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N'a laissé dans mes bras qu'un corps défiguré 1, Triste objet, où des Dieux triomphe la colère, que méconnaîtrait l'œil même de son père 2.

Et

CANTIQUE SUR LES VAINES OCCUPATIONS DES GENS DU SIÈCLE

(Tiré de divers endroits d'Isaïe et de Jérémie.)

Quel charme vainqueur du monde

Vers Dieu m'élève aujourd'hui ?
Malheureux l'homme qui fonde
Sur les hommes son appui 3!
Leur gloire fuit, et s'efface
En moins de temps que la trace
Du vaisseau qui fend les mers,
Ou de la flèche rapide

Qui loin de l'œil qui la guide
Cherche l'oiseau dans les airs

De la Sagesse immortelle

La voix tonne, et nous instruit.
<< Enfants des hommes, dit-elle,
De vos soins quel est le fruit?
Par quelle erreur, âmes vaines,
Du plus pur sang de vos veines

1. Peut-être Racine a-t-il imité cette fin du récit de l'Hippolyte d'un certain Bidar, mais comme Virgile imitait Ennius:

« Mêlez vos pleurs à ceux d'une aimable Princesse.

« Ses beaux yeux qui faisaient la douceur de mon sort

« N'en refuseront pas à ma tragique mort.

« L'adorable Cyane.... » Un soupir tout de flamme
Lui fait à ce beau nom exhaler sa grande âme,
Et me laisse en suspens de juger en ce jour
Qui termine son sort, ou la mort, ou l'amour.

2. Racine imite ici Sophocle (Electre, v. 755) et Euripide (Médée, v. 1196). La Harpe a pu dire, sans trop d'exagération, qu'on avait écrit des volumes pour ou contre ce fameux récit de Théramene. Presque tous les critiques en blâment la longueur; disons seulement que les six poètes dramatiques qui avaient traité ce sujet dans notre langue avant Racine avaient consacré plus de vers encore que lui à raconter la mort d'Hippolyte. Nous donnons ces six récits en appendice à la suite de Phèdre, dans notre édition de Racine (chez Delagrave). Voir plus haut le récit de Gilbert, auquel Racine semble avoir emprunté quelques traits.

3. Jérémie, xvII, 5.

4. La Sagesse, x, 9, 10, 12.

Achetez-vous si souvent,

Non un pain qui vous repaisse 1,
Mais une ombre qui vous laisse
Plus affamés que devant?

« Le pain que je vous propose
Sert aux anges d'aliment 2:
Dieu lui-même le compose
De la fleur de son froment.
C'est ce pain si délectable
Que ne sert point à sa table
Le monde que vous suivez.
Je l'offre à qui me veut suivre.
Approchez. Voulez-vous vivre ?
Prenez, mangez, et vivez 3. »

O Sagesse, ta parole 4
Fit éclore l'univers,
Posa sur un double pôle

La terre au milieu des mers.
Tu dis, et les cieux parurent 5,
Et tous les astres coururent
Dans leur ordre se placer.
Avant les siècles tu règnes 6;
Et qui suis-je, que tu daignes
Jusqu'à moi te rabaisser?

Le Verbe, image du Père,
Laissa son trône éternel,
Et d'une mortelle mère
Voulut naitre homme et mortel.
Comme l'orgueil fut le crime
Dont il naissait la victime,
Il dépouilla sa splendeur,
Et vint pauvre et misérable,
Apprendre à l'homme coupable
Sa véritable grandeur.

1. Isaïe, LV, 2.

2. Prose Lauda, Sion.

3. Évangile de saint Mathieu, xxv, 26. Évangile de saint Jean, vi, 52. 4. Voir dans nos extraits de Pascal un admirable morceau (la Sagesse de Dieu à l'homme) qui a peut-être inspiré ces strophes sublimes, dont la lecture faisait pleurer Mmo de Maintenon.

5. Isaïe, XL, 12.

6. Psaume LXXII, 12.

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Ces jours passés, chez un vieil histrion,
Grand chroniqueur, s'émut en question 6
Quand à Paris commença la méthode
De ces sifflets qui sont tout à la mode.
« Ce fut, dit l'un, aux pièces de Boyer. »
Gens pour Pradon voulurent parier :
<< Non, dit l'acteur, je sais toute l'histoire,
Que par degrés je vais vous débrouiller :
Boyer apprit au parterre à bâiller;
Quant à Pradon, si j'ai bonne mémoire,

1. Isaïe, XII, 3.

2. Id., LV, 1.

3. Jérémie, 1, 13.

4. L'Aspar avait paru et avait été sifflé le vendredi 7 décembre 1680.

5. Voir dans nos Morceaux choisis du XVIII° siècle notre Notice sur Fontenelle.

6. Les archaïsmes, que Racine affectionne dans ses épigrammes, ont pour but de leur donner une apparence de naïveté, qui rend le trait plus piquant; l'épigramme suivante en offre d'autres exemples:

SUR L'IPHIGÉNIE DE LE CLERC ET CORAS.

Entre le Clerc et son ami Coras,
Tous deux auteurs rimants de compagnie.
N'a pas longtemps sourdirent grands débats
Sur le propos de son Iphigénie.

Coras lui dit : « La pièce est de mon cru; »

Le Clerc répond: « Elle est mienne et non vôtre. ■
Mais aussitôt que l'ouvrage a paru.

Plus n'ont voulu l'avoir fait l'un ni l'autre.

Pommes sur lui volèrent largement;
Or quand sifflets prirent commencement,
C'est, j'y jouais, j'en suis témoin fidèle,
C'est à l'Aspar du sieur de Fontenelle. >>

SUR LA JUDITH 1 DE BOYER.

A sa Judith, Boyer, par aventure,
Était assis près d'un riche caissier 2;
Bien aise était : car le bon financier
S'attendrissait et pleurait sans mesure.
« Bon gré vous sais, lui dit le vieux rimeur :
Le beau vous touche, et n'êtes pas d'humeur
A vous saisir pour une baliverne. >>
Lors le richard, en larmoyant, lui dit :
« Je pleure, hélas! de ce pauvre Holoferne,
Si méchamment mis à mort par Judith. »

BOURSAULT
(1638-1701)

Edme Boursault naquit en 1638, en Bourgogne, d'un ancien militaire qui ne lui fit donner aucune instruction. C'est peutêtre à cette négligence paternelle que Boursault dut de ne pouvoir s'élever jusqu'au niveau de Regnard. Boursault parlait le patois, lorsqu'il arriva à Paris; ce qui ne l'empêcha pas en 1661 de donner au théâtre un acte en vers, le Médecin volant, qui avait fait déjà, en prose, partie du premier répertoire de Molière, et en 1662, trois actes en vers, le Mort vivant. S'étant cru insulté dans la Critique de l'École des Femmes de Molière, il riposta par le Portrait du Peintre; Molière se vengea cruellement, en nommant Boursault de son propre nom, en plein théâtre, dans l'Impromptu de Versailles; et Boileau, venant en aide à Molière, empêchait de représenter la satire des satires, que Boursault avait rimée contre le satirique. On sait qu'un trait de générosité et les progrès de Boursault finirent par désarmer Despréaux. Après quelques médiocres comédies, une pastorale tirée du poème de l'abbé de Cérisy, les Yeux de Philis changés en astres, et une mauvaise tragédie, la Princesse de Clèves, qui,

1. Cette pitoyable tragédie, qui obtint d'abord un succès de larmes, avait été représentée pour la première fois le vendredi 4 mars 1695.

2. Brossette dit que c'était Charles Renouard de la Touanne, trésorier de l'extraordinaire des guerres.

sifflée sous ce nom, fut très applaudie sous celui de Germanicus, et même égalée en pleine Académie aux chefs-d'œuvre de Racine par le vieux Corneille (1670), Boursault publia coup sur coup quelques romans, le Marquis de Chavigny, Artémise et Poliante, et Ne pas croire ce qu'on voit (1670). L'année suivante son livre intitulé la Véritable étude des souverains lui fit proposer la place de sous-précepteur du dauphin. Il dut décliner cette offre, ne sachant pas le latin; il le regretta d'autant plus qu'une anecdote, cependant assez inoffensive, publiée dans une gazette rimée qui lui valait une pension de 2000 fr., avait irrité la reine mère, fait supprimer la gazette, et peu s'en était fallu même que le rédacteur n'eût été jeté en prison. La gazette reparut en 1671, pour être de nouveau supprimée quelques années après. Après douze ans de repos, Boursault revint au théâtre avec quatre remarquables comédies, le Mercure Galant (1687), un petit acte fort curieux, les Mots à la mode (1694), Esope à la ville, et Esope à la cour; cette dernière pièce ne fut représentée qu'après la mort de l'auteur.

LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE BRITANNICUS

Il était sept heures sonnées par tout Paris1, quand je sortis de l'Hôtel de Bourgogne 2, où l'on venait de représenter pour la première fois le Britannicus de M. Racine, qui ne menaçait pas moins que de mort violente tous ceux qui se mêlent d'écrire pour le théâtre. Pour moi, qui m'en suis autrefois mêlé, mais si peu que par bonheur il n'y a personne qui s'en souvienne, je ne laissais pas d'appréhender comme les autres, et dans le dessein de mourir d'une plus honnête mort que ceux qui seraient obligés de s'aller pendre, je m'étais mis dans le parterre pour avoir l'honneur de me faire étouffer par la foule. Mais le marquis de Courboyer, qui ce jour-là justifia publiquement qu'il était noble, ayant attiré à son spectacle tout ce que la rue Saint-Denis a de marchands qui se rendent régulièrement à l'Hôtel de Bourgogne pour

1. On voit que les représen'ations dramatiques étaient presque alors ce que nous appelons aujourd'hui des matinées.

2. Situé rue Mauconseil. En 1680, la réunion de la troupe de l'Hôtel de Bourgogne avec celle de Molière forma la Comédie-Française.

3. C'était le 13 décembre 1669.

4. On peut voir par notre Notice que les grandes œuvres dramatiques de Boursault sont très postérieures à Britannicus.

5. Le marquis de Courboyer, gentilhomme huguenot, coupable d'une dénonciation reconnue calomnieuse, fut décapité en place de Grève, et non pendu, parce qu'il était noble. En pareil cas, on proportionnait même la hauteur de l'échafaud à la noblesse du supplicié'; ce qui à fait dire à M. Victor Hugo dans Hernani (IV):

Je suis Jean d'Aragon, roi, bourroux et volets,
Et si vos échafauds sont petits, changez-les.

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