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dictionnaire, d'une grammaire, et de rédiger la Critique du Cid. Il fut question de lui pour être le précepteur de Louis XIV. C'est à lui que plus tard Colbert confia le soin d'établir la liste des écrivains et des savants français et étrangers que le roi devait honorer d'une pension. Comme Chapelain était honnête homme, il dressa honnêtement cette liste; mais, comme il était avare, il eut le tort de ne pas laisser au roi lui-même le soin de faire de lui le mieux renté de tous les beaux-esprits : « Au sieur Chapelain, le plus grand poète français qui ait jamais été, et du plus solide jugement, 3000 livres. » Littérairement parlant, Chapelain eut du moins une grande habileté celle d'avoir fait attendre vingt ans la publication de la Pucelle, son poème héroïque : on vantait partout le chef-d'œuvre à venir; il parut: ce fut un désastre; on n'en put imprimer que six chants sur douze, et de la Pucelle il ne subsiste que le souvenir, conservé par les épigrammes de Boileau (Voir à la fin du volume nos extraits de Boileau).

CHARLES VII PART POUR REIMS AVEC SON ARMÉE

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« J'en accepte l'augure: allons, chère patrie 1.
Allons, répond le camp, et du creux des vallons
Répondent cent échos: Allons, allons, allons!
Le son en rejaillit au sommet des montagnes;
Il se roule et s'épand sur les vastes campagnes;
La forêt le répète, et le prochain torrent,
Plus trouble et plus ému, fuit en le murmurant.
Tout marche, et le soldat, en son ardeur extrême,
Rapidement vers Reims se porte de lui-même.
On voit comme à l'envi les drapeaux ondoyants
Vers la sainte cité d'eux-mêmes se ployants 2;
Le cri des bataillons imite le tonnerre,

Leurs pas, plus sourdement, font retentir la terre:
La poussière se lève et compose une nuit
Qui du camp disparu ne laisse que le bruit.

(La Pucelle d'Orléans, IV.)

DIEU

Loin des murs flamboyants qui renferment le monde,
Dans le centre caché d'une clarté profonde,

Dieu repose en lui-même, et, vêtu de splendeur,
Sans bornes est rempli de sa propre grandeur.

1. C'est le roi qui parle.

2. La grammaire n'avait pas encore décidé que le participe présent devait rester invariable.

Une triple personne en une seule essence,
Le suprême pouvoir, la suprême science,
Et le suprême amour, unis en trinité,
De son règne éternel forment la majesté.
Un volant bataillon de ministres fidèles,
Devant l'Être infini, soutenu sur ses ailes,
Dans un juste concert de trois fois trois degrés,
Lui chante incessamment des cantiques sacrés.
Sur son trône étoilé, patriarches, prophètes,
Apôtres, confesseurs, vierges, anachorètes,
Et ceux qui par leur sang ont cimenté la foi 1,
L'adorent à genoux, saint peuple du saint roi.
A sa gauche et debout, la Vierge immaculée......
Entre tous les élus obtient le premier rang..........
Au mème tribunal, où tout bon il réside,
La sage providence à l'univers préside;
Et plus bas, à ses pieds, l'inflexible destin
Recueille les décrets du jugement divin.
De son être incréé tout est la créature;
Il voit rouler sous lui l'ordre de la nature,
Des éléments divers est l'unique lien,
Le père de la vie et la source du bien.
Tranquille possesseur de sa béatitude,
Il n'a le sein troublé d'aucune inquiétude,
Et voyant tout sujet aux lois du changement,
Seul, par lui-même, en soi, dure éternellement.
Ce qu'il veut une fois est une loi fatale,
Qui, toujours, malgré tout, à soi-même est égale
Sans que rien soit si fort qu'il le puisse obliger
A se laisser jamais ni fléchir ni changer.
Du pécheur repenti la plainte lamentable,
Seule, peut ébranler son vouloir immuable,
Et, forçant sa justice et sa sévérité.
Arracher le tonnerre à son bras irrité 2.

1. Les martyrs.

(la Pucelle d'Orléans, I.)

2. Voltaire, dans sa Henriade (X) s'est souvenu de ce tableau de Chapelain

Au milieu des clartés d'un feu pur et durable
Dieu mit avant les temps son trône inébranlable.
Le ciel est sous ses pieds; de mille astres divers
Le cours toujours réglé l'annonce à l'univers.

La puissance, l'amour, avec l'intelligence,
Unis et divisés, composent son essence.

Ses saints, dans les douceurs d'une éternelle paix,
D'un torrent de plaisirs enivrés à jamais,
Pénétrés de sa gloire et remplis de lui-même,
Adorent à l'envi sa majesté suprême.

DES BARREAUX

(1599-1673)

Jacques Vallée, seigneur des Barreaux, né à Châteauneuf-surLoire, fut conseiller au Parlement de Paris. Ami de Théophile et de Chapelle, il écrivit beaucoup de poésies légères, qui ne nous sont pas parvenues; c'est dans une grave maladie qu'il aurait composé le sonnet fameux que nous donnons, et que Voltaire attribue sans preuves bien sérieuses à l'abbé de Lavau.

SONNET

Grand Dieu, tes jugements sont remplis d'équité;
Toujours tu prends plaisir à nous être propice :
Mais j'ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne me pardonnera qu'en blessant ta justice.

Oui, Seigneur, la grandeur de mon impiété
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice :
Ton intérêt s'oppose à ma félicité,

Et ta clémence même attend que je périsse.

Contente ton désir puisqu'il t'est glorieux;
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux :
Tonne, frappe, il est temps; rends-moi guerre pour guerre.

J'adore, en périssant, la raison qui t'aigrit,
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ?

LEMOYNE
(1602-1672)

Pierre Lemoyne entra à dix-huit ans dans la compagnie de Jésus. Pascal, dans ses Provinciales, s'est égayé aux dépens de son ouvrage de la Dévotion aisée, et l'on trouve souvent dans les rhétoriques des vers du P. Lemoyne cités comme exemples

de mauvais goût. Cependant, quelques passages de son Saint Louis, ou la Sainte Couronne reconquise sur les infidèles (1653), ont permis à Boileau de dire que, s'il était trop fou pour qu'on en dit du bien, il s'était trop élevé pour qu'on en dit du mal.

LES TOMBEAUX DES ROIS D'ÉGYPTE

Sous les pieds de ces monts taillés et suspendus,
Il s'étend des pays ténébreux et perdus,

Des déserts spacieux, des solitudes sombres,
Faites pour le séjour des morts et de leurs ombres.
Là sont les corps des rois et les corps des sultans,
Diversement rangés, selon l'ordre des temps.
Les uns sont enchâssés dans de creuses images
A qui l'art a donné leur taille et leurs visages;
Et dans ces vieux portraits, qui sont leurs monuments,
Leur orgueil se conserve avec leurs ossements.
Les autres, embaumés, sont posés sur des niches,
Où leurs ombres, encore éclatantes et riches,
Semblent perpétuer, malgré les lois du sort,
La pompe de leur vie en celle de leur mort.
De ce muet sénat, de cette cour terrible,
Le silence épouvante, et sa face est horrible.
Là sont les devanciers avec leurs descendants;
Tous les règnes y sont; on y voit tous les temps;
Et cette antiquité, ces siècles dont l'histoire
N'a pu sauver qu'à peine une obscure mémoire,
Réunis par la mort en cette sombre nuit,

Y sont sans mouvement, sans lumière et sans bruit.
(Saint Louis.

GODEAU
(1605-1672)

Antoine Gudeau, né à Dreux, fut appelé à Paris et introduit à l'Hôtel de Rambouillet par Conrart, son parent. Sa petite taille (voir nos extraits de St-Evremond) le fit surnommer le Nain de la princesse Julie (Julie d'Angennes), et ses vers furent très goûtés des beaux esprits. I fit partie de l'Académie dès sa fondation, et à la lecture de son Benedicite (Cantique

des trois enfants), Richelieu lui dit : « Vous me donnez Benedicite, et moi, je vous donnerai Grasse (Graces). » C'était le plus pauvre évêché de France; il fut bientôt échangé contre celui de Vence. Godeau a écrit des Vies et des Panegyriques de saints en prose et en vers, une Histoire de l'Église jusqu'à la fin du Ve siècle, des Eloges historiques des empereurs, la Morale chrétienne, et de nombreuses Poésies.

PARAPHRASE DU CANTIQUE DES TROIS ENFANTS

Nabuchodonosor ayant fait jeter trois jeunes hommes hébreux dans la fournaise parce qu'ils n'avaient pas voulu adorer sa statue, l'ange descendit du ciel, qui les préserva de la violence des flammes, au milieu desquelles ils chantèrent ce cantique, en Daniel, ch. III:

Espoir de toute âme affligée,
Grand Dieu, notre unique recours,
Par qui la trame de nos jours
Malgré les feux est prolongée,
Seigneur, dont la puissante main
Des fers d'un tyran inhumain
Sauva nos ancêtres fidèles,

Que ton nom soit toujours béni,
Que par des chansons immortelles
On célèbre à jamais ton pouvoir infini.

Que dans le séjour où ces Anges,
Qui ne sont que flamme et qu'ardeur,
Servent de trône à ta grandeur1,
On chante tes saintes louanges,
Qu'on te bénisse dans les cieux,
Où ta gloire éblouit les yeux,
Où tes beautés n'ont point de voiles,
Où l'on voit ce que nous croyons,
Où tu marches sur les étoiles,

Et d'où jusqu'aux enfers tu lances tes rayons.

Rares et superbes ouvrages,
Merveilles, chefs-d'œuvre divers,
Qui paraissez dans l'univers,
Venez rendre à Dieu vos hommages;

1. Voir Racine (Esther, I, v):

O Dieu, que la gloire couronne,
Dieu, que la lumière environne,
Qui voles sur l'aile des vents,
Et dont le trône est porté par les anges!

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