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(Titus lit une Lettre.)

Vous m'avez arraché ce que je viens d'écrire.
Voilà de votre amour tout ce que je defire.
Lifez, ingrat, lifez, & me laiffez fortir.

TITUS.

Vous ne fortirez point, je n'y puis confentir.
Quoi, ce départ n'eft donc qu'un cruel stratagême ?
Vous cherchez à mourir? Et, de tout ce que j'aime,
Il ne reftera plus qu'un trifte fouvenir ?

Qu'on cherche Antiochus, qu'on le faffe venir.
( Bérénice fe laiffe tomber fur un fiége.)

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MADAME, il faut vous faire un aveu véritable.

Lorfque j'envisageai le moment redoutable
Où, preffé par les loix d'un auftère devoir,
Il falloit pour jamais renoncer à vous voir;
Quand de ce trifte adieu je prévis les approches,
Mes craintes, mes combats, vos larmes, vos reproches,
Je m'attendis, Madame, à toutes les douleurs
Que peut faire fentir le plus grand des malheurs;
Mais, quoique je craigniffe, il faut que je le die
Je n'en avois prévu que la moindre partie.

Je croyois ma vertu moins prête à fuccomber;
Et j'ai honte du trouble où je la vois tomber.
J'ai vû devant mes yeux Rome entière affemblée.
Le Sénat m'a parlé; mais mon ame accablée
Ecoutoit fans entendre, & ne leur a laissé,
Pour prix de leurs transports, qu'un filence glacé.
Rome de votre fort est encore incertaine.
Moi-même, à tous momens, je me fouviens à peine
Si je fuis Empereur, ou fi je fuis Romain.

Je fuis venu vers vous fans favoir mon deffein.
Mon amour m'entraînoit, & je venois peut-être
Pour me chercher moi-même, & pour me reconnoître.
Qu'ai-je trouvé? Je vois la mort peinte en vos yeux;
Je vois, pour la chercher, que vous quittez ces lieux.
C'en eft trop. Ma douleur, à cette trifle vue,
A fon dernier excès eft enfin parvenue.

Je ressens tous les maux que je puis reffentir;
Mais je vois le chemin par où j'en puis fortir.
Ne vous attendez point que, las de tant d'allarmes,
Par un heureux hymen je tariffe vos larmes.
En quelque extrémité que vous m'ayez réduit,
Ma gloire inexorable à toute heure me fuit.
Sans ceffe elle présente à mon ame étonnée,
L'Empire, incompatible avec votre hyménée;
Me dit qu'après l'éclat & les pas que j'ai faits,
Je dois vous époufer encor moins que jamais.
Oui, Madame; & je dois moins encore vous dire,
Que je fuis prêt, pour vous, d'abandonner l'Empire.

De vous fuivre, & d'aller, trop content de mes fers,
Soupirer avec vous au bout de l'Univers.
Vous-même rougiriez de ma lâche conduite.
Vous verriez, à regret, marcher à votre fuite
Un indigne Empereur, fans Empire, fans Cour,
Vil fpectacle aux humains des foiblesses d'amour.
Pour fortir des tourmens dont mon ame eft la proie,
Il eft, vous le favez, une plus noble voie.
Je me fuis vû, Madame, enfeigner ce chemin,
Et par plus d'un Héros, & par plus d'un Romain.
Lorfque trop de malheurs ont laffé leur conftance,
Ils ont tous expliqué cette persévérance,
Dont le fort s'attachoit à les perfécuter,
Comme un ordre fecret de n'y plus réfifter.

Si vos pleurs plus long-tems viennent frapper ma vue;
Si toujours à mourir je vous vois réfolue;

S'il faut qu'à tous momens je tremble pour vos jours;
Si vous ne me jurez d'en refpecter le cours;
Madame, à d'autres pleurs vous devez vous attendre.
En l'état où je fuis, je puis tout entreprendre ;
Et je ne réponds pas que ma main, à vos yeux,
N'enfanglante à la fin nos funeftes adieux.

Hélas!

BÉRÉNICE.

TITUS.

Non, il n'eft rien dont je ne fois capable. Vous voilà de mes jours maintenant refponfable. Songez-y bien, Madame; &, fi je vous fuis cher...

SCENE

DERNIERE.

TITUS, BÉRÉNICE, ANTIOCHUS

TITUS..

VENEZ, Prince, venez, je vous ai fait chercher..

Soyez ici témoin de toute ma foibleffe.

Voyez fi c'est aimer avec peu de tendreffe..
Jugez-nous.

ANTIOCHUS

Je crois tout. Je connois votre amour: 9

Mais vous, connoiffez-moi, Seigneur, à votre tour is L
Vous m'avez honoré, Seigneur, de votre eftimev
Et moi, je puis ici vous le jurer fans crime,.
A vos plus chers amis j'ai difputé ce rang.
Je l'ai difputé même aux dépens de mon fang..
Vous m'avez, malgré moi; confié l'un & l'autre,
La Reine, fon amour, & vous, Seigneur, le vôtre.ə
La Reine, qui m'entend, peut me désavouer; ado et
Elle m'a vu toujours, ardent à vous louer,

Répondre, par mes foins, à votre confidence..ILI
Vous croyez m'en devoir quelque reconnoiffance..
Mais croiriez-vous, Seigneur, en ce moment fatal, ch
Qu'un ami fi fidèle étoit votre rival ?

Mon rival?

TITUS.

DY

ANTIOCHUS.

Il eft tems que je vous éclairciffe.
Oui, Seigneur, j'ai toujours adoré Bérénice;
Pour ne la plus aimer, j'ai cent fois combattu.
Je n'ai pu l'oublier; au moins, je me fuis tû.
De votre changement la flatteuse apparence,
M'avoit rendu tantôt quelque foible espérance.
Les larmes de la Reine ont éteint cet efpoir.
Ses yeux, baignés de pleurs, demandoient à vous voir.
Je fuis venu, Seigneur, vous appeller moi-même :
Vous êtes revenu. Vous aimez, on vous aime;
Vous vous êtes rendu, je n'en ai point douté.
Pour la dernière fois je me fuis confulté;
J'ai fait de mon courage une épreuve dernière;
Je viens de rappeller ma raison toute entière;
Jamais je ne me fuis fenti plus amoureux.

Il faut d'autres efforts pour rompre tant de nœuds;
Ce n'eft qu'en expirant que je puis les détruire.
J'y cours. Voilà de quoi j'ai voulu vous inftruire.
Oui, Madame, vers vous j'ai rappellé fes pas,
Mes foins ont réuffi, je ne m'en repens pas.
Puiffe le Ciel verfer fur toutes vos années,
Mille profpérités l'une à l'autre enchaînées.
Ou, s'il vous garde encore un refte de courroux,
Je conjure les Dieux d'épuifer tous les coups

.

Qui pourroient menacer une fi belle vie,

Sur ces jours malheureux que je vous sacrifie.

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