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ce besoin de sentir et ce principe d'activité n'ont pas quelque grand objet qui leur serve d'aliment, ils deviennent le supplice du possesseur, le dévorent, le consument, produisent cette mélancolie, qui est un des attributs des meilleures âmes, le germe des plus grandes choses, mais qui n'en approche pas moins de la démence.

Des sentimens élevés, des affections fortes, des pensées abondantes, une imagination profonde, sont par leur perfection même un état contre nature. On diroit que la matière dont vile nous sommes composés est trop pour suffire à des vues sublimes, à des réflexions soutenues : elle fermente, se divise, se corrompt : l'âme s'altère avec elle, et les plus grands efforts d'intelligence humaine partirent souvent des bornes de la folie. Il est remarquable que la classe qui apprend à penser aux autres, soit celle qui ait fourni le plus grand nombre de têtes dérangées; comme le Tasse, Pascal, Abbadie et tant d'autres. Aristote et Plutarque ont déjà dit, qu'il n'est point de haute sagesse sans quelqu'alliage de démence, et nous pouvons observer chez la plupart des génies les plus distingues, des particularités bien étranges. Le plus éclairé des hommes seroit nécessairement celui qui, à la sensibilité la plus vive,

On doit cependant observer, que le degré de mépris dû à l'artifice dépend beaucoup du but qu'il se propose; et il est douteux, lorsqu'un dessein est honnête, si tous les moyens qui l'assurent ne le sont pas aussi.

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Quelque fin qu'on soit, on ne parvient pas à en imposer à tous l'extérieur offre toujours. quelque chose de joué, qui n'échappe point à l'oeil pénétrant. N'espérez jamais feindre les sentimens honnêtes, si vous ne les éprouvez pas. Il en est des vertus comme des langages. L'habitant du pays reconnoît d'abord l'étranger à l'accent.

La ruse la plus infaillible pour obtenir l'estime des autres, c'est de se rendre estimable. N'eût-on que son intérêt pour objet, une probité bien reconnue est, à la longue, ce qui le favorise de la manière la plus efficace. La meilleure prudence est un caractère ouvert, franc, sûr, intègre, qui va rondement son droit chemin, sans s'inquiéter beaucoup des feintes qu'on lui marque, ou des piéges qu'on lui tend. Si cette prudence atteint son but, elle en jouit avec plus de douceur et de sécurité. Si elle le manque, c'est sans honte, et il lui reste de quoi se consoler : au lieu que le fourbe, une fois démasqué, tombe et ne se relève plus.

dont il devient par là même le plus sincère admirateur. Si une prudence mal entendue ne s'efforçoit pas, dès la jeunesse, à nous donner de faux principes à cet égard, nous échapperions à nombre d'erreurs qu'un âge plus mûr cherche en vain à réparer.

C'est une triste vérité, mais nécessaire à connoître, qu'en tout pays la grande majorité des hommes mérite peu d'estime ; que les vices abondent, les vertus sont rares, la bêtise trèscommune, l'ignorance profonde, l'égoïsme la passion dominante, et un vil intérêt le principal mobile de presque toutes leurs actions.Voulez-vous savoir d'avance quelle sera leur conduite dans les diverses occurrences de la vie? ne demandez pas ce que leurs devoirs exigent; mais examinez ce qui peut favoriser leur vanité ou leur avarice. Concluez sur ce résultat : il vous trompera rarement. ›

L'expérience même voit, pour l'ordinaire, le monde sous un aspect plus flatteur qu'il n'est en réalité. Une réflexion très - simple vient à l'appui de cette conjecture: c'est que les autres n'aperçoivent jamais que les vices et l'ignorance qu'il nous est impossible de cacher. Chacun s'efforce de paroître meilleur et plus éclairé qu'il n'est en effet; il n'étale en public que ses. actions les plus honnêtes, ses pensées les plus

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exquises, enterrant au fond de lui-même toute la lie et l'ordure de son âme. La vie du plus grand nombre n'est presque qu'un mensonge. continuel. Oh! moi, qui parle si souvent de délicatesse, de probité et de lumières; moi qui me donne les airs de critiquer et d'instruire mes semblables... Oh! si mon lecteur pouvoit par fois pénétrer dans mon intérieur, y voir toutes les petitesses, les absurdités, les contradictions, et les horreurs mêmes qui passent par cette tête et agitent ce cœur, il seroit probablement bien surpris; mais s'il lisoit ensuite au fond de lui-même, il ne le seroit plus.

Oui, tout peuple est composé d'une foule 'de sots, de presque autant de fourbes, d'un petit nombre d'honnêtes gens, et par-ci parlà d'un vertueux éclairé. Que cette dernière classe dédommage des autres! On la reconnoîtra au mépris des petites vanités, à la compassion pour le malheureux, à l'indulgence pour le méchant, et à la sévérité envers eux

mêmes.

Abaisser les hommes est, dit-on, injurier le créateur. Hé quoi! tout ce qui est dans la nature n'est-il donc pas son ouvrage ? le tigre, le crapaud, l'araignée, ne sont-ils pas également sortis de sa main? et seroit-ce un crime de ne

vain: toujours raisonnant, rarement raisonnable, n'estimant que ses idées, et ne pensant que d'après autrui: errant de préjugés en préjugés, d'illusions en d'autres illusions; croyant toujours tenir la vérité, et n'ayant changé que d'erreurs sans cesse en contradiction avec luimême; voulant et ne voulant pas; craignant et désirant à la fois : héros le matin, femmelette le soir: tel aujourd'hui, autre demain, et ne se ressemblant plus au bout de quelques années : tendant invariablement au bonheur, et constamment variant dans ses buts; cherchant moins à être heureux qu'à le paroître, et se fiant plus aux préventions des autres qu'à ses propres sentimens rongé en secret d'une inquiétude vague, qu'il cache par orgueil et qu'il découvre par ses actions; se plaignant de la briéveté de la vie, et recherchant sans cesse les moyens de l'abréger et d'en oublier le poids: lâche et craintif par nature, et courant au-devant de la mort pour de petits intérêts de vanité, de vengeance, ou d'avarice : se piquant de générosité, et plus monstre que les bêtes féroces, égorgeant ses semblables, sans haine, sans griefs personnels, et plaçant sa principale gloire dans l'art de les détruire: rapportant tout à lui, s'occupant peu des autres, et à tout prix voulant les occuper riant de son enfance

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