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de ces pitoyables minuties, dont le vulgaire s'occupe et se tourmente. Ses contemplations fournissent sans cesse à l'esprit un aliment qui le fortifie, l'intéresse et le console. Son indépendance de l'opinion secoue la servitude des préjugés et celle des besoins imaginaires : elle enseigne à jouir des voluptés innocentes sans en être asservi, et prévient les regrets par la prudence. C'est elle qui assure nos desseins, qui rend notre prospérité plus douce, nos maux plus supportables, et qui, alliant notre félicité avec celle d'autrui, verse sur des souffrances nécessaires les consolations de l'avenir. C'est elle qui apprend à se soumettre avec résignation aux décrets d'une providence irrésistible; à conformer ses vœux et sa conduite à șa situation; à vivre en paix, en sûreté avec soi et les autres; à se pardonner ses propres inepties, et souffrir avec douceur les injustices des hommes, en les aimant, les plaignant, et les servant.

Comme tout s'altère sous la rouille des temps, le mot Philosophie ou l'amour de la sagesse, a presqu'entièrement changé de signification. De nos jours, la physique et les mathématiques ont usurpé son trône, déjà envahi dans les siècles. passés par l'obscure scholastique. Si Socrate, Épicure ou Zénon revenoient sur la terre, et

si les sages pouvoient s'étonner, ils seroient surpris d'avoir moins de prétentions au titre de Philosophe qu'un logicien, un algébriste ou un distillateur (1).

Les anciens ne connoissoient ni attraction, ni prismes, ni électricité, ni air inflammable; mais ils s'occupoient davantage de l'origine des Étres et de leur tendance, du vrai et du juste, du bien et du mal, du bonheur particulier et public; mais en quoi ils nous surpassoient surtout, c'étoit dans leurs magnanimes efforts pour joindre l'exemple aux préceptes. Il est remarquable que le plus grand des législateurs Licurgue, le plus grand des poëtes Homère, un des premiers moralistes Confucius, et la religion naturelle, la mieux fondée sur les notions de physique et de métaphysique les plus abstraites, celles des anciens Perses et Chaldéens, remontent également jusqu'aux bornes les plus reculées de notre certitude historique. En comparant les erreurs mêmes de la plus ancienne philosophie connue, avec la marche de l'esprit humain, on trouvera que ses écarts tiennent plus de la caducité du savoir que de son adolescence. Cela porteroit à croire

(1) Nous avons un traité sur le salpêtre, intitulé : Fragmens philosophiques.

Il est aussi très-important de fixer avec exactitude l'idée du bien général, qui est composé

du plus grand nombre de biens particuliers. L'abus de ce mot n'est que trop commun, et séparant de ce public un individu, puis une classe, ensuite une autre, on finit par le réduire à rien. Nuire à un seul sans nécessité pour plusieurs, c'est blesser tout l'État, et servir un seul ou quelques-uns aux dépens du plus grand nombre, c'est crime, non vertu.

Supposons, par exemple, que disposant de la nomination d'une charge publique, vous l'accordiez à un incapable; vous êtes un bienfaiteur envers lui, mais un destructeur de la société, que vous attaquez dans ce qu'elle a de plus précieux, une bonne administration, et vous participez aux injustices que l'ignorance ou la bassesse de votre protégé lui feront

commettre.

Il n'est point de règle philosophique qui puisse s'appliquer invariablement à toutes les circonstances, hormis celle d'agir toujours d'une manière conforme à l'intérêt général. C'est la seule maxime qui n'admette aucune exception elle pourroit suffire pour guider l'homme éclairé; toutes les autres n'en sont que des conséquences. On peut l'appeler le principe des principes, ou la pierre de

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un rayon de lumière, et connoître que l'at-
traction mutuelle des corps est en raison di-
recte des masses, et en raison inverse du
quarré des distances. Ces sublimes découver-
tes peuvent récréer
par moment le petit nom-
bre d'observateurs profonds; mais elles ont
jusqu'ici peu contribué à nous rendre meil-
leurs ou plus heureux.-D'autre part si nous
admettons la probabilité que nos connoissances
présentes nous suivent et nous graduent sous
une existence future, ces inventions perdent
encore davantage. Newton n'est plus qu'un
petit calculateur, qui mesura un particule
de l'espace, et devina les lois d'après lesquelles
quelques atômes s'y meuvent. Le plus grand
physicien n'est plus qu'un minutieux obser-
vateur, qui découvrit quelques propriétés d'une
matière dont les variations, essentiellement
soumises au degré du froid ou du chaud,
dépendent du plus ou du moins d'éloignement
du foyer central, peuvent dans l'avenir n'a-
voir aucune ressemblance avec le passé, et
différer du tout au tout par un seul mouvement
solaire. Que deviennent tant d'autres études,
qui ne sont que les accessoires de la vraie?
Au lieu que celles d'un Socrate, d'un Marc
Aurèle, augmentent d'éclat; parce que la
science du juste et de l'injuste embrasse

l'univers, et lie la DIVINITÉ même dans ses principes fondamentaux. C'est la seule que nous partageons avec elle, la seule qui nous rapproche d'elle, la seule qui ne peut s'avilir sous les rapports quelconques d'une existence supérieure.

Les mathématiques, la physique et leur cortège ne sont que les avenues du temple de sagesse, dont l'Ethique est le sanctuaire. Les causes du renversement d'idées à cet égard remontent aux siècles de barbarie. Lorsque la superstition, liguée avec le despotisme, s'unirent pour enchaîner la raison, penser devint un crime. Le citoyen n'osa plus réfléchir sur les droits sacrés de la nature : l'âme pieuse n'osa plus chercher son Dieu et la voie du salut; elle se vit contrainte d'asservir ses principes de bonheur présent et futur aux erreurs impérieuses de l'ambition, de l'avarice et de l'ignorance. Il fallut bien alors.combattre la philosophie, et, ne pouvant l'anéantir, en changer le cours. On obscurcit les notions les plus claires on substitua le subtil au solide, les mots aux choses, les distinctions aux maximes, les pratiques inutiles aux vrais devoirs, et les offrandes particulières aux vertus publiques. Un cachot devint le grand argument, et un bûcher la conclusion. Contre

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