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Vient-il ?

BÉRÉNICE.

PHÉNIC E.

N'en doutez point, Madame, il va venir.

Mais voulez-vous paroître en ce défordre extrême ?
Remettez-vous, Madame, & rentrez en vous-même.
Laiffez-moi relever ces voiles détachés,

Et ces cheveux épars dont vos yeux font cachés.
Souffrez que de vos pleurs je répare l'outrage.

BÉRÉNICE.

Laiffe, laiffe, Phéniçe, il verra fon ouvrage.
Et que m'importe, hélas, de ces vains ornemens,
Si ma foi, fi mes pleurs, fi mes gémiffemens ;
Mais que dis-je, mes pleurs ? fi ma perte certaine
Si ma mort toute prête enfin ne le ramène !
Dis-moi, que produiront tes fecours fuperflus,
Et tout ce foible éclat qui ne le touche plus ?
PHÉNICE.

Pourquoi lui faites-vous cet injufte reproche?
J'entends du bruit, Madame, & l'Empereur s'approche.
Venez, fuyez la foule, & rentrons promptement.

Vous l'entretiendrez seul dans votre appartement,

SCENE III.

TITUS, PAULIN, Suite.

TITUS.

DE la Reine, Paulin, flattez l'inquiétude.

Je vais la voir. Je veux un peu de folitude.
Que l'on me laiffe..

PAULIN d part.

O Ciel, que je crains ce combat! Grands Dieux, fauvez fa gloire & l'honneur de l'Etat ! Voyons la Reine.

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HÉ bien, Titus, que viens-tu faire?

Bérénice t'attend. Où viens-tu, téméraire ?
Tes adieux font-ils prêts? T'es-tu bien confulté ?
Ton cœur te promet-il affez de cruauté?
Car enfin au combat, qui pour toi fe prépare,
C'est peu d'être conftant, il faut être barbare.
Soutiendrai-je fes yeux, dont la douce langueur
Sait fi bien découvrir les chemins de mon cœur ?
Quand je verrai ces yeux, armés de tous leurs charmes,
Attachés fur les miens, m'accabler de leurs larmes,

Me fouviendrai-je alors de mon trifte devoir?"
Pourrai-je dire enfin: Je ne veux plus vous voir ??
Je viens percer uu cœur que j'adore, qui m'aime.
Et pourquoi le percer? Qui l'ordonne? Moi-même..
Car enfin, Rome a-t-elle expliqué fes fouhaits ?:
L'entendons-nous crier autour de ce Palais?
Vois-je l'Etat penchant au bord du précipice?
Ne le puis-je fauver que par ce facrifice?-

Tout fe taît; & moi feul, trop promptà me troublers,
J'avance des malheurs que je puis reculer..

Et qui fait fi, fenfible aux vertus de la Reine,
Rome ne voudra point l'avouer pour Romaine??
Rome peut par fon choix juflifier le mien:

Non, non, encore un coup, ne précipitons rien..
Que Rome, avec fes loix, mette dans la balance
Tant de pleurs, tant d'amour, tant de perfévérance ::
Rome ferá pour nous. Titus, ouvres les yeux.
Quel air refpires-tu ? N'es-tu pas dans ces lieux:
Dù la haine des Kois, avec le lait fucée,
Par crainte ou par amour ne peut être effacée
Rome jugea ta Reine en condamnant fes Rors.
N'as-tu pas, en naiffant, entendu cette voix?
Et n'as-tu- pas encore ouï la Renommée,
T'annoncer ton devoir jufques dans ton armée ??
Et, lorfque Bérénice arriva fur tes pas ;
Ce que Rome en jugeoit, ne l'entendis-tu pas ??
Faut-il donc tant de fois te le faire redire ?
Abläche, fais l'amour, & renonce à l'Empire..

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Au bout de l'Univers, va, cours te confiner,
Et fais place à des cours plus dignes de régner..
Sont-ce là ces projets de grandeur & de gloire,.
Qui devoient dans les cœurs confacrer ma mémoire?
Depuis huit jours je règne; &, jusques à ce jour,
Qu'ai-je fait pour l'honneur? J'ai tout fait pour l'amoury.
D'un tems fï précieux, quel compte puis-je rendre ?
Où font ces heureux jours que je faifois attendre ?-
Quels pleurs ai-je féchés ? Dans quels yeux fatisfaits
Ai-je déja goûté le fruit de mes bienfaits?

L'Univers a-t-il vu changer fes déftinées ?
Sais-je combien le Ciel'm'à compté de journées ?!
Et de ce peu de jours, fi long-tems attendu,
Ah, malheureux, combien j'en ai déja perdús !
Ne tardons plus. Faifons ce que l'honneur exige..
Rompons le feul lien.........

SCENE V.

BÉRÉNICE

3

TITUS.

BÉRÉNICE en entrants

NON!

ON, laiffez-moi, veus dis-ja,

En vain tous vos confeils me retiennent ici.

Il faut que je le voie: Ah, Seigneur, vous voici !
Hé bien, il eft done vrai que Titus m'abandonne §.
Il faut nous feparer, & c'eft lui qui l'ordonne !.

TITUS.

N'accablez point, Madame, un Prince malheureux
Il ne faut point ici nous attendrir tous deux.
Un trouble affez cruel m'agite & me dévoré,
Sans que des pleurs fi chers me déchirent encore.
Rappellez bien plutôt ce cœur, qui, tant de fois,
M'a fait de mon devoir reconnoître la voix.

Il en eft tems. Forcez votre amour à fe taire;
Et d'un œil, que la gloire & la raifon éclaire,
Contemplez mon devoir dans toute fa rigueur.
Vous-même, contre vous, fortifiez mon cœur.
Aidez-moi, s'il fe peut, à vaincre sa foiblesse,
A retenir des pleurs qui m'échappent fans ceffe.
Ou, fi nous ne pouvons commander à nos pleurs,
Que la gloire, du moins, foutienne nos douleurs;
Et que tout l'Univers reconnoiffe, fans peine,
Les pleurs d'un Empereur, & les pleurs d'une Reine,
Car enfin, ma Princeffe, il faut nous séparer.

BÉRÉNICE.

Ah, cruel! Eft-il tems de me le déclarer?
Qu'avez-vous fait, hélas! Je me fuis crue aimée.
Au plaifir de vous voir mon ame accoutumée,
Ne vit plus que pour vous. Ignoriez-vous vos loix,
Quand je vous l'avouai pour la première fois?
A quel excès d'amour m'avez-vous amenée ?
Que ne me difiez-vous: Princeffe infortunée,
Où vas-tu t'engager, & quel eft ton espoir?
Ne donne point un cœur qu'on ne peut recevoir.

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