Page images
PDF
EPUB

elles seront lues toujours, sauvées de l'oubli par la perfection de la forme. Grâce à la forme, les Maximes de La Rochefoucauld ne craignent pas de rivales, pas même les maximes de La Bruyère, malgré le charme qui se dégage de la morale plus aimable de ce dernier. La Bruyère nous semble d'ailleurs plus parfait encore dans ses portraits que dans ses maximes; lui non plus, il n'a rien créé; il n'a fait que cultiver un genre déjà en vogue.Retirée à SaintFargeau après les temps tumultueux de la Fronde, Mademoiselle avait, pour se distraire, mis à la mode les portraits dans sa petite cour; cette distraction se répandit et devint bientôt une fureur; chacun peignit ses voisins, comme Bussy-Rabutin, le plus fécond portraitiste du siècle, ou se peignit soi-même, comme madame de Courcelles (1651-1685), comme La Rochefoucauld, comme Fléchier. Pour éviter la monotonie, on avait recours à divers procédés tantôt on traçait des caractères abstraits, comme le grand capitaine, ou le sage ministre, et l'on cherchait, par une allusion discrètement flatteuse, à amener sur les lèvres des auditeurs le nom d'un contemporain fameux; tantôt on s'escrimait à tourner les défauts en qualités, comme madame de Motteville faisant le portrait d'Anne d'Autriche; tantôt enfin on se délectait à faire courir ou à lire sous le manteau des portraits satiriques. Ce fut une véritable épidémie; on trouve partout des portraits au XVIe siècle 1, dans les Nouvelles, comme au théâtre, comme dans la chaire : dans la Princesse de Paphlagonie, comme dans le Misanthrope et Tartuffe, comme dans l'Oraison funèbre de la reine d'Angleterre de Bossuet et dans les Sermons de Bourdaloue. La Bruyère n'a donc fait que se consacrer à un genre déjà estimé; mais il a déployé une supériorité qui a effacé jusqu'au souvenir de ses nombreux devanciers et de ses imitateurs plus nombreux encore; ce qui fait l'attrait de son livre, ce n'est pas seulement « ce style rapide, concis et nerveux » que loue Voltaire 2, c'est la surprenante variété des tours et des tableaux ici nous amuse un apologue ingénieux et délicat, plus loin retient notre regard une miniature finement exécutée, là éclate un contraste énergique et puissant. Gráce, élégance, amertume, àpreté, ironie on trouve tout dans son livre; il prend tous les tons avec un égal bonheur, inimitable dans ses portraits, inimitable dans son style. Avec tant de mérites, il pouvait sourire de la boutade de Boileau, qui lui reprochait d'avoir voulu, en présentant son ouvrage sous cette forme de morceaux détachés, éviter la difficulté sans cesse renaissante des transitions.

1. « Les portraits sont difficiles,dit Mascarille dans les Précieuses ridicules (X), et demandent un esprit profond; » aussi, dans le Misanthrope (II, v), Clitandre ne saurait-il adresser à Célimène un compliment plus flatteur que de lui dire : Pour bien peindre les gens vous êtes admirable.

On trouvera dans ce volume des portraits signés de La Rochefoucauld, de La Bruyère, de Bossuet, de Bussy-Rabutin, du cardinal de Retz, de madame de Motteville, de Mademoiselle, de madame de La Fayette, etc.

2. Siècle de Louis XIV, xxxI. Voir dans nos Morceaux choisis du xvm° siècle le jugement de Vauvenargues sur La Bruyère.

[blocks in formation]

Les orateurs sacrés n'ont pas jeté sur le XVIIe siècle un éclat moins vif que les philosophes et les moralistes, et les progrès de l'éloquence de la chaire méritent d'autant plus d'être signalés que le chemin à parcourir était plus long. Parlant des prédicateurs qui se firent entendre dans les deux premiers tiers du xvIIe siècle, Massillon disait dans son Discours de réception à l'Académie française: « La chaire semblait disputer, ou de bouffonnerie avec le théâtre, ou de sécheresse avec l'école; et le prédicateur croyait avoir rempli le ministère le plus sérieux de la religion, quand il avait débité, ou quelques termes mystérieux et barbares qu'on n'entendait pas, ou des plaisanteries qu'on n'aurait pas dû entendre 1. » A peine dans cette période peut-on citer Claude de Lingendes (1591-1660), et Jean de Lingendes (1595-1665), son cousin; l'inépuisable charité de son cœur inspirait du moins quelques beaux accents à saint Vincent de Paul. Fléchier lui-même n'est pas encore entièrement dégagé des défauts qu'on reprochait aux anciens prédicateurs, et l'affectation, une certaine coquetterie de style, la recherche de l'effet déprécient son beau talent. Malgré la puissance de certains mouvements, et l'élévation constante des sentiments et du style, les sermons de Bossuet et ses panégyriques n'ont pas été appréciés par ses contemporains comme ils auraient dû l'être. Sa réputation comme prédicateur fut éclipsée par celle de Bourdaloue, dont Louis XIV goûtait si fort les sermons, et dont madame de Sévigné écrivait : « On dit qu'il passe toutes les merveilles passées, et que personne n'a prêché jusqu'ici. » Sa voix sonore, la noblesse de son attitude charmaient l'auditoire, empêchant de remarquer la froideur relative de son style. Bourdaloue est d'ailleurs sans égal au point de vue de l'enseignement évangéliqué 2, et l'on ne peut que s'associer aux éloges que faisait de ses sermons l'abbé Maury : « Ce qui me ravit dans les sermons de l'éloquent Bourdaloue, c'est que cet orateur plein de génie se fait presque toujours oublier lui-même pour ne s'occuper que de l'instruction et des intérêts de ses auditeurs; c'est que, dans un genre trop souvent livré à la déclamation, il ne se permet pas une seule phrase inutile à son sujet, n'exagère jamais aucun des devoirs du christianisme, ne change point en

1. Le chapitre de la Chaire de La Bruyère n'est qu'un long commentaire, spirituel et mordant, de cette phrase; La Bruyère s'élève contre les pointes ajoutées à l'Evangile, contre l'abus des subdivisions, contre les citations empruntées aux auteurs du paganisme, etc.

2. On commençait à être si las des « énumérateurs, » et des orateurs qui recherchaient par leurs discours des évêchés, comme dit La Bruyère, qu'en 1696, la parole simple et apostolique d'un modeste caj ucin, le Père Séraphin, provoqua un enthousiasme général.

préceptes les simples conseils évangéliques, et que sa morale, constamment réglée par la sagesse, peut et doit toujours être réduite en pratique; c'est la fécondité inépuisable de ses plans qui ne se ressemblent jamais, et l'heureux talent de disposer ses raisonnements avec cet ordre savant dont parle Quintilien, lorsqu'il compare l'habileté d'un grand écrivain qui règle la marche de son discours à la tactique d'un général qui range son armée en bataille; c'est cette puissance de dialectique, cette marche didactique et ferme, cette force toujours croissante, cette logique exacte et serrée, cette éloquence continue où tout est également plein, lié, soutenu, assorti1. »

Mais, malgré les éclatants succès de Bourdaloue dans le sermon, c'est dans l'oraison funèbre que l'éloquence religieuse s'est développée avec le plus de majesté au XVIe siècle. Ce fut à vrai dire le siècle de l'oraison funèbre. Trente-quatre oraisons funèbres ont été prononcées en l'honneur d'un seul de nos rois, Henri IV; il est vrai qu'elles sont fort médiocres; devant ses cendres, Cospéan, évêque d'Aire, et Bertaut (1570-1611), évêque de Séez, gémissent classiquement; Coëffeteau (1574-1623), devançant Bossuet, est le seul qui cherche déjà dans cette mort tragique le doigt de Dieu; tous les autres se contentent d'établir des subdivisions et de parer de jolies phrases. Le père Pelletier, dans son Templum reginæ eloquentiæ, uc soupçonne pas que l'oraison funèbre puisse être autre chose qu'un éloge classique, à la manière des païens; rien de moins chrétien que l'oraison funèbre de Louis XIII par Godeau, qui compare son discours à un bouquet, dont il assortit les couleurs; prononçant une oraison funèbre de madame Henriette, un chanoinc de Chartres, docteur en Sorbonne, Le Maire, plein d'amour pour la rhétorique et de tendresse pour la division en trois points, scmble s'être posé le problème, qu'il a d'ailleurs résolu, de parler durant une heure de Madame sans rien dire qui lui soit particulier. Mascaron lui-même et Fléchier, malgré tout leur talent, sont tombés dans cette double faute, le premier de citer Tite-Live et de parler des Horaces et des Curiaces à propos de Turenne, le second d'accumuler les subdivisions dans les divisions; il appartenait donc à Bossuet de porter l'orais ›D funèbre au plus haut point de perfection qu'elle pût atteindre. Il y fut orateur, poète et prophète de la loi nouvelle 2. » Ses rivaux sont des rhéteurs, et Bossuct est un orateur dans le sens le plus élevé du mot; toutes leurs divisious ue soni que des

[ocr errors]

1. Acôté de Bourdaloue, qu'on appelait « le Corneille de la chaire», il convient de citer Cheminais (1652-1689), que Voltaire en nommait « le Racine », et le célèbre pasteur Claude (1619-1687), que son érudition et l'habileté de sa dialectique rendirent un rival digne de Bossuet.

2. Voir pour toute cette partie une brochure de M. Joly sur l'Oraison funèbre avant Bossuct. Voir aussi une page de Villemain sur l'Oraison funèbre dans nos Morceaux choisis du XIX° siècle et dans nos Morceaux choisis du xv siècle une page de Maury sur Bossuet.

divisions de mots; les siennes sortent du sujet même; il bannit de la chaire les citations empruntées à l'antiquité païenne, mais il est imprégné de son charme; il réalise la fusion harmonieuse de la pensée chrétienne et de la forme classique; et ce qui fait encore son principal mérite, c'est qu'il s'est le premier rendu compte qu'autre chose devait être un éloge funèbre, autre chose une oraison funèbre. Pour lui l'oraison funèbre est un sermon en action, dont la fin est toujours calme et recueillie. L'Oraison funèbre de Madame est-elle autre chose qu'un admirable sermon sur la mort en face de la tombe de la plus séduisante des princesses? Dans tous les genres qu'il a abordés, Bossuet s'est révélé un maître.

V. - ÉLOQUENCE JUDICIAIRE.

A côté de l'éloquence religieuse, l'éloquence judiciaire nous paraît aujourd'hui avoir fait à celte époque une assez triste figure 1; et cependant, lorsque Lemaistre parlait, les prédicateurs en renom accouraient pour l'entendre. Il est vrai qu'alors l'éloquence religieuse ne s'était pas encore défaite de son goût pour les citations profanes, et les prédicateurs venaient saisir au vol quelque trait brillant parmi les innombrables citations de Quintilien et de Sénèque, de Lucrèce et d'Ovide, par lesquelles Talon et ses rivaux remplaçaient dans leurs plaidoiries les arguments. Du moins les Discours et le Mémoire de Pellisson en faveur de Fouquet présentent-ils des sentiments élevés exprimés dans une langue saine et forte; du moins faut-il rendre à Patru cette justice d'avoir contribué «< beaucoup à régler, à épurer le langage; et, quoiqu'il ne passàt pas pour un avocat profond, on lui dut néanmoins l'ordre, la clarté, la bienséance, l'élégance du discours, mérites absolument inconnus avant lui au barreau 2. » La distance reste grande cependant entre Patru et d'Aguesseau.

[blocks in formation]

Ce qui a manqué au barreau du xvIe siècle, ce sont des critiques de profession, se chargeant d'éclairer et de conduire le goût du public et des avocats. Car Saint-Évremond n'était critique qu'à ses heures. A défaut de vues très larges et d'un goût très sûr, il eut du moins beaucoup d'esprit, et son charme désarme les reproches qu'on serait tenté de diriger contre lui. Mais sa conduite un peu libre, et l'exil dans lequel il vécut à partir de 1661, l'empêchèrent d'exercer une influence sur son siècle.

1. Sur l'éloquence judiciaire au xvII° siècle consulter dans notre édition Racine la Notice sur les Plaideurs.

2. VOLTAIRE. Siècle de Louis XIV, XXXII.

[blocks in formation]

Malgré la fondation du Journal des Savants en 1665, le XVIe siècle a produit fort peu de savants dont les œuvres puissent offrir un intérêt littéraire. Nous ne voyons guère à citer que Bayle, dont les Pensées sur la comète furent très lues en 1681, et dont le Dictionnaire historique et critique peut être encore aujourd'hui consulté avec fruit; on peut nommer aussi Vauban, qui a parlé, avec beaucoup de clarté, d'une science très spéciale dans son Traité de l'attaque et de la défense des places; son style est celui d'un honnête homme dans tous les sens du mot.

[blocks in formation]

Ce n'est point non plus la gloire de ses historiens qui a valu au siècle de Louis XIV le nom de grand siècle. L'Histoire universelle de d'Aubigné ressemble trop parfois à un pamphlet 1. Ni Hardouin de Péréfixe (1605-1671) avec sa Vie de Ilenri IV, ni l'abbé de Saint-Réal (1639-1692), bien que son Histoire de la conjuration des Espagnols contre la république de Venise l'ait fait surnommer le Salluste français, ni l'abbé Fleury (1640-1723), malgré les vingt volumes de son Histoire ecclésiastique, ne méritent de nous arrêter. Sainte-Beuve accordait quelque estime à Mézeray; les deux petits ouvrages historiques de Sarrasin ont mérité l'approbation de Cousin; mais le seul grand historien qu'ait produit le xvne siècle, c'est encore Bossuet. Il se montre tel dans l'Histoire des variations des Églises protestantes, jugeant et peignant les hommes avec une hauteur de vues et une sûreté de main vraiment merveilleuses, tel dans le Discours sur l'histoire universelle, qui peut n'être parfois qu'un brillant exercice oratoire, mais dont certains chapitres sont l'œuvre d'un philosophe, et qui inaugure la méthode que suivra Montesquieu 2.

[merged small][ocr errors]

La véritable histoire au XVIIe siècle, ce sont les Mémoires; il y en a beaucoup; il y en a de médiocres; il y en a d'excellents; tous sont curieux et utiles; tous fournissent à l'histoire des documents intimes, plus précieux que ceux que lui ont conservés les historiographes de Louis XIV 3; on connaît le règne de Louis XIII, quand on a lu le duc de Rohan (1579-1638), Richelieu et Bassompierre (1579-1646); la régence d'Anne d'Autriche et la

1. Voir les Morceaux choisis du xv1° siècle de MM. Darmesteter et Hatzfeld. 2. Voir dans nos Morceaux choisis du XIX° siècle une page de Villemain sur Bossuet et Montesquieu.

3. L'œuvre de Boileau et de Racine périt dans l'incendie de la maison de M. de Valincourt, leur successeur.

« PreviousContinue »