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Chagrin qu'il est d'y voir peu d'assistants,
Voici comme il tourne la chose:
Vendredi, la pluie en est cause;
Et samedi, c'est le beau temps.

Son amour-propre le consolait de tous ses déboires. Parmi ses œuvres, aussi nombreuses que dénuées d'intérêt, on peut distinguer Porus ou la Générosité d'Alexandre, qui renferme quelques vers énergiques, Jephté, représenté à Saint-Cyr en 1692, et l'opéra de Méduse (1697). Il revendiqua la paternité de deux tragédies publiées sous le nom de Pader d'Assezan, Antigone et Aga

memnon.

PORUS, vaincu, à Alexandre.

Tu sais vaincre, Alexandre,

Et le ciel, assemblant tant de vertus en toi,
Sans doute à l'univers ne veut donner qu'un roi.
A cette auguste loi j'obéis sans contrainte :
Règne; porte partout ou l'amour ou la crainte;
Rien ne puisse arrêter ton destin glorieux;
Toutefois, sans choquer l'ordonnance des dieux,
Trouve bon que ce cœur plein de reconnaissance
Ose se prévaloir de ta magnificence;

Il choisit, et des biens que m'offre ta bonté,
Je te veux seulement devoir ma liberté.
Je la reçois de toi, mais si pleine et si belle
Que mon premier orgueil me revient avec elle
Et, n'ayant jusqu'ici combattu qu'à demi,
Je brûle de t'avoir encor pour ennemi.
Après ce que pour moi ta bonté vient de faire,
Ce désir est ingrat, injuste, téméraire,
Dont tout autre que toi se pourrait outrager,
Mais le grand Alexandre en saura mieux juger......
Souffre donc qu'un combat achève notre guerre ;
Non pour te disputer l'empire de la terre:
Tu peux seul y porter tes désirs justement,
Les dieux te l'ont promis, et je veux seulement
Que quelque grand exploit heureux ou magnanime
Avant ton amitié m'acquière ton estime.
Ainsi charmé d'un bien que je n'ose accepter,
Je ne te combattrai que pour le mériter 1.

(Porus, IV, vII.)

1. Le courage de Porus sera digne de ses paroles (V, 11) :

On voit à même temps ces deux rois en présence,
Qui, sans perdre un moment à se considérer,

LA FONTAINE

(1621-1695)

Jean de La Fontaine reçut de son père, qui était maître particulier des eaux et forêts, une assez médiocre éducation à Château-Thierry, sa ville natale; à vingt ans, il entra chez les Oratoriens de Reims; il en sortit dix-huit mois après, et vécut d'une vie assez dissipée jusqu'à vingt-six ans, âge où son père le maria et lui laissa sa charge. La Fontaine abandonna bientôt femme et charge pour s'établir à Paris. Ses distractions légendaires ne l'empêchèrent pas de trouver de nombreux protecteurs le premier fut le surintendent Fouquet, auquel il resta fidèle dans le malheur; puis vinrent les princes de Condé et de Conti, les ducs de Vendôme et de Bourgogne, les duchesses de Bouillon et d'Orléans, madame de Montespan, et surtout mesdames de la Sablière et d'Hervart; il était lié avec Molière, Boileau et Racine, beaucoup plus jeunes que lui; mais, à cause de la légèreté de quelques-unes de ses œuvres, il ne plut jamais à madame de Maintenon et à Louis XIV, qui ne se décida qu'avec peine à ratifier son élection à l'Académie (1684). La Fontaine se convertit à la fin de sa vie, et s'éteignit à 72 ans. Il avait rédigé lui-même son épitaphe en 1659 :

Jean s'en alla comme il était venu,
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien le sut dispenser;
Deux parts en fit, dont il soulait passer:
L'une à dormir et l'autre à ne rien faire.

La Fontaine a traité tous les genres, ou peut s'en faut: épîtres, ballades, élégies, relations poétiques, contes, poèmes mythologiques, comme Adonis, didactique, comme le Quinquina, religieux, comme la Captivité de Saint-Male, romans, comme les Amours de Psyché, opéras, comme Daphné et l'Astrée, comédies, comme

D'une égale valeur se viennent mesurer.
Là d'un commun accord une louable rage
Dessus ce sang royal exerce leur courage.
L'espoir de la victoire, excitant leur ardeur.
Relève le vaincu, renverse le vainqueur;
Tantôt Porus triomphe, et tantôt Alexandre.
Ils reviennent aux mains avec plus de fureur,
Par des coups redoublés signalent leur valeur,
Et la chute du roi seulement les sépare.
Pour Alexandre enfin le destin se déclare.
Le roi tombe à ses pieds; il veut le relever,
Et descend de cheval afin de le sauver.
Mais le roi, dédaignant un secours ennemi,
Ne se croit malheureux ni vaincu qu'à demi;
Et son cœur, ramassant le reste de ses forces,
De ses soins obligeants repousse les amorces.
Il fait tout ce qu'il peut, mais son corps abattu,
Par des coups languissants trahissant sa vertu,
Et sa faible vigueur servant mal son courage
Font de l'autre côté voler tout l'avantage.

l'Eunuque, imité de Térence, Ragotin, tiré du Roman comique de Scarron, le Florentin, un charmant petit acte dirigé contre Lully, la Coupe enchantée, en collaboration avec Champmeslé, etc. Il avait même eu des velléités de faire une tragédie et commencé un Achille. Mais c'est son recueil de Fables qui rend son nom immortel.

BOILEAU, RACINE, MOLIÈRE ET LA FONTAINE

Quatre amis, dont la connaissance avait commencé par le Parnasse, lièrent une espèce de société que j'appellerais académie, si leur nombre eût été plus grand et qu'ils eussent autant regardé les muses que le plaisir. La première chose qu'ils firent, ce fut de bannir d'entre eux les conversations réglées, et tout ce qui sent sa conférence académique. Quand ils se trouvaient ensemble, et qu'ils avaient bien parlé de leurs divertissements, si le hasard les faisait tomber sur quelque point de science ou de belles-lettres, ils profitaient de l'occasion: c'était toutefois sans s'arrêter trop longtemps à une même matière, voltigeant de propos en autre, comme des abeilles qui rencontreraient en leur chemin diverses. sortes de fleurs. L'envie, la malignité, ni la cabale, n'avaient de voix parmi eux. Ils adoraient les ouvrages des anciens, ne refusaient point à ceux des modernes les louanges qui leur sont dues, parlaient des leurs avec modestie, et se donnaient des avis sincères lorsque quelqu'un d'eux tombait dans la maladie du siècle et faisait un livre, ce qui arrivait rarement.

Polyphile (c'est le nom que je donnerai à l'un de ces quatre amis), y était le plus sujet. Les aventures de Psyché lui avaient semblé fort propres pour être contées agréablement. Il y travailla longtemps sans en parler à personne ; enfin il communiqua son dessein à ses trois amis, non pas pour leur demander s'il continuerait, mais comment ils trouveraient à propos qu'il continuât. L'un lui donna un avis, l'autre un autre: de tout cela il ne prit que ce qu'il lui plut. Quand l'ouvrage fut achevé, il demanda jour et rendezvous pour le lire.

Acanthe 2 ne manqua pas, selon sa coutume, de proposer une promenade en quelque lieu hors de la ville, qui fût.

1. La Fontaine.

2. Racine.

éloigné, et où peu de gens entrassent: on ne les viendrait point interrompre; ils écouteraient cette lecture avec moins de bruit et plus de plaisir. Il aimait extrêmement les jardins, les fleurs, les ombrages. Polyphile lui ressemblait en cela ; mais on peut dire que celui-ci aimait toutes choses. Ces passions, qui leur remplissaient le cœur d'une certaine tendresse, se répandaient jusqu'en leurs écrits, et en formaient le principal caractère. Ils penchaient tous deux vers le lyrique, avec cette différence qu'Acanthe avait quelque chose de plus touchant, Polyphile de plus fleuri. Des deux autres amis, que j'appellerai Ariste1 et Gélaste 2, le premier était sérieux sans être incommode, l'autre était fort gai. (Les Amours de Psyché, I.)

PRÉFACE DES FABLES

Ce n'est pas tant par la forme que j'ai donnée à cet ouvrage qu'on en doit mesurer le prix, que par son utilité et par sa matière: car qu'y a-t-il de recommandable dans les productions de l'esprit, qui ne se rencontre dans l'apologue? C'est quelque chose de si divin que plusieurs personnages de l'antiquité ont attribué la plus grande partie de ces fables à Socrate, choisissant pour leur servir de père celui des mortels qui avait le plus de communication avec les dieux. Je ne sais comme ils n'ont point fait descendre du ciel ces mêmes fables, et comme ils ne leur ont point assigné un dieu qui en eût la direction, ainsi qu'à la poésie et à l'éloquence. Ce que je dis n'est pas tout à fait sans fondement, puisque, s'il m'est permis de mêler ce que nous avons de plus sacré parmi les erreurs du paganisme, nous voyons que la Vérité a parlé aux hommes par paraboles, et la parabole est-elle autre chose que l'apologue, c'est-à-dire un exemple fabuleux et qui s'insinue avec d'autant plus de facilité et d'effet qu'il est plus commun et plus familier? Qui ne nous proposerait à imiter que les maîtres de la sagesse, nous fournirait un sujet d'excuse: il n'y en a point quand des abeilles et des fourmis sont capables de cela même qu'on nous demande.

C'est pour ces raisons que Platon, ayant banni Homère de sa république, y a donné à Ésope une place très hono

1. Boileau.

2. Molière. Avis aux auteurs qui font de Molière un mélancolique.

rable. Il souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait; il recommande aux nourrices de les leur apprendre: car on ne saurait s'accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu. Plutôt que d'être réduits à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu'elles sont encore indifférentes au bien ou au ma!. Or quelle méthode y peut contribuer plus utilement que ces fables? Dites à un enfant que Crassus, allant contre les Parthes, s'engagea dans leur pays sans considérer comment il en sortirait; que cela le fit périr lui et son armée, quelque effort qu'il fit pour se retirer 1. Dites au même enfant que le renard et le bouc descendirent au fond d'un puits pour y éteindre leur soif; que le renard en sortit, s'étant servi des épaules et des cornes de son camarade comme d'une échelle; au contraire, le bouc y demeura pour n'avoir pas eu lant de prévoyance; et par conséquent il faut considérer en toute chose la fin. Je demande lequel de ces deux exemples fera le plus d'impression sur cet enfant. Ne s'arrêtera-t-il pas au dernier, comme plus conforme et moins disproportionné que l'autre à la petitesse de son esprit? Il ne faut pas m'alléguer que les pensées de l'enfance sont d'elles-mêmes assez enfantines sans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries ne sont telles qu'en apparence, car dans le fond elles portent un sens très solide. Et comme, par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d'autres principes très familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre; de même aussi, par les raisonnements et les conséquences que l'on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable des grandes choses 2.

1. Les Parthes rendirent à Auguste les drapeaux enlevés à Crassus. C'est en 53 avant J.-C. que Crassus avait péri avec 30000 Romains.

2. Par reconnaissance pour Esope, son modèle, La Fontaine a écrit une Vie d'Esope, qui renferme plusieurs anecdotes racontées avec une aimable simplicité, comme celle-ci : « Trouve-moi, dit Xantus, un homme qui ne se mette en peine de rien. » — Esope alla le lendemain sur la place, et, voyant un paysan qui regardait toutes choses avec la froideur et l'indifférence d'une statue, il amena ce paysan au logis. « Voilà, dit-il à Xantus, l'homme sans souci que vous demandez. » Xantus commanda à sa femme de faire chauffer de l'eau, de la mettre dans un bassin, puis de laver elle-même les pieds de son nouvel hôte. Le paysan la laissait faire, quoiqu'il sût fort bien qu'il ne méritait pas cet honneur; mais il disait en lui-même : « C'est peut-être la coutume d'en user ainsi. » On le fit asseoir au haut bout; il prit sa place sans cérémonie. Pendant le repas, Xantus ne fit autre chose que blâmer son cuisinier; rien ne lui plaisait ce qui était doux, il le trouvait trop salé; ce qui était trop salé, il le trouvait trop doux. L'homme sans souci le laissait dire et mangeait de toutes ses dents. Au dessert on mit sur la table un gâteau que la femme du philo

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