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une logique de cette force, le fanatique peut résister, mais le sage cède en soupirant.

Les adversaires modernes de la philosophie, quoique moins barbares, n'en sont guère moins dangereux.-Les ignorans, les sots, les envieux, les gens du bel air, et la foule des individus intéressés à ce qu'on ne pense pas, affectent de lui jeter un ridicule, qui peut souvent, avec justice, porter sur l'auteur; mais jamais sur la science. Ses préceptes peuvent être faux par la foiblesse de celui qui les dicte; mais sa base n'en est pas moins stable, et tant qu'il existe quelques vérités importantes, son but ne peut être imaginaire, lors même qu'il est manqué. Il faut nécessairement que les effets aient des causes, et les causes des effets: que les êtres soient plutôt ceci que cela, et qu'entre divers moyens il y en ait de plus probables que d'autres. L'effort pour les découvrir a donc un objet certain, lors même qu'il est impuissant.

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On ne saisit jamais complètement cette vérité; mais on s'en approche ou s'en éloigne : on ne devient jamais parfait; mais on peut devenir meilleur. Il n'est point de sage auquel il n'échappe de fréquentes absurdités; mais entre lui et le stupide, entre le bon et le méchant il y a une foule de gradations, et

il vaut mieux sans doute occuper les premières que les dernières, et s'égarer quelquefois, que souvent ou toujours.

Celui qui déclame et ricane contre la science de la sagesse ne s'aperçoit pas qu'il tend luimême à philosopher, et qu'il admet par un aveu tacite, qu'en toute chose il y a plus ou moins de pour et de contre, de vrai et de faux; car, sans cela, pourquoi discuter?

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La plus grande partie de ce qui se fait dans le monde est produit par le raisonnement. C'est d'après des réflexions déterminantes bonnes ou mauvaises, qu'on se décide dans les conseils des rois, comme dans les actions les plus communes. Entre une pensée imprimée, ou une pensée simplement proférée, il n'y a d'autre différence, sinon que la première doit être plus approfondie, plus conséquente; parce qu'on apprécie mieux ce qu'on médite et rectifie longuement, que ce qu'on ne fait qu'effleurer dans une conversation ordinaire.-Le vrai savoir n'est proprement que l'intelligence perfectionnée.

Un des symptômes les moins équivoques de l'abrutissement et de la corruption d'un peuple, est l'indifférence publique sur les productions pensantes, qui ont en général plus d'influence dans le monde qu'on ne veut leur

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publique. S'il est d'usage d'adorer des chats, des oignons, ou un boeuf, comme jadis chez les Égyptiens (chez lesquels au reste ce culte n'étoit que symbolique), toute la nation se prosterne devant eux, et nomme impies et barbares celles qui pensent différemment.

de

Ceci démontre incontestablement le peu sûreté de la maxime commune, qu'il faut suivre sa conscience. Soyons certains que

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c'est un mauvais guide, s'il n'est lui-même dirigé. Lorsque, chez les Grecs, les Cartaginois, et presque tous les peuples du nord, on immoloit des victimes humaines aux dieux Orus, Agraulos, Kronos, Melec, Thor et Woden; lorsque leurs autels découloient du sang de l'innocence, qu'une mère y sacrifioit sa fille, un fils son père; ou plus modernenient, lorsque dans cette foule de persécutions religieuses, un compatriote égorgeoit son compatriote, un frère un autre frère; lorsque chez, les Albigeois on pendoit, brûloit, mutiloit, lorsqu'on empaloit de jeunes filles, qu'on leur arrachoit le sein, le rotissoit, le mangeoit, c'étoit la conscience que des furieux croyoient

suivre.

Nous frémissons au récit du banquet de l'antropophage qui, après s'être vengé par une mort affreuse, change en aliment son ennemi

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uniforme chez tous les peuples; parce qu'elle ne tire ses preuves que des simples notions de justice et de vérité que l'auteur de notre existence grava dans nos âmes, ou autrement la raison, qui est la faculté de discerner le vrai du faux. Débile dans l'enfance, obscurcie par les passions dans l'âge mûr, refroidie dans le déclin des forces, altérée dans les maladies, et plus malheureusement encore directement opposée dans la différence d'opinion des plus grands hommes sur les mêmes objets (1): tout cela doit nous inspirer contre ses prononcés une sage défiance. Où trouver une vérité qu'on n'ébranle à force de raisonnemens, où une proposition absurde, qu'on ne soutienne avec quelque probabilité?

son,

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Mais, malgré les incertitudes de cette raic'est cependant le seul guide à travers l'obscurité morale: c'est elle qu'on emploie pour persuader de renoncer à elle. Et en

(1) Ce contraste, dans la manière de voir, n'est nulle part plus sensible que dans les débats politiques d'un tribunál nombreux. - Mais ici comme ailleurs, l'opposition dépend moins du degré d'intelligence que du mobile qui la met en action. L'un avise à ce qui est profitable; un second à ce qui est juste ; un troisième à ce qui est prudent. L'un est timide, l'autre courageux; l'un ne considère qu'une classe de citoyens, l'autre tout l'état; et le plus grand nombre ne s'occupe que de leur intérêt personnel qui diffère suivant leur passion dominante.

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effet, si je ne la consulte, qu'est-ce qui peut me garantir de l'erreur? Si je ne crois que d'après les usages reçus, la foi de mes instituteurs, l'exemple de mes ancêtres ou celui de mes compatriotes, mes principes dépendront du hasard de la naissance. Je serai antropophage chez le cannibale, idolâtre chez le payen, musulman en Asie, chrétien en Europe, catholique à Soleure, et protestant à Berne.

Malgré cette étonnante variété d'opinions, qui divise les hommes, il est cependant des points de raison sur lesquels ils s'accordent.Aucune nation n'a encore placé au même rang l'oppression et la bienfaisance, la probité et la fourberie, le savoir et l'ignorance, le courage et la lâcheté. C'est dans ce sens qu'il faut prendre l'ancien proverbe que la voix des peuples est celle de Dieu.

Une remarque digne de toute attention;

c'est que, nonobstant que tous les dogmes ont toujours trouvé dans la masse totale des humains plus d'incrédules que d'adhérens, qui les ont réfutés par des dogmes contraires, aucune secte n'a cependant encore ose attaquer les principes fondamentaux de la morale: toutes les respectent comme le soutien de la félicité particulière et publique. Nos livres d'athéisme en offrent même des fragmens admirables.

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