, et un des obstacles les plus communs au bonheur. Qu'importe, à la rigueur, ce que peuvent penser de nous ceux que nous ne voyons que peu ou point, lorsqu'il est toujours en notre pouvoir d'obliger les personnes de mérite, avec lesquelles nous vivons, à en penser avantageusement?

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foi.

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Voici un modèle de la manière dont on devroit envisager la medisance, dans la réponse de quatre grands hommes de l'antiquité, auxquels on disoit, en différens siècles, que l'on avoit mal parlé d'eux. Platon répondit : je me conduirai de manière qu'on ne leur ajoutera Aristote qu'ils me donnent encore coups de baton pourvu que je n'y sois pas. — Epictète : ils ignorent mes autres vices; car ils ne se seroient pas contentes de ne parler que de ceux-là. Titus: si c'est par légèreté, j'y suis indifférent si c'est par méchanceté, je les plains; s'ils ont raison, j'en suis reconnoissant: s'ils ont tort, je leur pardonne.

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C'EST un sentiment de préférence, produit par un rapport de caractères, ou quelquefois par un contraste animant, et soutenu par les douceurs du commerce. C'est un échange d'attachement de complaisance, d'égards réciproques, de conseils dans l'embarras, de secours dans le besoin, de consolations dans les revers. L'amitié double l'existence, les forces, les lumières, l'appui. Rien de plus doux que ce libre épanchement de pensées, d'opinions, de craintes et d'espoir, dans le sein d'un ami sûr et éclairé : les passions s'y calment, les idées prennent plus d'ordre, la raison s'y fortifie, les peines deviennent plus légères, et les plaisirs plus touchans. On n'est presque dans le monde que ce que nos amis nous y font. Aristote a défini l'amitié une âme dans

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deux corps mais Marmontel l'a peinte d'une manière plus conforme à l'égoïsme et au relâchement de nos moeurs. « J'appelle amis ceux » qui aiment à me voir, qui, disposés à me » pardonner mes foiblesses, à les dissimuler » aux yeux d'autrui, me trait ent absent avec

» ménagement, présent avec franchise, et de >> pareils amis ne sont pas si rares. >>

Notre ton de société est trop répandu pour favoriser ce sentiment. On a trop de connoissances superficielles pour sentir le besoin des liaisons intimes. On est libertin et volage en amitié comme en amour: ce n'est que dans la solitude ou dans le malheur, que ces passions, et surtout la première, acquièrent leur force naturelle. Il est facile, dans les deux, de faire des conquêtes; mais bien difficile de les conserver. On ne maintient un sentiment que par les mêmes moyens qui le firent naître, mais l'on se néglige peu-à-peu : au lieu que la politesse devroit adoucir la familiarité, prévenir l'inattention, et ne jamais exiger comme un tribut les complaisances qu'on veut bien accorder.

On ne doit point se borner aux services essentiels; les petites prévenances sont d'un usage journalier, et il est certaines preuves indirectes d'attachement, auxquelles on est plus sensible qu'à d'autres plus marquées; parce qu'on peut moins les supposer d'être feintes, et qu'elles semblent plutôt échapper au sentiment que réfléchies par l'adresse, ou dictées

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L'intimité découvre nécessairement une foule de petits défauts, sur lesquels elle doit jeter le

voile de l'indulgence, en se rappelant les siens propres. C'est en supportant qu'on acquiert le droit d'être supporté. -Un autre devoir, que l'infamie seule dissout, c'est la discrétion sur les secrets confiés. Cette obligation n'est point détruite par la rupture, fût-elle suivie de la haine la plus méritée. Il y a une autre discrétion, qui consiste à ne se permettre ni exiger plus qu'on ne se doit réciproquement: elle se sent mieux qu'elle ne se définit, et ses préceptes sont d'un genre si délicat, qu'ils ne pourroient être compris par ceux dont le tact moral ne les devine pas.

Plus l'amitié est précieuse, plus son choix est important. On nous juge en partie sur nos liaisons d'ailleurs, les maladies de l'âme sont

:

aussi épidémiques que celles du corps. On prend peu-à-peu les opinions, les vices et les vertus de ceux qu'on fréquente habituellement.

On

devient foible avec le lâche, dur avec le méchant, et désintéressé avec le magnanime. « Les mau>> vaises connoissances ne servent à rien, tant » qu'on les conserve, et nuisent lorsqu'on veut » y renoncer (1). » Est-on résolu à cette séparation? il faut amener les choses de loin, éviter l'éclat,persuader que c'est elles qui vous quittent,

(1) Dialogues socratiques.

-Les sots se brouillent, les gens sensés cessent de se voir.

Le choix de nos liaisons ne dépend pas toujours de notre arbitre. On se trouve souvent, par emploi, par naissance et par parenté, lié à trèsmauvaise compagnie. Il n'en est pas de plus dangereuse que celle des esprits faux ou méchans, sous l'autorité desquels on est obligé de vivre, et auxquels on est, par là même, plus intéressé à plaire. Leur exemple est presque irrésistible. Celui du prétendu bon ton est presqu'aussi dangereux, d'autant plus que le défaut de justesse, et le hideux des principes, est coloré des grâces de l'esprit, et d'un air d'assurance qui en impose. On redoute en outre le ridicule dont on cherche à couvrir toute pensée qui n'est pas au ton du jour. Les travers du vulgaire

sont moins communicatifs: on les observe avec

peu de prévention, de désir de plaire ou d'imiter. Nombre de personnes ne voient dans leurs inférieurs, soit de rang, soit d'esprit, que des pies qui jasent, des singes qui se répètent : leur caquet ou leurs grimaces ne laissent que peu d'impression. On peut les aimer et les mépriser, les servir et les plaindre, et souvent se croire seul au milieu de la foule.

Les classes qu'on fréquente devroient se varier. Un commerce continuel avec des supérieurs

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