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admiré quelque temps cette petite créature si injustement méprisée, et même si indignement et si cruellement traitée par les autres animaux, à qui apparemment elle sert de pâture, je me mis à lire un livre que j'avais sur moi, et j'y trouvai une chose fort étonnante, c'est qu'il y a dans le monde un nombre infini d'insectes pour le moins un million de fois plus petits que celui que je venais de considérer, cinquante mille fois plus petits qu'un grain de sable 1.

(Entretien X.)

SAINT VINCENT DE PAUL 2
(1576-1660)

Né à Dax, dans les Landes, Vincent commença par garder les troupeaux de son père, puis, après de modestes études, fut ordonné prêtre en 1600. Prisonnier des pirates en 1605, il convertit son maître, et revint en France avec lui en 1607. Après un voyage à Rome, il fut nommé, en 1610, aumônier de Marguerite de Valois; il devint ensuite curé de Clichy; enfin on le chargea de l'éducation du futur cardinal de Retz (1613). D'une charité inépuisable, Vincent a laissé un souvenir impérissable comme aumônier général des galères. On compte parmi ses fondations pieuses la congrégation des Prêtres de la mission (1625), les Sœurs de charité (1634), les Enfants trouvés (1648), l'Hospice du Nom de Jésus (1653) pour 80 vieillards, et, à la Salpêtrière, l'Hôpital général des pauvres de la capitale (1655). On l'avait surnommé l'Interdant de la Providence. On a de lui des Lettres, des Instructions, des Sermons.

LETTRE A MONSIEUR DE COMMET

<< Je m'embarquai pour Narbonne3, pour y être plus tôt et pour épargner, ou pour mieux dire, pour n'y jamais être et pour tout perdre. Le vent nous fut autant favorable qu'il fallait pour nous rendre ce jour-là à Narbonne, qui était

1. Voir la première des Études de la nature de Bernardin de Saint-Pierre. 2. Ou mieux Depaul.

3. M. Vincent, comme on l'appelait au xvII° siècle, quittait Marseille, où il était venu en 1600, peu de temps après avoir été ordonné prêtre et avoir reçu tous les grades de la théologie, pour régler les affaires d'un héritage qu'il venait de faire. Narbonne est aujourd'hui une sous-préfecture de l'Aude. 4. Pour que le voyage coûtât moins cher.

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faire cinquante lieues, si Dieu n'ait permis que tro's brigantins turcs qui côtoyaient le golfe de Lyon, pour attaquer les barques qui venaient de Beaucaire 2, où il y avait une foire que l'on estime être des plus belles de la chrétienté, ne nous eussent donné la chasse et attaqués si vivement, que deux ou trois des nôtres étant tués et tout le reste blessé, et même moi qui eus un coup de flèche, qui me servira d'horloge tout le reste de ma vie, n'eussions été contraints de nous rendre à ces félons. Les premiers éclats de leur rage furent de hacher notre pilote en mille pièces, pour avoir pendu un des principaux des leurs, outre quatre ou cinq forçats que les nôtres tuèrent; cela fait, ils nous enchaînèrent, et, après nous avoir grossièrement pansés, ils pousuivirent leur pointe, faisant mille voleries, donnant néanmoins liberté à ceux qui se rendaient sans combattre, après les avoir volés ; et enfin, chargés de marchandises, au bout de sept ou huit jours, ils prirent la route de Barbarie', tanière et spélonque de voleurs sans aveu du Grand Turc, où, étant arrivés, ils nous exposèrent en vente, avec un procès-verbal de notre capture, qu'ils disaient avoir été faite dans un navire espagnol; parce que sans ce mensonge nous aurions été délivrés par le consul que le roi tient en ce lieulà, pour rendre libre le commerce aux Français. Leur procédure à notre vente fut qu'après qu'ils nous eurent dépouillés, ils nous donnèrent à chacun une paire de caleçons, un hoqueton de lin, avec un bonnet, et nous promenèrent par la ville, où ils étaient venus expressément pour nous vendre. Nous ayant fait faire cinq ou six tours par la ville, la chaîne au col, ils nous ramenèrent au bateau, afin que les marchands vinssent voir qui pouvait bien manger, et qui non, et pour montrer que nos plaies n'étaient point mortelles. Cela fait, ils nous ramenèrent à la place, où les marchands vinrent nous visiter tout de même que l'on fait à l'achat d'un cheval ou d'un bœuf, nous faisant ouvrir la bouche pour voir nos dents. Palpant nos côtes, sondant nos plaies, et nous faisant cheminer le pas, trotter et courir,

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1. Vaisseaux de course.

2. Sur le Rhône, en face de Tarascon.

3. Les Turcs, que les chrétiens faisaient prisonniers, étaient enchaînés sur les galères et servaient de rameurs.

4. Aujourd'hui le Maroc, l'Algérie et la Tunisie.

5. De spelunca, caverne.

6. La façon dont ils procédèrent à...

7. Sorte de casaque.

puis lever des fardeaux, et puis lutter, pour voir la force d'un chacun, et mille autres sortes de brutalités.

AUX DAMES DE LA COUR EN FAVEUR DES ENFANTS TROUVĖS

Or sus 1, Mesdames, la compassion et la charité vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants. Vous avez été leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnés. Voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonner pour toujours. Cessez à présent d'être leurs mères, pour devenir leurs juges; leur vie et leur mort sont entre vos mains. Je m'en vais donc, sans délibérer, prendre les voix et les suffrages. Il est temps de prononcer leur arrêt, et de décider irrévocablement si vous ne voulez plus avoir pour eux des entrailles de miséricorde. Les voilà devant vous! Ils vivront, si vous continuez d'en prendre un soin charitable; et, je vous le déclare devant Dieu, ils seront tous morts demain, si vous les délaissez.

(Péroraison.)

MASCARON
(1634-1705)

Fils d'un avocat au parlement de Provence, Jules Mascaron entra dans la congrégation de l'Oratoire, et se fit une réputation comme prédicateur dans l'Anjou et dans la Touraine. Il vint ensuite à Paris, où son Oraison funèbre d'Anne d'Autriche (1666) fut très remarquée, peut-être à cause d'un luxe extravagant de métaphores. Celles du duc de Beaufort, d'Henriette d'Angleterre, et du chancelier Séguier ne firent pas autant de bruit que celle de Turenne, qui peut soutenir la comparaison avec celle qu'a prononcée Fléchier. Mascaron avait été nommé évêque de Tulle en 1671, puis d'Agen en 1678. Il prêcha devant la cour en 1683, 1684 et 1694; mais c'est dans l'Oraison funèbre qu'il réussit surtout : «Dans l'oraison funèbre, dit Thomas, Mascaron fut ce que Rotrou fut sur le théatre: Rotrou annonça Corneille, et Mascaron Bossuet. >>

MORT DE TURENNE 2

Cette funeste nouvelle se répandit par toute la France

1. Interjection qui équivaut à peu près à : Eh bien done!

2. On sait que Turenne fut tué d'un coup de canon, près de Salzbach, le

comme un brouillard épais qui couvrit la lumière du ciel, et remplit tous les esprits des tenèbres de sa mort. La terreur et la consternation la suivaient. Personne n'apprit la mort de M. de Turenne qu'il ne crût d'abord l'armée du roi taillée en pièces, nos frontières découvertes, et les ennemis prêts à pénétrer dans le cœur de l'État; ensuite, oubliant l'intérêt général, on n'était sensible qu'à la perte de ce grand homme. Le récit de ce funeste accident tira des plaintes de toutes les bouches et des larmes de tous les yeux 1. Chacun à l'envi faisait gloire de savoir et de dire quelque particularité de sa vie et de ses vertus : l'un disait qu'il était aimé de tout le monde sans intérêt; l'autre, qu'il était parvenu à être admiré sans envie; un troisième, qu'il était redouté de ses ennemis sans en être haï 2. Mais enfin ce que le roi sentit sur cette perte, et ce qu'il dit à la gloire de cet illustre mort, est le plus grand et le plus glorieux éloge de sa vertu3. Les peuples répondirent à la douleur de leur prince; on vit, dans les villes par où son corps a passé, les mêmes sentiments que l'on avait vus autrefois dans l'empire romain, lorsque les cendres de Germanicus furent portées de la Syrie au tombeau des Césars. Les maisons étaient fermées; le triste et morne silence qui régnait dans les places publiques n'était interrompu que par les gémissements des habitants; les magistrats en deuil eussent volontiers prêté leurs épaules pour le porter de ville en ville; les prètres et les religieux, à l'envi, l'accompagnaient de leurs larmes et de leurs prières; les villes, pour lesquelles ce triste spectacle était tout nouveau, faisaient paraître une douleur encore plus véhémente que ceux qui l'accompagnaient; et comme si, en

27 juillet 1675, au moment même où, par d'habiles manœuvres, il venait d'attirer Montecuculli sur un terrain défavorable, et où allait s'engager une action

qui devait décider du résultat de la campagne Voir dans nos extraits de

Fléchier une page sur le même sujet. dans Bossuet (Oraison funèbre de Louis de Bourbon, fin de la première partie) un parallèle entre Turenne et Condé. On en trouvera un autre dans les Réflexions diverses (XIV) de La Rochefoucauld, et dans les œuvres de Saint-Evrémond. Saint-Evremond a composé aussi un éloge et Bussy-Rabutin un portrait de Turenne. Voir enfin les lettres de madame de Sévigné du 31 juillet, du 2, du 9, du 16 et du 28 août 1675. 1. Madame de Sévigné écrit à M. de Grignan, dès le 31 juillet, qu'à la nouvelle de cette mort « tout Paris et tout le peuple était dans le trouble et dans l'émotion, chacun parlait et s'attroupait pour regretter ce héros. »

2. Madame de Sévigné écrit à madame de Grignan, le 9 août, que Montecuculli envoya « témoigner à M. de Lorges la douleur qu'il avait de la perte d'un si grand capitaine. »>

3. « Le roi en a été affligé, comme on doit l'être de la perte du plus grand capitaine et du plus honnête homme du monde; toute la cour fut en larmes, et M. de Condom (Bossuet) pensa s'évanouir. » (MADAME DE SÉVIGNÉ, lettre du 31 juillet.)

voyant son cercueil, on l'eût perdu une seconde fois, les cris et les larmes recommençaient1.

(Oraison funèbre de Turenne.)

BOSSUET

(1627-1704)

Jacques-Bénigne Bossuet naquit à Dijon le 27 septembre 1627. D'abord élève des jésuites, il fit sa philosophie au collège de Navarre sous Nicolas Cornet, et, le 25 janvier 1648, soutint sa thèse de théologie, en présence du grand Condé, à qui elle était dédiée. Ordonně prêtre en 1652, Bossuet prêche pendant six ans à Metz, où il écrit son premier ouvrage de controverse, la Réfutation du Catéchisme de Paul Ferry. Appelé à Paris par Vincent de Paul, il prêche un certain nombre d'Avents et de Carêmes, qui attirent sur lui l'attention de Louis XIV, écrit plusieurs Panegyriques, et fait les Oraisons funèbres du Père Bourgoing, d'Yolande de Monterby, d'Henri de Gornay, de son ancien maître Nicolas Cornet et d'Anne d'Autriche. Ces discours, aujourd'hui perdus, le préparaient aux six magnifiques Oraisons funèbres que nous avons conservées, et qui furent prononcées de 1669 à 1687; ce sont celles de la reine d'Angleterre, de Madame, de Marie Thérèse, de la princesse Palatine, de Michel le Tellier et de Condé. En 1669, Bossuet avait été nommé à l'évêché de Condom ; en 1670, il fut appelé à la cour comme précepteur du Dauphin. Il a tracé dans une lettre latine adressée au pape Innocent XI le plan d'éducation qu'il se proposait de suivre. C'est pour cet élève, qui le méritait peu, que Bossuet composa trois de ses plus importants ouvrages le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, la Politique tirée de l'Écriture sainte, qui ne parut qu'après la mort de l'auteur, en 1709, et le fameux Discours sur l'histoire universelle, écrit avec la raison prudente d'un philosophe et le zèle enflammé d'un Père de l'Église. Après la con

1. Pareille douleur ne s'était point vue, depuis que l'on avait ramené en France les restes de Bayard. Madame de Sévigné, dans sa lettre du 28 août, est d'accord avec Mascaron : « On lui a fait un service militaire dans le camp, où les larmes et les cris faisaient le véritable deuil. Tous les officiers pourtant avaient des écharpes de crêpe; tous les tambours en étaient couverts, qui ne frappaient qu'un coup; les piques traînantes et les mousquets renversés; mais ces cris de toute une armée ne se peuvent pas représenter, sans que l'on n'en soit ému Quand ce corps a quitté son armée, ç'a été encore une autre désolation; partout où il a passé, ç'a été des clameurs; mais à Langres ils se sont surpassés: ils allèrent tous au-devant de lui, tous habillés de deuil, au nombre de plus de deux cents, suivis du peuple; tout le clergé en cérémonie; ils firent dire un service solennel dans la ville, et en un moment se cotisèrent tous pour cette dépense, qui monta à cinq mille francs, parce qu'ils reconduisirent le corps jusqu'à la première ville, et voulurent défrayer tout le train. »

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