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Vous les verrez foumis, rapporter dans Byfance
L'exemple d'une aveugle & baffe obéiffance.
Mais fi, dans le combat, le deftin plus puissant
Marque de quelque affront fon Empire naissant ;
S'il fuit; ne doutez point que, fiers de fa difgrace,
A la haine bientôt ils ne joignent l'audace,
Et n'expliquent, Seigneur, la perte du combat,
Comme un arrêt du Ciel qui réprouve Amurat.
Cependant, s'il en faut croire la Renommée,
Il a, depuis trois mois, fait partir de l'armée
Un efclave chargé de quelque ordre fecret.
Tout le camp interdit trembloit pour Bajazet.
On craignoit qu'Amurat, par un ordre févère,
N'envoyât demander la tête de fon frère.

A COMA T.

Tel étoit fon deffein. Cet Efclave eft venu;
Il a montré fon ordre, & n'a rien obtenu.

OSMIN.

Quoi, Seigneur, le Sultan reverra fon visage,
Sans de vos refpects il lui porte ce gage?

que

A COMA T.

Cet Efclave n'eft plus. Un ordre, cher Ofmin,
L'a fait précipiter dans le fond de l'Euxin.

OSMIN.

Mais le Sultan, furpris d'une trop longue abfence,
En cherchera bientôt la caufe & la vengeance.
Que lui répondrez-vous?

A COMAT.

A COMA T.

Peut-être, avant ce tems,

Je faurai l'occuper de foins plus importans.
Je fais bien qu'Amurat a juré ma ruine.

Je fais, à fon retour, l'accueil qu'il me destine.
Tu vois, pour m'arracher du cœur de fes foldats,
Qu'il va chercher, fans moi, les fièges, les combats:
ll commande l'armée; & moi, dans une Ville,
Il me laiffe exercer un pouvoir inutile.

Quel emploi, quel féjour, Ofinin, pour un Vifir!
Mais j'ai plus dignement employé ce loifir.
J'ai fû lui préparer des craintes & des veilles;
Et le bruit en ira bientôt à fes oreilles.

OSMIN.

Quoi donc, qu'avez-vous fait ?

АСОМА Т.

J'espère qu'aujourd'hui

Bajazet fe déclare, & Roxane avec lui.

OSMIN.

Quoi, Roxane, Seigneur, qu'Amurat a choifie
Entre tant de Beautés, dont l'Europe & l'Afie
Dépeuplent leurs Etats, & remplissent sa Cour ?
Car on dit qu'elle feule a fixé fon amour.
Et même il a voulu que l'heureufe Roxane,
Avant qu'elle eût un fils, prît le nom de Sultane.

A COMA T.

Il a fait plus pour elle, Ofmin. Il a voulu
Qu'elle eût, dans fon absence, un pouvoir absolu.

Tome II.

E

Tu fais de nos Sultans les rigueurs ordinaires.
Le frère rarement laiffe jouir fes frères
De l'honneur dangereux d'être fortis d'un fang
Qui les a, de trop près, approchés de fon rang.
L'imbécile Ibrahim, fans craindre fa naiffance,
Traîne, exempt de péril, une éternelle enfance;
Indigne également de vivre & de mourir,

On l'abandonne aux mains qui daignent le nourrir.
L'autre, trop redoutable & trop digne d'envie,
Voit fans ceffe Amurat armé contre sa vie.
Car, enfin, Bajazet dédaigna de tout tems
La molle oifiveté des enfans dès Sultans.
Il vint chercher la guerre au fortir de l'enfance,
Et même en fit fous moi la noble expérience.
Toi-même tu l'as vu courir dans les combats,
Emporter après lui tous les cœurs des Soldats;
Et goûter, tout fanglant, le plaifir & la gloire
Que donne aux jeunes cœurs la première victoire.
Mais, malgré fes foupçons, le cruel Amurat,
Avant qu'un fils naiffant eût raffuré l'Etat,
N'ofoit facrifier ce frère à fa vengeance,
Ni du fång Ottoman proferire l'efpérance."
Ainfi donc, pour un tems, Amurat défarmé,
Laiffa dans le Serrail Bajazet enfermé.
Il partit, & voulut que, fidèle à fa haine,
Et des jours de fon frère arbitre fouveraine,
Roxane au moindre bruit, & fans autres raisons,
Le fit facrifier à fes moindres foupçons,

Pour moi, demeuré feul, une jufte colère
Tourna bientôt mes vœux du côté de fon frère.
J'entretins la Sultane, &, cachant mon deffein,
Lui montrai d'Amurat le retour incertain,
Les murmures du camp, la fortune des armes.
Je plaignis Bajazet, je lui vantai ses charmes,
Qui, par un foin jaloux dans l'ombre retenus,
Si voifins de fes yeux, leur étoient inconnus.
Que te dirai-je enfin? La Sultane éperdue.
N'eut plus d'autres defirs que celui de fa vue.

OS MIN.

Mais pouvoient-ils tromper tant de jaloux regards, Qui femblent mettre entre eux d'invincibles remparts?

A COMAT.

Peut-être il te fouvient qu'un récit peu fidèle
De la mort d'Amurat fit courir la nouvelle.
La Sultane, à ce bruit, feignant de s'effrayer,
Par des cris douloureux eut foin de l'appuyer.
Sur la foi de fes pleurs fes Efclaves tremblèrent;
De l'heureux Bajazet les Gardes fe troublèrent ;
Et les dons achevant d'ébranler leur devoir,
Leurs captifs, dans ce trouble, ofèrent s'entrevoir.
Roxane vit le Prince; elle ne put lui taire
L'ordre dont elle feule étoit dépofitaire.
Bajazet eft aimable; il vit que fon falut
Dépendoit de lui plaire, & bientôt il lui plut.
Tout confpiroit pour lui. Ses foins, fa complaifance,
Ce fecret découvert, & cette intelligence,

Soupirs d'autant plus doux qu'il les falloit celer;
L'embarras irritant de ne s'ofer parler,
Même témérité, périls, craintes communes,
Lièrent pour jamais leurs cœurs & leurs fortunes.
Ceux même dont les yeux les devoient éclairer,
Sortis de leur devoir, n'ofèrent y rentrer.

OSMIN.

Quoi, Roxane d'abord leur découvrant fon ame,
Ofa-t-elle à leurs yeux faire éclater sa flamme?

АСОМА Т.

Ils l'ignorent encore ; &, jufques à ce jour,
Atalide a prêté fon nom à cet amour,
Du père d'Amurat Atalide eft la nièce;
Et même, avec fes fils partageant sa tendreffe,
Elle a vu fon enfance élevée avec eux.

Du Prince, en apparence, elle reçoit les vœux;
Mais elle les reçoit pour les rendre à Roxane,
Et veut bien fous fon nom qu'il aime la Sultane.
Cependant, cher Ofmin, pour s'appuyer de moi,
L'un & l'autre ont promis Atalide à ma foi,

OSMIN,

Quoi, vous l'aimez, Seigneur?

ACQMA T.

Voudrois-tu qu'à mon âge

Je fiffe de l'amour le vil apprentiffage ?

Qu'un cœur, qu'ont endurci la fatigue & les ans,
Suivit d'un vain plaifir les confeils imprudens?
C'eft par d'autres attraits qu'elle plaît à ma vue.
J'aime en elle le fang dont elle eft descendue,

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