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Qui sait combien d'autres plus importantes peuvent être faites dans l'avenir ?

Le paysan croit à tous les faux signes de l'almanach, et le demi-savant n'ajoute pas même foi à l'influence de la lune : il écoute le premier avec un sourire de pitié, et cherche à lui faire comprendre, qu'un corps qui est à 90 mille lieues de nous, et entièrement séparé du globe, ne peut absolument pas influer sur lui: mais la conviction des faits est au-dessus des conjectures. L'accroissement de diverses plantes se hâte ou se ralentit selon les phases de la lune, et l'océan nous donne une démonstration positive, que les mouvemens du flux et reflux de la mer sont en rapport avec ceux de cette planète, comme le cours du sang de tout un sexe s'accorde avec ses révolutions; et s'il diffère en époque, par la différence du tempérament, il est du moins égal en intervalles. Chacun le sait, et peu de gens réfléchissent sur ce que cela a d'étrange. Sans remonter à des causes trop abstraites, il semble qu'on peut en assigner d'assez probables. Plus la lune approche du plein, et plus il y a de réfraction: plus il y a de réfraction, plus il y a de lumière; et il n'est douteux que pas la lumière, la chaleur. et tout ce qui tient du feu, ne soit un des

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premiers agens de la nature, et ne puisse opérer, dans l'air et autres fluides une différence productrice de ces effets.

La foi a aussi ses contradictions, et une sévère orthodoxie qui douteroit, encore de nos jours, s'il n'est pas permis de persécuter, rougiroit de croire aux inspirés, aux sorciers, aux possessions, aux extases, aux songes etc., quoique leur existence et leur signification soit établie en divers endroits de l'Ecriture, sans être positivement révoquée en nul autre. — Mais, sans entrer dans les détails d'un genre sur lequel je m'impose un prudent et respectueux silence, les exemples ci-dessus, auxquels il seroit facile d'en joindre nombre d'autres doivent nous rendre circonspects sur nos opinions, en nous persuadant qu'il y en a moins de certaines que le superstitieux ne croit, et plus de possibles que le commun des philosophes ne pense.

N'admettons rien sans examen, rejetons ce qui révolte la raison, confions-nous en ce qu'elle démontre, et suspendons nos jugemens sur le reste. - Respectons toute opinion, fûtelle fausse, dès qu'elle contribue au bonheur de la société. Un préjugé utile est plus raisonnable que la vérité qui le détruit.

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UN des bienfaits de la nature est d'avoir placé une grande partie de notre bonheur dans le jugement d'autrui. Cela établit une dépendance mutuelle, qui porte à se complaire réciproquement, et donne aux autres une espèce de pouvoir de punir et récompenser nos actions par leurs louanges ou par leur blâme. Ce bienfait est au rang de la foule de ceux dont nous abusons, et il est devenu la source la plus féconde d'erreurs, de crimes et d'infortunes.

Sans secouer un peu le joug de l'opinion on n'est jamais qu'un hom me médiocre : l'excès de cette dépendance rend timide, nuit aux lumières, et nous asservit aux caprices du premier sot qui veut nous tourner en ridicule, ou du premier calomniateur qui veut nous noircir notre bonheur devient aussi flottant

que le bavardage public.

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Une bonne renommée est sans doute un bien estimable; mais qu'est-ce qu'un bien que chaque méchant peut nous ravir? Son suffrage seroit une injure, il n'y a que celui

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touche de toute valeur morale: mais sa juste application, malgré sa simplicité apparente, exige des connoissances supérieures. commun des hommes doit donc en laisser fixer les principaux objets à l'autorité souveraine, ou aux lumières des philosophes les plus éclairés en se rappelant que quoique son essence soit immuable, et sa définition absolue, ses préceptes peuvent cependant varier avec les relations de l'intérêt commun; parce que les choses nécessaires dans un temps deviennent dangereuses dans un autre, et que divers moyens peuvent conduire aux mêmes fins.

DE LA VÉRITÉ.

ELLE LLE peut être comparée, pour le plus grand nombre des hommes, à une vaste surface dont chacun n'aperçoit qu'une petite partie, d'après laquelle il juge le tout. C'est un paysage immense, dont la perspective, les formes, les nuances varient à l'infini, suivant le point de vue d'où on les considère. L'un a vu ceci, l'autre a vu cela; chacun soutient sa découverte on s'échauffe, on se querelle, et tous ont tort, tous ont raison,

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Le premier observa du fond d'un précipice,' le second de la plaine, le troisième d'un monticule. Un plus hardi s'élève péniblement sur cette cime périlleuse, où respirant un air pur, dégagé des vapeurs fangeuses, il plane sur un horison sans bornes, et renforçant ses facultés naturelles par le secours de l'art, il découvre au télescope des milliers d'objets que l'œil simple ne peut apercevoir, et en devine des milliards d'autres qu'il ne distinguera jamais.

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Les miopes d'esprit sont plus communs que ceux de sens et en général ce qui est grand est hors de la portée du vulgaire. Ce n'est pas Socrate ou les philosophes les plus sublimes qui acquirent une foule d'adhérens; mais ce fut Mahomet et son ignorance qui établit la secte la plus nombreuse qu'il y ait sur la terre.

Ce ne furent pas les lois du profond et magnanime Licurgue ou autre grand législateur, qui se propagèrent jusqu'à nous; ce sont celles du pédant Théodose et du cruel Justinien.Si la vérité descendoit du ciel pour vivre avec nous, il faudroit qu'elle se revêtît d'abord de l'écorce de notre stupidité, de crainte d'être prise pour la folie.

Le premier pas vers la sagesse, c'est d'oser douter de son savoir. Son étude devroit être précédée d'un cours de géographie et de

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